Quand mon mari a invité son pote d’armée à squatter « juste une semaine », on s’est tous les deux retrouvés à la rue

13 décembre

Ce soir, jai franchi le seuil de mon appartement, les bras chargés de provisions, et jai senti mon cœur se serrer. Lodeur familière de lessive et de lavande avait disparu, remplacée par un mélange écœurant de tabac gris, dalcool bon marché et de chaussettes oubliées. Là, dans le couloir, un colosse en débardeur distendu et jogging élimé bloquait le passage, affichant un sourire édenté et me tendant une main moite.

Salut, la cheffe ! a-t-il lancé dune voix rauque. Paul ne tarit pas déloges sur toi, il ma parlé de ta beauté et de ton esprit. Moi, cest Antoine, ravi.

Jai esquivé sa poignée de main, filant vers la cuisine, Paul sur mes talons, lair coupable et fébrile.

Camille, je suis désolé de ne pas tavoir prévenue, a-t-il soufflé dès que nous avons été seuls. Cest compliqué La femme dAntoine la mis dehors, il na nulle part où aller. Je lui ai proposé de rester ici une semaine, le temps quil se retourne.

Jai déposé les sacs sur la table, vidée.

Une semaine, Paul ? On vit à deux dans un F2. Il va dormir où, sur le paillasson ?

Ne sois pas dure, a-t-il répliqué, vexé. On installera un lit dappoint dans la cuisine, ou je prendrai le sol, il aura le canapé. Il traverse une sale passe, il a besoin dun coup de main.

Et moi, je dois supporter un inconnu après douze heures de boulot ? Je veux juste souffler, pas enjamber ton copain, ai-je rétorqué, la voix basse mais ferme.

Camille, cest mon frère darmes, on a tout partagé ! Je ne peux pas le laisser dehors. Ce nest quune semaine, promis. Il est discret, tu ne le verras pas.

À ce moment, un rire tonitruant a éclaté du salon, suivi du vacarme de la télé à fond.

Discret, vraiment ? ai-je ironisé.

Il décompresse, cest tout, a balbutié Paul. Sil te plaît, pour moi. Je fais tout pour toi, non ? Supporte-le juste quelques jours.

Jai soupiré. Jaime Paul, même sil se laisse trop influencer. Je nai jamais su refuser mon aide à quelquun dans la détresse.

Daccord, ai-je cédé. Mais pas un jour de plus que lundi. Et pas de beuveries, jai boulot demain.

Tu es un ange ! sest exclamé Paul, membrassant avant de rejoindre Antoine.

Seule, jai rangé les courses. Javais prévu une salade et du poulet rôti, mais il fallait revoir le menu : deux gaillards ne se contenteraient pas de crudités. Jai épluché des pommes de terre, sorti la viande.

Une heure plus tard, jai appelé les hommes à table. Antoine sest installé comme chez lui, a tiré une chaise, sest affalé et a saisi la corbeille à pain.

Ah, du poulet ! a-t-il lancé, ravi. Respect. Ma Lucie, la vipère, me nourrissait de soupes et de légumes. Mais un homme a besoin de viande pour tenir debout !

Il a attrapé le plus gros morceau à pleines mains, engloutissant la viande sans attendre, semant des miettes partout. Jai grimacé, mais me suis tue.

Paul, on na rien à boire pour trinquer à lamitié ? a demandé Antoine, la bouche pleine.

Euh, Antoine, on évite lalcool en semaine a tenté Paul, cherchant mon regard.

Allons, ne fais pas ta poule mouillée ! sest esclaffé Antoine, frappant lépaule de Paul si fort quil a failli tomber dans son assiette. Camille nest pas un dragon, elle comprend. Jai besoin de noyer mon chagrin !

Sans un mot, jai sorti une vieille bouteille de vodka du frigo, la posant sèchement sur la table.

Cest tout ce quil y a. Il ny en aura pas dautre, ai-je lâché dun ton glacial.

Le repas sest déroulé dans une ambiance de camaraderie masculine où je navais pas ma place. Antoine enchaînait les histoires de caserne, ponctuées de plaintes contre les femmes. Paul riait, admiratif. Jai mangé vite, puis me suis réfugiée dans la salle de bain, cherchant un peu de paix.

La nuit a été un supplice. Antoine, fidèle à la promesse de Paul, sest installé sur le canapé. Nous avons déplié un matelas au sol. Jai tourné longtemps, incapable de dormir, assaillie par les ronflements dAntoine qui faisaient vibrer les murs.

Paul, ai-je murmuré dans lobscurité, fais quelque chose, je nen peux plus.

Que veux-tu que je fasse ? Je ne vais pas le réveiller Tourne-toi, tu ty feras, a-t-il répondu, à moitié endormi.

Je ne my suis pas faite. Au matin, je me suis levée brisée, la tête lourde. Dans la cuisine, jai découvert une montagne de vaisselle sale, des miettes partout, la poêle vide. Tout le poulet et les pommes de terre, prévus pour deux jours, avaient disparu.

Ils ont eu faim cette nuit, a expliqué Paul, ensommeillé. Deux hommes, ça mange. Ne ténerve pas, jachèterai des raviolis ce soir.

Paul, je suis en retard, je nai pas le temps de nettoyer tout ça. Faites-le vous-mêmes, ai-je dit, la voix tremblante.

Bien sûr, on sen occupe ! a-t-il promis gaiement.

Le soir, je suis rentrée le cœur lourd, espérant trouver lappartement propre. Mais en ouvrant la porte, jai compris que mes espoirs étaient vains.

De nouvelles chaussures traînaient dans lentrée. Des voix résonnaient du salon : ils étaient trois, peut-être quatre. Lodeur de bière premier prix et doignons frits flottait dans lair.

Jai pénétré dans le salon. Autour de la table basse, Paul, Antoine et deux inconnus. Des canettes, des sachets de chips, du poisson séché jonchaient la table et le sol. La télévision hurlait un match de foot.

Ah, Camille est là ! sest écrié Paul, titubant. On regarde le match ! Antoine a invité des voisins, des gars formidables !

Jai balayé la pièce du regard. Les « formidables » ressemblaient à des habitués du PMU du quartier.

Tout le monde dehors, ai-je dit calmement.

Un silence gêné sest installé, mais personne na bougé. Antoine sest étalé sur le canapé mon canapé, recouvert de mon plaid préféré, désormais taché de gras.

Paul, ta femme est trop stricte, a-t-il ricané. Elle ne laisse pas les hommes respirer. Tu devrais la remettre à sa place.

Paul a rougi, hésitant entre son ami et moi.

Camille, ne fais pas de scène devant tout le monde. Va préparer quelque chose, on termine le match et on sen va. Ne me fais pas honte.

Jai senti le sol se dérober. Mon mari, dordinaire si attentionné, se transformait pour plaire à ce rustre.

Jai dit : tout le monde dehors, ai-je répété plus fort. Cest mon appartement. Je ne tolérerai pas ce squat.

Ton, mon, quelle importance ? On est une famille ! sest indigné Paul, la voix tremblante. Antoine est mon invité, jai le droit !

Antoine sest levé, chancelant, une tête de plus que moi, deux fois plus large.

Écoute, la patronne, baisse dun ton. Ton mari a parlé, va donc à la cuisine et laisse-nous tranquilles.

Je nai pas cédé. Jai sorti mon téléphone.

Vous avez une minute pour partir. Sinon, jappelle la police.

Les voisins, plus lucides, ont ramassé leur bière et filé, marmonnant des excuses.

Antoine a craché sur le tapis mon tapis ! et a lancé à Paul :

Tes vraiment une lavette. Ta femme te mène par le bout du nez. Moi, jaurais vite remis de lordre. Viens, on va fumer sur le palier, ça pue ici.

Ils ont claqué la porte. Je suis restée seule au milieu du chaos. Jai contemplé les écailles de poisson sur la moquette, les taches de bière, la vaisselle entassée. Jai nettoyé, méthodique, animée dune rage froide. Jai ouvert grand les fenêtres pour chasser la puanteur. Quand lappartement a retrouvé un semblant de dignité, il était déjà minuit passé. Paul et Antoine nétaient pas rentrés.

Ils sont revenus à laube, ivres, bruyants, insolents.

Oh, la princesse dort ! a braillé Antoine en entrant. On a fait la fête ! Il fallait bien ça !

Paul gloussait, luttant avec ses lacets.

Je suis sortie de la chambre, en peignoir.

Allez dormir, ai-je dit, lasse. On parlera demain.

Jai pas envie de dormir ! sest emporté Antoine. Je veux continuer la fête ! Paul, mets de la musique !

Il sest approché de la chaîne hi-fi.

Ny pense même pas, ai-je coupé. Il est trois heures. Les voisins vont appeler la police.

Je men fiche des voisins ! Je suis libre ! Antoine, titubant, sest avancé vers moi. Et toi, la poule, ne me donne pas dordres !

Paul, adossé au mur, souriait bêtement.

Antoine, elle a du caractère, a-t-il bredouillé. Une vraie tornade !

Antoine ma agrippé lépaule.

Du caractère ? On va voir ça

Je me suis dégagée, lai repoussé. Il a perdu léquilibre, sest effondré, entraînant le porte-manteau.

Dehors ! ai-je hurlé. Tous les deux, dehors !

Camille, tu me vires, moi ? Ton mari ?

Je nai plus de mari. Juste le compagnon de beuverie de cet ivrogne. Partez !

Va au diable ! a grogné Antoine, se relevant. Paul, on sen va. On na rien à faire dans ce taudis. On va chez Sophie, elle au moins est sympa.

Paul, vacillant, ma lancé un regard incertain.

Camille, tu es sérieuse ? Il fait nuit On va où ?

Peu mimporte. Chez Sophie, chez Marie, à la gare. Laisse les clés sur la table.

Très bien ! sest écrié Paul, piqué au vif. Je men vais ! Tu regretteras, tu viendras me supplier ! On verra bien ! Viens, Antoine ! On nest pas appréciés ici !

Ils sont sortis, sans même prendre leurs affaires. Paul en jean et t-shirt, Antoine dans son éternel survêtement. Jai verrouillé la porte, puis me suis effondrée en larmes.

Les trois jours suivants se sont écoulés dans un silence pesant. Jai pris un congé pour me ressaisir. Jai rassemblé les affaires de Paul dans deux valises, les ai posées dans lentrée. Jattendais. Je savais quils reviendraient.

Ils sont revenus un jeudi soir. Je les ai aperçus par le judas. Ils avaient lair pitoyable. Paul, mal rasé, froissé, arborait un œil au beurre noir. Antoine, blême, tremblait de la tête aux pieds.

Jai entrouvert la porte, la chaîne toujours en place.

Camille, ouvre, a supplié Paul. On doit parler.

Parle à travers la porte.

Camille, arrête. On a dormi dehors, traîné à la gare. On na plus un sou, plus de batterie. Antoine a perdu sa carte. Laisse-nous nous laver, manger. On vient chercher nos affaires et rentrer à la maison.

Antoine na quà retourner chez sa femme. Ou chez Sophie. Toi

Camille, Antoine ne sen sortira pas sans moi ! On est amis !

Amis ? ai-je ironisé. Paul, ton ami a détruit ton couple en trois jours. Il ma insultée, a transformé notre foyer en dépotoir, ta entraîné dans ses excès. Et toi, au lieu de me défendre, tu las suivi. Va avec lui. Soyez amis à la gare.

Tu ne comprends pas ! Cest lamitié masculine !

Et ça, cest la fierté féminine. Et mon appartement. Demain, je change les serrures. Tes affaires sont prêtes, je les sors.

Jai refermé la porte, ôté la chaîne, poussé les valises sur le palier et refermé, les laissant stupéfaits.

Camille ! Tu nas pas le droit ! Cest aussi chez moi ! a hurlé Paul, frappant la porte.

Lappartement vient de ma grand-mère, Paul. Tu las oublié ? Tu nes quen hébergement temporaire. Je te radie par voie légale. Salut !

Je les ai entendus sinvectiver sur le palier. Antoine traitait Paul de « mou », de « dominé ». Paul se justifiait. Puis le silence.

Une semaine plus tard, jai appris par une amie quAntoine était retourné chez sa femme, suppliant à genoux, et quelle lavait repris, mais sous surveillance stricte. Paul, lui, vivait chez sa mère.

Il est revenu plusieurs fois. Sobre, propre, un bouquet à la main. Il attendait devant la porte, demandant pardon, jurant quil avait compris, que tout était la faute dAntoine, que jamais plus

Mais je nai pas ouvert. Je me souvenais du regard méprisant quil mavait lancé, assis à table avec ses compères. Je me rappelais comment il avait laissé un étranger me bousculer. Comment il avait préféré lapprobation dun ivrogne à la paix de notre foyer.

Un soir, alors que Paul attendait sous les fenêtres, je suis sortie sur le balcon.

Paul, pars, ai-je dit calmement. Jai déposé la demande de divorce.

Camille, pour si peu ? Pour une dispute ? On a vécu cinq ans ensemble !

Ce nest pas une dispute, Paul. Tu as laissé entrer la saleté dans notre vie. Et quand jai voulu la chasser, tu las défendue. Je ne peux pas vivre avec un homme qui préfère lavis dun raté à la sérénité de sa femme.

Ce nest pas un raté ! Cest un ami !

Un ami ne détruit pas la famille de son ami. Un ami nhumilie pas la femme de son ami. Ce nest pas un ami, Paul. Cest un parasite. Et tu as été un hôte parfait.

Je suis rentrée, ai fermé la porte-fenêtre. Lappartement était paisible, propre, embaumait le café et la vanille. Je me suis installée dans mon fauteuil, ai ouvert un roman, et pour la première fois depuis longtemps, je me suis sentie vraiment chez moi. Un peu de solitude, mais la sécurité retrouvée. Plus de ronflements, plus de mains sales sur mon poulet, plus de leçons de vie.

Paul et Antoine, eux, ressassaient lhistoire derrière les garages, une bière discount à la main. Antoine répétait que « toutes les femmes sont des pestes », que je manquais dun vrai homme. Paul opinait, mais au fond, face aux murs décrépis et au visage bouffi de son « meilleur ami », il comprenait quil avait troqué un paradis contre ce trou sordide. Mais jamais il nosa lavouer.

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