Un soir après le divorce Lorsque Katia sortit du tribunal, elle fut surprise de ne ressentir ni agitation ni désespoir comme le matin – au contraire, des pensées tout à fait étrangères lui traversaient l’esprit : la coiffure étrange de la juge, la douceur inhabituelle de cette journée d’octobre, ou ce que faisait Sasha à cet instant, s’il embêtait beaucoup sa grand-mère. Sergueï la rattrapa à l’arrêt de bus : — Voilà, enfin, tout est terminé… Comment va le petit ? — Bien, répondit brièvement Katia. — Alors je file. On m’attend. « Elle t’attend », pensa Katia, mais toujours sans émotion. C’était comme un choc, quand une blessure grave ne fait pas mal tout de suite. La douleur viendrait plus tard… Elle ne voulut pas attendre le bus et se dirigea à pied vers la gare. Marcher dans ces rues familières l’apaisait, lui donnait l’impression que rien n’avait changé, qu’elle rentrait simplement chez elle comme avant… Mais elle aurait mieux fait de prendre le minibus. En arrivant près de la gare routière, Katia vit le bus rouge et blanc familier s’éloigner lentement du quai. Elle courut, agita la main, mais le chauffeur ne la vit pas ou ne voulut pas s’arrêter. « Quelle journée… Et maintenant, que faire ? » Elle appela chez elle, apprit que Sasha était sage, et expliqua qu’elle avait raté le bus. Elle serait là demain matin. « Je raconterai tout le reste à la maison », dit-elle à sa mère avant de raccrocher. *** — Katia, ça fait une éternité ! s’exclama Nadia en ouvrant la porte. Elle avait beaucoup changé depuis leur dernière rencontre : devenue blonde, amincie, son ancienne camarade de classe ressemblait à un mannequin, surtout à côté de Katia, vêtue simplement. — Nadia, laisse-moi dormir ici, dit l’invitée. Tu comprends, je viens de divorcer et j’ai raté mon bus. Elle lâcha la nouvelle dès le seuil, pour éviter les questions inévitables sur Sergueï et Sasha. Qu’on demande pour le petit, ça ne la dérangeait pas. Katia était fière de son fils – il était le meilleur, le plus intelligent (comme chaque mère le pense de son enfant). — Entre, ne reste pas sur le pas de la porte, bavarda Nadia, prenant Katia par la main et la menant doucement, comme une malade, dans la chambre. — On va dîner. — Et Maxime, il est où ? demanda Katia. — En déplacement. Tant mieux, il ne nous dérangera pas. On va papoter comme au bon vieux temps. Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vues ? — Plus d’un an, je crois. Depuis mon congé maternité… — Alors, il grandit bien ton petit bonhomme ? Nadia dressait la table rapidement, sortit une bouteille de vin blanc – il fallait fêter leurs retrouvailles. La conversation peinait à démarrer. Elles évoquaient leurs années d’école, les anciens camarades – ce qu’ils étaient devenus, mais évitaient les sujets personnels. Que ce soit à cause du vin bu à jeun ou de la possibilité enfin de parler à quelqu’un d’autre que ses parents ou sa sœur, Katia ressentit soudain le besoin de se confier. Nerveusement, elle triturait une serviette en papier et raconta à son amie son histoire triste, qu’elle n’avait jamais partagée avec personne. *** Après le collège, Katia n’avait pas trouvé de travail dans sa spécialité. Dans son village, c’était impossible, et même au chef-lieu, compliqué. Une voisine lui proposa d’aller tenter sa chance à Paris : là-bas, on cherchait toujours des bras, et les salaires étaient meilleurs. Les filles devinrent serveuses dans un petit café. Le travail était dur, mais les patrons payaient bien. Au bout d’un moment, Katia fut promue manager (le métier indiqué sur son diplôme). Mais elle eut des problèmes de logement. Dans aucune des chambres louées, elle ne resta longtemps. Les propriétaires étaient tous particuliers : une vieille dame un peu folle, un oncle qui draguait ouvertement les jeunes locataires… Cela dura jusqu’à ce qu’un collègue lui propose de louer ensemble un deux-pièces et de partager le loyer. Après réflexion, Katia accepta. Elle et Sergueï étaient de bons amis, à l’époque Katia voyait quelqu’un d’autre. Mais sans s’en rendre compte, l’amitié et la colocation devinrent une histoire d’amour. Grand, beau, Sergueï conquit le cœur de Katia. Presque chaque jour, il lui offrait des fleurs, des cadeaux, ils partirent ensemble à la mer. Katia se sentait heureuse comme jamais. Mais ce bonheur fut de courte durée. Après quelques mois de vie commune, Sergueï changea. Il rentrait du travail silencieux, morose, et à toutes ses questions sur son humeur, il répondait : « Tout va bien, ne t’inquiète pas ! » Mais Katia sentait qu’il y avait un problème. Elle insista jusqu’à ce que Sergueï avoue : il était tombé amoureux d’une autre. — Je l’aime tellement… Je ne peux pas vivre sans elle, se plaignait-il. — Et moi alors ? Katia n’arrivait pas à croire que son amoureux parlait sérieusement. — Tu es merveilleuse ! Mais je t’aime autrement, comme une sœur. Katia, dis-moi, en tant que femme, que dois-je faire ? — Va au diable ! s’écria-t-elle, se réfugiant dans la salle de bain pour cacher ses larmes. Ils ne se parlèrent pas pendant quelques jours. Puis Sergueï fit le premier pas vers la réconciliation. Il s’avéra que l’objet de sa passion ne lui rendait pas ses sentiments. Et Katia était toujours là – gentille, aimante, attentionnée. Elle pardonna tout, mais au fond d’elle, l’inquiétude s’installa. Katia hésitait – rester avec Sergueï et vivre dans l’angoisse, ou mieux vaut être seule ? Tout s’éclaircit lors de la visite médicale obligatoire pour le travail. Elle rentra bouleversée. — Sergueï, il faut que je te dise quelque chose. — dit-elle en entrant. — Nous allons avoir un enfant… — Alors, marions-nous, répondit-il simplement. *** Le mariage eut lieu dans son village. Katia travailla à Paris jusqu’à son congé maternité. Elle revint chez ses parents pour accoucher. L’accouchement fut difficile, mais son petit garçon fut la récompense de toutes ses épreuves. Sergueï prit un mois de congé et vécut avec eux, aidant sa femme en tout. Mais le temps passa, il retourna à Paris. Au début, il appelait Katia tous les jours, ils parlaient longtemps, il venait chaque week-end voir Katia et leur fils. Puis il vint moins souvent, prétextant le prix des billets. Les appels se firent rares. Et six mois plus tard, lors d’une visite au village, Sergueï dit à Katia : — Il faut qu’on parle en tête-à-tête. Katia tenait son fils dans les bras. Son cœur battait plus vite, comme si elle pressentait un malheur. Et elle ne se trompait pas. Le cauchemar vécu un an plus tôt se répétait mot pour mot. — Je l’aime tellement, je ne peux pas vivre sans elle… disait Sergueï. Katia ne demanda plus : « Et moi alors ? » Elle se tut. Elle murmura seulement : — As-tu pensé à ton fils ? Il a besoin de son père. — Je n’abandonnerai pas Sasha. Il est le deuxième dans ma vie. Après elle. Et toi, le troisième… — Tu vois, j’ai même la médaille de bronze, sourit tristement Katia. Puis elle fit une crise. Sa mère accourut, affolée. Katia poussait son mari vers la porte : — Va retrouver ta maîtresse ! Et ne reviens plus jamais ici ! Dans la chambre voisine, son fils se réveilla en pleurant. Sur le seuil, Sergueï se retourna : — Alors, je demande le divorce ? — demanda-t-il, comme si son accord ou son refus pouvaient changer quelque chose. *** Après la seconde trahison de son mari, Katia sombra dans la dépression. Elle ne se souvient plus si elle mangeait, dormait, elle errait comme dans un brouillard… Sans ses parents, sa sœur, et surtout Sasha, elle aurait pu commettre l’irréparable. Elle se sentit particulièrement mal en recevant la convocation au tribunal. Ce jour-là, elle alla dans le village voisin voir une voyante, pour savoir quoi faire. Devait-elle accepter le divorce ? La loi lui permettait de refuser, car son fils n’avait pas encore un an. La vieille femme tira les cartes et dit à Katia : « Ton mari a été ensorcelé par une autre. Je peux faire en sorte qu’il revienne. Mais tu ne seras pas heureuse avec lui. Ce n’est pas ton homme. Il t’a trompée une fois, il recommencera. » — Et aujourd’hui, on nous a divorcés, conclut Katia son récit. — Maintenant, je ne sais pas comment vivre. Comment Sasha va-t-il le prendre ? Que lui dirai-je quand il demandera : “Où est mon papa ?” — Tu es bête, Katia ! s’assombrit soudain Nadia. — Tu devrais te réjouir d’être encore jeune, de ne pas avoir sacrifié tes plus belles années pour lui. Tu as la santé, l’intelligence, tes parents t’aident… Et des hommes, il y en aura encore assez pour nous. — Facile à dire, ton Maxime n’est pas parti voir ailleurs… — Tu ne me croiras pas, mais s’il le faisait, je lui ferais même un signe d’adieu. Ces derniers temps, il rentre presque tous les jours “éméché”, et commence à vouloir savoir qui commande à la maison… Ses reproches m’agacent, mais je n’ai nulle part où aller. Mes parents sont loin, ma fille est petite, je n’ai pas de travail… — Existe-t-il des hommes honnêtes et normaux ? s’échappa Katia. — Qui sait ? répondit Nadia en haussant les épaules, puis elle alla dans la chambre voisine voir si l’enfant ne s’était pas réveillée. Katia resta assise à la table, la tête dans les bras. Une lourde, grise désespérance, comme un brouillard d’automne, envahissait son cœur. *** Le lendemain matin, en descendant du bus, elle aperçut tout de suite deux silhouettes familières : sa mère tenait Sasha dans les bras. En voyant Katia, son fils tendit les bras vers elle et gazouilla joyeusement. — Bonjour, mon trésor ! — elle le serra dans ses bras, et il s’accrocha fort à son cou, de sa petite main, et de l’autre, il commença à lui ébouriffer les cheveux. — Regarde ce que je t’ai rapporté, — elle lui tendit une voiture-jouet achetée au kiosque de la gare. — C’est de la part de papa ( “Et Sergueï n’a même pas pensé à lui donner des bonbons”, pensa-t-elle). — Pa-pa-pa, gazouilla Sasha, et des larmes involontaires montèrent aux yeux de Katia. — Comment vas-tu, ma fille ? demanda sa mère avec compassion. — Tout va bien, répondit Katia en souriant. “Je dois être forte. Je tiendrai pour eux”, se répétait-elle comme une formule magique. Et à voix haute : — Allons à la maison, maman. Vous m’avez tellement manqué…

10 octobre, Lyon

En quittant le tribunal, je ne ressens ni agitation ni accablement, contrairement à leffervescence matinale. Mon regard sattarde sur des détails anodins : la coiffure extravagante de la juge, la douceur inhabituelle de lautomne, et la pensée que ma petite Éléonore doit sûrement taquiner sa grand-mère à cet instant précis.

À larrêt, je retrouve mon ex-femme, Camille.
Voilà, cest terminé Comment va Éléonore ?
Elle va bien, répond-elle brièvement.
Je dois filer, on mattend.
« On lattend », me dis-je, sans éprouver la moindre émotion. Cest ce moment suspendu après la blessure, avant que la souffrance ne sinstalle. Elle finira par surgir

Plutôt que dattendre le bus, je choisis de marcher vers la gare. Arpenter ces rues familières me donne lillusion dun retour à la normalité, comme si je rentrais chez moi, comme autrefois. Pourtant, jaurais dû prendre le bus. Près de la gare routière, japerçois le car rouge et blanc qui séloigne. Je cours, je fais signe, mais le chauffeur ne ralentit pas. « Quelle journée Que faire maintenant ? » me dis-je.

Jappelle la maison, japprends quÉléonore est sage, et jannonce que jai raté le car. Je rentrerai demain matin. « Je raconterai le reste à la maison », dis-je à ma mère avant de raccrocher.

***
Ma chère Camille, quelle éternité ! sexclame mon amie Nadège en ouvrant la porte. Elle a beaucoup changé : désormais blonde, plus fine, elle ressemble presque à un mannequin à côté de Camille, habillée simplement.
Nadège, laisse-moi dormir ici ce soir, dit Camille. Je viens de divorcer et jai manqué le car.
Elle lâche la nouvelle dès le seuil, pour éviter les questions sur moi ou Éléonore. Que lon demande des nouvelles de la petite, cela ne la dérange pas. Camille est fière de sa fille la plus brillante, la plus adorable (comme toutes les mères le pensent).

Entre, ne reste pas dehors, bavarde Nadège, la guidant vers le salon comme on le ferait avec une convalescente. On va dîner.
Et où est Paul ? demande Camille.
En déplacement. Tant mieux, il ne nous dérangera pas. On va papoter comme avant. Ça fait combien de temps ?
Plus dun an, je crois. Depuis mon congé maternité
Alors, elle grandit bien ta petite Éléonore ? Nadège dresse la table, sort une bouteille de Chardonnay il faut fêter ces retrouvailles.

La conversation peine à démarrer. On évoque le lycée, les anciens amis, leurs parcours, mais on évite les sujets personnels. Peut-être à cause du vin bu à jeun, ou simplement parce que Camille a enfin loccasion de se confier à quelquun dautre que ses proches, elle ressent le besoin de tout livrer. Nerveusement, elle tripote une serviette, révélant à son amie son histoire douloureuse, jamais racontée auparavant.

***
Après ses études, Camille na pas trouvé demploi dans son domaine. Dans son village, cétait impossible, et même à Villeurbanne, cétait compliqué. Une voisine lui a conseillé Paris, où les postes sont plus nombreux et mieux payés. Les filles décrochent un poste de serveuses dans un petit bistrot. Le travail est rude, mais le patron paie correctement. Rapidement, Camille devient responsable, son diplôme enfin utile. Mais côté logement, la malchance persiste : aucune chambre louée ne lui convient longtemps. Les propriétaires sont tous particuliers : une vieille dame fantasque, un oncle trop entreprenant

Cela dure jusquà ce quun collègue propose de partager un appartement deux pièces, chacun payant la moitié du loyer. Camille hésite, puis accepte. Elle et Julien sont de bons amis, à lépoque elle fréquente quelquun dautre. Mais sans sen rendre compte, leur amitié et leur colocation deviennent une romance. Grand, élégant, Julien conquiert son cœur. Il lui offre des fleurs, des présents, ils partent ensemble à la mer. Camille na jamais été aussi heureuse, mais ce bonheur est de courte durée.

Après quelques mois de vie commune, Julien change.
Il rentre du travail taciturne, évite les questions, répond : « Tout va bien, ne tinquiète pas ! » Mais Camille sent que quelque chose ne va pas. Elle insiste, jusquà ce quil avoue aimer une autre femme.
Je laime tellement Je ne peux pas vivre sans elle, se lamente-t-il.
Et moi alors ? Camille narrive pas à croire quil soit sérieux.
Tu es merveilleuse ! Mais je taime autrement, comme une sœur. Camille, dis-moi, en tant que femme, que dois-je faire ?
Va au diable ! crie-t-elle, se réfugiant dans la salle de bain pour cacher ses larmes.

Ils ne se parlent plus pendant plusieurs jours. Puis Julien tente une réconciliation. Il savère que lautre femme ne partage pas ses sentiments. Camille est toujours là, gentille, aimante, attentionnée. Elle pardonne, mais au fond delle, linquiétude sest installée. Doit-elle rester avec Julien et vivre dans lincertitude, ou vaut-il mieux être seule ? Un examen médical pour le travail met tout au clair. Elle rentre bouleversée.
Julien, il faut que je te dise quelque chose. Nous allons avoir un enfant
Alors, marions-nous, répond-il simplement.

***
Le mariage a lieu dans son village. Camille travaille à Paris jusquà son congé maternité.
Elle accouche chez ses parents. Laccouchement est difficile, mais la naissance de sa fille est une récompense pour toutes ses épreuves. Julien prend un mois de congé pour laider, puis retourne à Paris. Au début, il appelle chaque jour, ils parlent longtemps, il vient chaque week-end voir Camille et Éléonore. Puis ses visites se font plus rares, prétextant le prix des billets. Les appels aussi se raréfient. Six mois plus tard, lors dune visite, Julien lui dit :
Il faut quon parle en privé.
Camille tient sa fille dans les bras. Son cœur saccélère, pressentant le pire. Et elle ne se trompe pas. Le cauchemar dun an plus tôt se répète, mot pour mot.
Je laime tellement, je ne peux pas vivre sans elle dit Julien.
Camille ne demande plus : « Et moi alors ? »
Elle se tait, lâchant simplement :
As-tu pensé à ta fille ? Elle a besoin de son père.
Je nabandonnerai pas Éléonore. Elle compte pour moi, juste après elle. Et toi tu es troisième.
Tiens, jai même la médaille de bronze, ironise-t-elle, amère.

Puis elle a une crise de nerfs. Sa mère accourt, affolée. Camille pousse Julien vers la porte :
Va retrouver ta maîtresse ! Et ne reviens plus jamais ici !
Dans la chambre, la petite sest réveillée et pleure.

Sur le seuil, Julien se retourne :
Je demande le divorce ? demande-t-il, comme si son accord pouvait changer quoi que ce soit.

***
Après cette seconde trahison, Camille sombre dans la dépression. Elle ne se souvient plus si elle mange, dort, elle erre comme dans un brouillard Sans ses parents, sa sœur, et surtout sa fille Éléonore, elle aurait pu commettre lirréparable. Le pire est le jour où elle reçoit la convocation au tribunal. Ce jour-là, elle va dans le village voisin consulter une voyante, espérant un conseil. Doit-elle accepter le divorce ? La loi lui permet de refuser, car la petite na pas encore un an.

La vieille femme tire les cartes et dit : « Ton mari a été ensorcelé par une autre. Je peux le faire revenir, mais tu ne seras pas heureuse avec lui. Ce nest pas ton homme. Il ta trompée une fois, il recommencera. »

Aujourdhui, on nous a séparés, conclut Camille. Je ne sais pas comment continuer. Comment Éléonore va-t-elle réagir ? Que lui dirai-je quand elle demandera : « Où est mon papa ? »
Tu es bête, Camille ! sassombrit soudain Nadège. Tu devrais te réjouir dêtre encore jeune, de ne pas avoir sacrifié tes plus belles années pour lui. Tu as la santé, lintelligence, tes parents te soutiennent Et des hommes, il y en aura encore assez pour nous.
Facile à dire, toi, Paul ne ta pas quittée
Tu ne me croiras pas, mais sil le faisait, je lui ferais signe de la main en partant. Ces derniers temps, il rentre presque chaque soir ivre, commence à vouloir imposer sa loi Jen ai assez de ses reproches, mais je nai nulle part où aller. Mes parents sont loin, ma fille est petite, je nai pas de travail
Existe-t-il seulement des hommes honnêtes et normaux ? séchappe Camille.
Qui sait ? répond Nadège en haussant les épaules, puis elle va voir si sa fille sest réveillée. Camille reste seule à la table, la tête dans les bras. Un brouillard gris et lourd, comme la brume dautomne, envahit son cœur.

***
Le lendemain matin, en descendant du car, japerçois tout de suite deux silhouettes familières à larrêt : ma mère tient Éléonore dans ses bras. En me voyant, ma fille tend ses petites mains vers moi, babillant de joie.
Salut, ma puce ! Je la serre fort, elle saccroche à mon cou dune main, de lautre elle commence à ébouriffer mes cheveux.
Regarde ce que je tai rapporté, lui tends-je une petite voiture achetée au kiosque de la gare. Cest de la part de papa (et Julien na même pas pensé à lui envoyer des bonbons, me dis-je).
Pa-pa-pa, gazouille Éléonore, et mes yeux se remplissent à nouveau de larmes.
Comment vas-tu, mon fils ? demande ma mère avec tendresse.
Tout va bien, souris-je. « Je dois rester fort. Je tiendrai pour elles », me répète-je intérieurement comme une prière.
À voix haute, je dis :
Rentrons à la maison, maman. Vous mavez tellement manqué

Ce soir-là, je comprends que la douleur ne met pas fin à la vie. On trouve la force de continuer, pour ceux qui comptent vraiment.

Оцените статью
Un soir après le divorce Lorsque Katia sortit du tribunal, elle fut surprise de ne ressentir ni agitation ni désespoir comme le matin – au contraire, des pensées tout à fait étrangères lui traversaient l’esprit : la coiffure étrange de la juge, la douceur inhabituelle de cette journée d’octobre, ou ce que faisait Sasha à cet instant, s’il embêtait beaucoup sa grand-mère. Sergueï la rattrapa à l’arrêt de bus : — Voilà, enfin, tout est terminé… Comment va le petit ? — Bien, répondit brièvement Katia. — Alors je file. On m’attend. « Elle t’attend », pensa Katia, mais toujours sans émotion. C’était comme un choc, quand une blessure grave ne fait pas mal tout de suite. La douleur viendrait plus tard… Elle ne voulut pas attendre le bus et se dirigea à pied vers la gare. Marcher dans ces rues familières l’apaisait, lui donnait l’impression que rien n’avait changé, qu’elle rentrait simplement chez elle comme avant… Mais elle aurait mieux fait de prendre le minibus. En arrivant près de la gare routière, Katia vit le bus rouge et blanc familier s’éloigner lentement du quai. Elle courut, agita la main, mais le chauffeur ne la vit pas ou ne voulut pas s’arrêter. « Quelle journée… Et maintenant, que faire ? » Elle appela chez elle, apprit que Sasha était sage, et expliqua qu’elle avait raté le bus. Elle serait là demain matin. « Je raconterai tout le reste à la maison », dit-elle à sa mère avant de raccrocher. *** — Katia, ça fait une éternité ! s’exclama Nadia en ouvrant la porte. Elle avait beaucoup changé depuis leur dernière rencontre : devenue blonde, amincie, son ancienne camarade de classe ressemblait à un mannequin, surtout à côté de Katia, vêtue simplement. — Nadia, laisse-moi dormir ici, dit l’invitée. Tu comprends, je viens de divorcer et j’ai raté mon bus. Elle lâcha la nouvelle dès le seuil, pour éviter les questions inévitables sur Sergueï et Sasha. Qu’on demande pour le petit, ça ne la dérangeait pas. Katia était fière de son fils – il était le meilleur, le plus intelligent (comme chaque mère le pense de son enfant). — Entre, ne reste pas sur le pas de la porte, bavarda Nadia, prenant Katia par la main et la menant doucement, comme une malade, dans la chambre. — On va dîner. — Et Maxime, il est où ? demanda Katia. — En déplacement. Tant mieux, il ne nous dérangera pas. On va papoter comme au bon vieux temps. Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vues ? — Plus d’un an, je crois. Depuis mon congé maternité… — Alors, il grandit bien ton petit bonhomme ? Nadia dressait la table rapidement, sortit une bouteille de vin blanc – il fallait fêter leurs retrouvailles. La conversation peinait à démarrer. Elles évoquaient leurs années d’école, les anciens camarades – ce qu’ils étaient devenus, mais évitaient les sujets personnels. Que ce soit à cause du vin bu à jeun ou de la possibilité enfin de parler à quelqu’un d’autre que ses parents ou sa sœur, Katia ressentit soudain le besoin de se confier. Nerveusement, elle triturait une serviette en papier et raconta à son amie son histoire triste, qu’elle n’avait jamais partagée avec personne. *** Après le collège, Katia n’avait pas trouvé de travail dans sa spécialité. Dans son village, c’était impossible, et même au chef-lieu, compliqué. Une voisine lui proposa d’aller tenter sa chance à Paris : là-bas, on cherchait toujours des bras, et les salaires étaient meilleurs. Les filles devinrent serveuses dans un petit café. Le travail était dur, mais les patrons payaient bien. Au bout d’un moment, Katia fut promue manager (le métier indiqué sur son diplôme). Mais elle eut des problèmes de logement. Dans aucune des chambres louées, elle ne resta longtemps. Les propriétaires étaient tous particuliers : une vieille dame un peu folle, un oncle qui draguait ouvertement les jeunes locataires… Cela dura jusqu’à ce qu’un collègue lui propose de louer ensemble un deux-pièces et de partager le loyer. Après réflexion, Katia accepta. Elle et Sergueï étaient de bons amis, à l’époque Katia voyait quelqu’un d’autre. Mais sans s’en rendre compte, l’amitié et la colocation devinrent une histoire d’amour. Grand, beau, Sergueï conquit le cœur de Katia. Presque chaque jour, il lui offrait des fleurs, des cadeaux, ils partirent ensemble à la mer. Katia se sentait heureuse comme jamais. Mais ce bonheur fut de courte durée. Après quelques mois de vie commune, Sergueï changea. Il rentrait du travail silencieux, morose, et à toutes ses questions sur son humeur, il répondait : « Tout va bien, ne t’inquiète pas ! » Mais Katia sentait qu’il y avait un problème. Elle insista jusqu’à ce que Sergueï avoue : il était tombé amoureux d’une autre. — Je l’aime tellement… Je ne peux pas vivre sans elle, se plaignait-il. — Et moi alors ? Katia n’arrivait pas à croire que son amoureux parlait sérieusement. — Tu es merveilleuse ! Mais je t’aime autrement, comme une sœur. Katia, dis-moi, en tant que femme, que dois-je faire ? — Va au diable ! s’écria-t-elle, se réfugiant dans la salle de bain pour cacher ses larmes. Ils ne se parlèrent pas pendant quelques jours. Puis Sergueï fit le premier pas vers la réconciliation. Il s’avéra que l’objet de sa passion ne lui rendait pas ses sentiments. Et Katia était toujours là – gentille, aimante, attentionnée. Elle pardonna tout, mais au fond d’elle, l’inquiétude s’installa. Katia hésitait – rester avec Sergueï et vivre dans l’angoisse, ou mieux vaut être seule ? Tout s’éclaircit lors de la visite médicale obligatoire pour le travail. Elle rentra bouleversée. — Sergueï, il faut que je te dise quelque chose. — dit-elle en entrant. — Nous allons avoir un enfant… — Alors, marions-nous, répondit-il simplement. *** Le mariage eut lieu dans son village. Katia travailla à Paris jusqu’à son congé maternité. Elle revint chez ses parents pour accoucher. L’accouchement fut difficile, mais son petit garçon fut la récompense de toutes ses épreuves. Sergueï prit un mois de congé et vécut avec eux, aidant sa femme en tout. Mais le temps passa, il retourna à Paris. Au début, il appelait Katia tous les jours, ils parlaient longtemps, il venait chaque week-end voir Katia et leur fils. Puis il vint moins souvent, prétextant le prix des billets. Les appels se firent rares. Et six mois plus tard, lors d’une visite au village, Sergueï dit à Katia : — Il faut qu’on parle en tête-à-tête. Katia tenait son fils dans les bras. Son cœur battait plus vite, comme si elle pressentait un malheur. Et elle ne se trompait pas. Le cauchemar vécu un an plus tôt se répétait mot pour mot. — Je l’aime tellement, je ne peux pas vivre sans elle… disait Sergueï. Katia ne demanda plus : « Et moi alors ? » Elle se tut. Elle murmura seulement : — As-tu pensé à ton fils ? Il a besoin de son père. — Je n’abandonnerai pas Sasha. Il est le deuxième dans ma vie. Après elle. Et toi, le troisième… — Tu vois, j’ai même la médaille de bronze, sourit tristement Katia. Puis elle fit une crise. Sa mère accourut, affolée. Katia poussait son mari vers la porte : — Va retrouver ta maîtresse ! Et ne reviens plus jamais ici ! Dans la chambre voisine, son fils se réveilla en pleurant. Sur le seuil, Sergueï se retourna : — Alors, je demande le divorce ? — demanda-t-il, comme si son accord ou son refus pouvaient changer quelque chose. *** Après la seconde trahison de son mari, Katia sombra dans la dépression. Elle ne se souvient plus si elle mangeait, dormait, elle errait comme dans un brouillard… Sans ses parents, sa sœur, et surtout Sasha, elle aurait pu commettre l’irréparable. Elle se sentit particulièrement mal en recevant la convocation au tribunal. Ce jour-là, elle alla dans le village voisin voir une voyante, pour savoir quoi faire. Devait-elle accepter le divorce ? La loi lui permettait de refuser, car son fils n’avait pas encore un an. La vieille femme tira les cartes et dit à Katia : « Ton mari a été ensorcelé par une autre. Je peux faire en sorte qu’il revienne. Mais tu ne seras pas heureuse avec lui. Ce n’est pas ton homme. Il t’a trompée une fois, il recommencera. » — Et aujourd’hui, on nous a divorcés, conclut Katia son récit. — Maintenant, je ne sais pas comment vivre. Comment Sasha va-t-il le prendre ? Que lui dirai-je quand il demandera : “Où est mon papa ?” — Tu es bête, Katia ! s’assombrit soudain Nadia. — Tu devrais te réjouir d’être encore jeune, de ne pas avoir sacrifié tes plus belles années pour lui. Tu as la santé, l’intelligence, tes parents t’aident… Et des hommes, il y en aura encore assez pour nous. — Facile à dire, ton Maxime n’est pas parti voir ailleurs… — Tu ne me croiras pas, mais s’il le faisait, je lui ferais même un signe d’adieu. Ces derniers temps, il rentre presque tous les jours “éméché”, et commence à vouloir savoir qui commande à la maison… Ses reproches m’agacent, mais je n’ai nulle part où aller. Mes parents sont loin, ma fille est petite, je n’ai pas de travail… — Existe-t-il des hommes honnêtes et normaux ? s’échappa Katia. — Qui sait ? répondit Nadia en haussant les épaules, puis elle alla dans la chambre voisine voir si l’enfant ne s’était pas réveillée. Katia resta assise à la table, la tête dans les bras. Une lourde, grise désespérance, comme un brouillard d’automne, envahissait son cœur. *** Le lendemain matin, en descendant du bus, elle aperçut tout de suite deux silhouettes familières : sa mère tenait Sasha dans les bras. En voyant Katia, son fils tendit les bras vers elle et gazouilla joyeusement. — Bonjour, mon trésor ! — elle le serra dans ses bras, et il s’accrocha fort à son cou, de sa petite main, et de l’autre, il commença à lui ébouriffer les cheveux. — Regarde ce que je t’ai rapporté, — elle lui tendit une voiture-jouet achetée au kiosque de la gare. — C’est de la part de papa ( “Et Sergueï n’a même pas pensé à lui donner des bonbons”, pensa-t-elle). — Pa-pa-pa, gazouilla Sasha, et des larmes involontaires montèrent aux yeux de Katia. — Comment vas-tu, ma fille ? demanda sa mère avec compassion. — Tout va bien, répondit Katia en souriant. “Je dois être forte. Je tiendrai pour eux”, se répétait-elle comme une formule magique. Et à voix haute : — Allons à la maison, maman. Vous m’avez tellement manqué…
Mais enfin, madame ! Une petite fille née prématurément, mais robuste. Ne vous inquiétez pas, tout ira bien. Tant pour votre fille que pour votre petite-fille.