Le retour à la vie
Claire nétait pas rentrée dans lappartement de son fils depuis trop longtemps. Elle nen pouvait plus. Les larmes sétaient éteintes depuis longtemps ; le deuil sétait mué en une douleur sourde, constante, oppressante.
Léon avait vingthuit ans, jamais un petit bobo à la santé. Diplômé dune école dingénieur, il travaillait, fréquentait la salle de sport, sortait avec sa petite amie. Deux mois auparavant, il sétait couché et ne sétait plus réveillé.
Claire avait divorcé de son mari quand Léon navait que six ans, elle en avait trente. La raison était simple : infidélités répétées. Il ne payait jamais la pension, il disparaissait. Léon avait grandi sans père, soutenu par les parents de Claire. Quelques amours sont passés, mais jamais elle na osé se remarier.
Médecin ophtalmologiste, elle avait dabord loué un petit comptoir dans un supermarché pour y vendre des lunettes. Puis, à crédit, elle a acheté un local et a fondé sa propre« Optique du Bonheur », où elle consulte et conseille les clients.
Lan dernier, elle a acheté à Léon un studio à Paris, dans le même quartier, avec une petite rénovation. Un chezsoi, enfin.
La poussière recouvrait tout. En essuyant le sol, Claire déplace le canapé ; un téléphone tombe du meuble. Elle ne le retrouve pas immédiatement, le branche alors à la charge.
Chez elle, les yeux embués, elle feuillette les photos du téléphone de Léon: Léon au travail, en vacances avec ses amis, avec sa compagne.
En haut de Viber, un message de Denis, ami de longue date. Une photo dune jeune femme inconnue avec un petit garçon. Le gamin ressemble à sy méprendre à son petitfils, Léon!
« Tu te souviens de la soirée du Nouvel An chez Lena, à luniversité? Elle a une amie qui loue lappartement den face. Jai croisé le petitgarçon, il te ressemble! On a échangé un cliché, comme un souvenir. »
Le message a été envoyé une semaine avant la mort de Léon. Donc son fils savait, et ne la jamais dit à sa mère! Le drame.
Claire sait où vit Denis. Le lendemain, après le travail, elle se rend à ladresse. Le petit garçon, Dimka, court après un vélo et demande à le faire rouler. Claire saccroupit, sadresse à lui :
Tu nas pas de vélo?
Le garçon répond que non.
La mère, à peine vingtetun ans, arrive, le maquillage criard masque à peine son visage.
Qui êtesvous? demande-t-elle.
Je suis sa grandmère, répond Claire, un instant après.
Moi, cest Maïa, sa mère. Enchantée.
Claire les conduit au café du coin ; Dimka commande une glace, elles prennent un café. Maïa raconte quil y a six ans, à seize ans, elle a quitté le village de SaintYves pour venir à Paris et suivre un CAP de couture. À Noël, son amie Léna la invitée chez elle. Léna sortait avec Denis, qui était venu fêter avec son ami Léon. Ce soir-là, Maïa et Léon ont succombé à la tentation. Léon a laissé son téléphone, promettant dappeler, mais il na jamais sonné. Quand Maïa a découvert sa grossesse, elle la cherché. Léon, furieux, la insultée, lui a donné de largent pour interrompre la grossesse et lui a demandé de disparaître de sa vie. Elle ne la plus jamais revu. Elle na pas fini son CAP, a été expulsée du foyer étudiant avec lenfant. Son père et son frère sont alcooliques, sa mère est décédée. Aujourdhui, elle vit dans une petite chambre chez une vieille veuve, garde le bébé pendant quelle travaille dans une fabrique de raviolis. Largent revient à peine, mais elle saccroche.
Le jour suivant, Claire déplace Maïa et Dimka dans le studio de Léon. Une nouvelle vie souvre à elle.
Dimka intègre une crèche privée respectable. Claire doit acheter des vêtements pour Maïa et le petit. Elle passe des heures à soccuper de lui, à le cajoler. Il a les mêmes yeux, les mêmes gestes, même la même obstination que Léon.
Claire devient mentor de Maïa: elle lui enseigne lart du maquillage, lélégance du vêtement, la cuisine, lordre du foyer. En un mot, elle lui transmet tout.
Un soir, assises devant la télévision, Dimka enlace Claire, la serre contre lui et murmure :
Tu es ma préférée, grandmaman.
Claire sent alors le vide qui pesait sur son cœur se dissiper. Le chagrin ne lécrase plus comme un roc. Elle comprend quelle est de nouveau vivant, quil y a de la place pour la joie, grâce à cet enfant, son petitfils.
Deux ans passent. Claire et Maïa accompagnent Dimka à la rentrée en classe de CE1. Maïa travaille désormais comme assistante dans loptique de Claire, indispensable à son commerce.
Maïa a trouvé un compagnon, un homme sérieux, désireux dune relation stable. Claire na rien contre; la vie continue.
Il semble que Maïa sapprête à se marier. Un vieil ami insiste, «Pourquoi pas?» Elle a cinquantequatre ans, une silhouette harmonieuse, un caractère doux. Elle est prête à tourner une nouvelle page.
