Quand mon mari a invité son pote d’armée à squatter « juste une semaine », on s’est tous les deux retrouvés à la rue

Ma Clémence, tu comptes rester plantée sur le paillasson ou tu franchis le seuil ? Ne fais pas ta sauvage ! Viens, je te présente Armand, mon vieux copain du service militaire, tu sais, celui dont je tai rabâché les exploits avec le char dassaut ? Eh bien, le voilà, en vrai !

Clémence, les bras engourdis par les sacs de provisions, demeurait figée à lentrée de notre petit appartement, le moral en chute libre. Ce matin encore, lair sentait la lessive à la lavande et la tranquillité ; désormais, cétait un mélange de tabac gris, de chaussettes abandonnées et de lendemain de fête.

Au beau milieu du couloir, barrant laccès au porte-manteau, trônait un géant en marcel distendu et pantalon de survêtement râpé, sourire édenté, qui me tendait une main de déménageur.

Salut la cheffe ! lança-t-il dune voix grave. On ma dit que tétais la perle rare, la crème des épouses. Paul na pas arrêté de men parler. Armand, enchanté !

Clémence acquiesça dun signe de tête, esquiva la poignée, et fila vers la cuisine, suivie de Paul, gêné mais fier de son invité.

Clem, ne fais pas la tête, jai pas eu le temps de tavertir, souffla-t-il dès la porte refermée. Armand sest fait larguer par sa femme, la pauvre. Il na nulle part où aller, alors je lui ai proposé de rester ici quelques jours, le temps quil se retourne ou quil recolle les morceaux.

Clémence déposa les sacs, lair épuisé.

Paul, une semaine ? On vit dans un studio, tu veux le faire dormir où, sur le paillasson ?

Allons, on nest pas des sauvages ! On installera le lit dappoint dans la cuisine, ou je dors par terre, il prend le canapé. Il traverse une mauvaise passe, il faut lépargner, cest la base de lhospitalité.

Et moi, je dois supporter un inconnu dans mon salon ? Je bosse de huit à dix-huit heures, jaspire à autre chose quà slalomer entre tes copains largués.

Allez, Clem, sois pas si dure ! Cest mon frère darmes, on a partagé la même gamelle ! Je peux pas le laisser dehors. Promis, cest juste pour quelques jours, tu le verras à peine.

À ce moment, un rire tonitruant et la télé à fond retentirent du salon.

Dis donc, ton Armand est discret, ironisa Clémence.

Il décompresse, cest tout, balbutia Paul. Pour moi, Clem, fais un effort. Je ten prie.

Clémence soupira. Elle aimait Paul, même sil avait la souplesse dun flan et la manie de vouloir plaire à tout le monde. Et puis, refuser lasile à un naufragé, ce nétait pas son genre.

Daccord. Mais pas un jour de plus. Et pas de beuverie, jai boulot demain.

Tes un ange ! Paul lui claqua une bise et retourna auprès de son acolyte.

Clémence, résignée, rangea les courses. Elle avait prévu une salade légère et un poulet rôti pour le dîner, histoire davoir des restes pour le lendemain. Mais avec deux ogres à table, adieu la diététique, bonjour la purée et la viande grillée.

Quand elle appela les hommes à table, Armand débarqua comme chez lui, tira une chaise, attrapa la corbeille à pain.

Oh, du poulet ! sexclama-t-il, ravi. Chapeau. Ma Solange, elle me nourrissait aux légumes vapeur, soi-disant pour ma santé. Mais un homme, ça carbure à la viande !

Il sempara du plus gros morceau à pleines mains, semant des miettes partout. Clémence grimaça, mais ne dit rien.

Dis donc, Paul, on na rien à trinquer ? demanda Armand, la bouche pleine. Faut fêter ça, non ?

Euh, Armand, on na pas lhabitude de boire en semaine tenta Paul, jetant un œil à sa femme.

Arrête, fais pas ta carpette ! sesclaffa Armand, lui collant une tape qui faillit lenvoyer dans son assiette. Ta femme va pas nous manger, elle comprend bien quon a besoin de se remonter le moral !

Clémence, sans un mot, sortit la vieille bouteille de vodka du frigo, vestige du Nouvel An, et la posa sur la table avec un bruit sec.

Voilà tout ce quil y a. Et il ny en aura pas dautre.

Le dîner vira au club de mecs, Clémence reléguée au rang de pot de fleurs. Armand enchaînait les anecdotes militaires et les jérémiades sur les femmes, Paul buvait ses paroles, hilare. Clémence expédia son repas et fila senfermer dans la salle de bain, savourant le silence.

La nuit fut un supplice. Armand, fidèle à la promesse de Paul, sétala sur le canapé, les époux sur un matelas au sol. Clémence chercha le sommeil, mais le ronflement dArmand faisait vibrer les murs.

Paul, fais quelque chose, je vais devenir folle.

Je vais pas le réveiller, non plus Essaie de ty faire.

Clémence ne sy fit pas. Au matin, elle émergea en vrac, migraineuse. Dans la cuisine, surprise : vaisselle sale, miettes, poêle vide. Le poulet et la purée, engloutis.

Ils ont eu un petit creux cette nuit, expliqua Paul, ensommeillé. Faut les comprendre, ils ont de lappétit. Ce soir, jachète des raviolis.

Paul, je suis à la bourre, je peux pas laver tout ça. Débrouillez-vous.

Bien sûr, tinquiète ! promit-il, la bouche en cœur.

Le soir, Clémence rentra, lespoir dun appartement propre en bandoulière. Raté. Dans lentrée, des chaussures inconnues. Du salon, des voix, des rires, lodeur doignons frits et de bière premier prix.

Autour de la table basse, Paul, Armand et deux énergumènes. Bouteilles, chips, poisson séché, écailles sur le tapis, la télé hurlant un match de foot.

Ah, Clem est là ! Paul, titubant, se leva. On regarde le match, Armand a invité les voisins, des gars formidables !

Clémence balaya la scène du regard. Les « gars formidables » avaient la tête de piliers de PMU.

Tout le monde dehors, dit-elle calmement.

Silence gêné, personne ne bouge. Armand, royal, sétale sur SON canapé, SON plaid désormais maculé.

Dis donc, Paul, ta femme, cest la police ? Elle laisse même pas les hommes respirer. Faudrait la dresser un peu, non ?

Paul rougit, tiraillé entre la virilité de pacotille et la peur du courroux conjugal.

Clem, tu vas pas faire un scandale devant les copains ? Va donc nous préparer un truc, on termine le match et on file. Me fous pas la honte.

Clémence sentit le sol se dérober. Son Paul, si attentionné dhabitude, se transformait en ado mal dégrossi pour épater la galerie.

Jai dit : tout le monde dehors. Cest chez moi ici, pas un squat.

Chez toi, chez moi, quelle importance ? On est une famille ! sindigna Paul, la voix tremblante. Armand est mon invité, jai mon mot à dire !

Armand se leva, chancelant, deux fois plus large quelle.

Oh, la patronne, baisse dun ton. Ton mari a parlé, tu files en cuisine. Laisse les hommes vivre.

Clémence ne broncha pas. Elle sortit son portable.

Vous avez une minute pour dégager. Après, jappelle les flics.

Les voisins, plus vifs quArmand, ramassèrent leur bière et filèrent, bredouillant des excuses bidon.

Armand cracha sur le tapis (le sien !), toisa Paul.

Tes vraiment une lavette, Paul. Ta femme te mène à la baguette. Moi, jaurais pas toléré ça. Viens, on va fumer sur le palier, ça pue ici.

Ils claquèrent la porte. Clémence, seule au milieu du champ de bataille, contempla les dégâts : écailles, taches de bière, vaisselle en montagne. Elle se mit à briquer, rageuse, aérant à tout va. Quand lappart retrouva figure humaine, il était minuit passé. Les deux compères nétaient pas rentrés.

Ils débarquèrent à laube, joyeux, éméchés, sans gêne.

Oh, la princesse dort ! beugla Armand. On a fait la fête, fallait bien ça !

Paul, hilare, luttait avec ses lacets.

Clémence, en peignoir, sortit de la chambre.

Allez, au lit. On parlera demain.

Jai pas sommeil, moi ! sénerva Armand. Je veux remettre ça ! Paul, où est la sono ? Mets-nous un peu dambiance !

Il fonça vers la chaîne hi-fi.

Ny pense même pas. Il est trois heures, les voisins vont appeler la police.

Les voisins, je men fiche ! Je suis libre ! Armand, titubant, sapprocha de Clémence. Et toi, la poule, tu me donnes pas dordres !

Paul, adossé au mur, souriait bêtement.

Armand, elle a du caractère, hein ! marmonna-t-il. Une vraie tornade !

Armand agrippa Clémence.

Du caractère ? On va voir ça

Clémence se dégagea, le repoussa. Il sétala par terre, renversant le portemanteau.

Dehors ! Les deux, dehors !

Quoi, Clem ? Tu me vires, moi ? Ton mari ?

Jai plus de mari. Juste un compagnon de beuverie. Dehors !

Va te faire voir ! Armand, vexé, se releva. Paul, on se tire. On va chez Brigitte, elle au moins, elle est sympa.

Paul, titubant, hésita.

Clem, tes sérieuse ? Il fait nuit

Je men fiche. Chez Brigitte, chez Paulette, à la gare. Laisse les clés.

Ah ouais ? Paul, piqué au vif, se rengorgea. Très bien ! Je pars ! Tu regretteras, tu me supplieras de revenir ! On verra bien ! Viens, Armand, on nest pas appréciés ici !

Ils claquèrent la porte, Paul en jean et t-shirt, Armand en jogging. Clémence verrouilla, seffondra contre la porte et pleura.

Trois jours de silence suivirent. Clémence prit un congé, fit ses valises, les posa dans lentrée. Elle attendait. Elle savait quils reviendraient.

Jeudi soir, ils étaient là. Clémence les vit par le judas : Paul mal rasé, œil au beurre noir, Armand tremblant, la mine défaite.

Elle ouvrit, la chaîne en place.

Clem, laisse-nous entrer, faut quon parle.

Parle à travers la porte.

Clem, arrête, on a dormi dehors, squatté la gare, plus un sou, plus de batterie, Armand a perdu sa carte. Laisse-nous nous laver, manger. On vient chercher nos affaires et moi, je veux rentrer.

Armand na quà aller chez sa femme. Toi

Clem, Armand sans moi, il sen sortira pas ! On est amis !

Amis ? ricana Clémence. Ton pote a flingué ton couple en trois jours. Il ma insultée, a transformé notre appart en porcherie, ta embarqué dans ses beuveries. Et toi, tu las suivi, tu mas laissée tomber. Va avec lui, faites la paire à la gare.

Clem, tu comprends rien ! Cest lamitié virile !

Et ça, cest la fierté féminine. Et mon appart. Dailleurs, je change les serrures demain. Tes affaires sont prêtes.

Elle referma, poussa les valises sur le palier, et claqua la porte au nez des deux compères.

Clem ! Tas pas le droit ! Cest à nous deux ! hurla Paul.

Lappart, cest un héritage de ma grand-mère, Paul. Tes juste en colocation temporaire. Je te radie, ciao !

Elle les entendit sengueuler sur le palier. Armand traitait Paul de « poire », Paul se justifiait. Puis silence.

Une semaine plus tard, Clémence apprit quArmand avait rampé chez sa femme, juré quil arrêtait tout, et sétait fait confisquer son portefeuille. Paul, lui, squattait chez sa mère.

Il revint plusieurs fois, sobre, des fleurs à la main, suppliant sur le palier. Mais Clémence nouvrit pas. Elle se souvenait trop bien de son regard méprisant, de la façon dont il avait laissé un étranger la rabaisser, de son choix du « prestige viril » plutôt que du foyer.

Un soir, alors que Paul campait sous les fenêtres, Clémence sortit sur le balcon.

Paul, rentre chez toi. Jai demandé le divorce.

Clem, pour si peu ? Une dispute ? On a vécu cinq ans ensemble !

Pas pour une dispute, Paul. Pour avoir laissé entrer la crasse dans notre vie, et avoir choisi la crasse plutôt que moi. Je ne peux pas vivre avec un homme qui préfère lavis dun ivrogne à la paix de sa femme.

Cest pas un ivrogne, cest un ami !

Un ami ne détruit pas la famille de son ami. Un ami nhumilie pas la femme de son ami. Cest un parasite, Paul. Et toi, tétais un hôte parfait.

Elle rentra, ferma la porte-fenêtre. Lappartement était paisible, sentait le café et la vanille. Clémence sinstalla dans son fauteuil, ouvrit un livre, et pour la première fois depuis longtemps, se sentit vraiment chez elle. Un peu seule, certes, mais en sécurité. Plus de ronflements, plus de poulet dévoré à la main, plus de leçons de vie.

Paul et Armand, eux, continuaient à refaire le monde derrière les garages, canette de bière à la main. Armand répétait que « toutes les femmes sont des pestes » et que Clémence avait juste besoin dun vrai mec. Paul opinait, mais au fond, face au mur décrépi et à la mine défaite de son « meilleur pote », il savait quil avait troqué son petit paradis contre un taudis froid et sale. Mais ça, il nosait pas lavouer.

Abonnez-vous et mettez un pouce bleu si, vous aussi, vous pensez quun foyer, ça se protège des envahisseurs. Et racontez donc en commentaire ce que vous auriez fait à la place de Clémence.

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Quand mon mari a invité son pote d’armée à squatter « juste une semaine », on s’est tous les deux retrouvés à la rue
Tout le monde a ri quand j’ai aidé un vieux monsieur dans une boutique de chaussures de luxe — jusqu’à ce qu’il sorte quelque chose de sa poche.