Après 12 ans de vie commune, ma femme m’a demandé d’inviter une autre femme au restaurant et au cinéma — celle qui m’aime aussi et voudrait passer du temps avec moi : ma mère, veuve depuis 19 ans.

Après douze ans à cohabiter sous le même toit, Camille, ma partenaire, ma lancé un jour, lair de rien, que je devrais inviter une autre femme à dîner et au cinéma, comme si la logique du quotidien avait décidé de faire grève.

Elle a glissé, mi-mystérieuse, mi-amusée : « Je taime, mais il y a une femme qui guette dans lombre, prête à te voler à la routine. »

Cette femme, cétait Françoise, ma mère, veuve depuis dix-neuf hivers, silhouette esseulée dans son appartement où le temps sétire comme du vieux camembert.

Entre le boulot et nos trois marmots, javais rarement lénergie de franchir son seuil, nos échanges se résumant à des clins dœil furtifs.

Ce soir-là, mon téléphone sest mué en passeport pour labsurde : je lui ai proposé un dîner suivi dun film, comme si le quotidien avait décidé de se déguiser en surprise.

Il y a un souci ? a-t-elle soufflé, la voix tremblante, persuadée que la nuit allait lui servir un plat de mauvaises nouvelles.

Ma mère, toujours en alerte, sattendait à ce que le crépuscule lui livre des mots trop lourds à digérer.

Jai juste pensé que tu apprécierais une soirée avec moi, ai-je lancé, les mots flottant comme des bulles de champagne.

Après un silence suspendu, elle a accepté, comme si elle venait de résoudre une devinette.

Le vendredi, je suis allé la chercher, le cœur tambourinant dune nervosité inédite. Devant son immeuble, elle mattendait, manteau jeté sur lépaule, cheveux relevés en chignon, parée de la robe achetée pour son dernier anniversaire, telle une héroïne de roman.

Jai dit à mes copines que mon fils memmène dîner ce soir, elles sont tombées des nues, a-t-elle lancé en sinstallant dans la voiture, le regard pétillant dune lumière irréelle.

On a opté pour un petit bistrot, modeste mais baigné dune chaleur familière. Ma mère sest accrochée à mon bras, marchant avec la prestance dune duchesse perdue dans un rêve.

À table, jai déchiffré la carte pour elle, ses yeux ne captant plus que les lettres XXL, comme si le monde sétait transformé en hiéroglyphes.

À mi-repas, nos regards se sont croisés, et son sourire semblait contenir des décennies de souvenirs entremêlés.

Autrefois, cest moi qui te lisais le menu, a-t-elle soufflé, la voix pleine de brume.

Il est temps de changer de rôle, ai-je répliqué, le ton léger comme une mousse au chocolat.

On a papoté sans fin, échangeant des banalités qui prenaient des couleurs inattendues, et le temps sest étiré jusquà nous faire rater le film.

En la raccompagnant, elle a glissé : « La prochaine fois, cest moi qui tinvite au resto. »

Jai acquiescé, comme si lavenir était une blague à inventer.

Alors, cette soirée ? a demandé Camille à mon retour, la voix flottant dans lair.

Dune beauté renversante. Bien au-delà de tout ce que jaurais pu imaginer, ai-je soufflé.

Quelques jours plus tard, Françoise sest envolée, emportée par une crise cardiaque fulgurante, comme si le rêve sétait évaporé sans prévenir.

Tout sest passé si vite que je nai pu quobserver lirréversible, impuissant.

Peu après, une enveloppe est arrivée, contenant le reçu du bistrot où nous avions dîné. Un mot laccompagnait : « Jai réglé à lavance notre prochain dîner. Je ne sais pas si je pourrai vraiment partager ce repas, mais jai payé pour deux, pour toi et Camille. Jamais je ne pourrai exprimer ce que cette soirée a représenté pour moi. Mon fils, je taime. »

Cette histoire me hante, comme une rengaine étrange, chaque fois quelle traverse mes pensées.

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Après 12 ans de vie commune, ma femme m’a demandé d’inviter une autre femme au restaurant et au cinéma — celle qui m’aime aussi et voudrait passer du temps avec moi : ma mère, veuve depuis 19 ans.
Elle s’est assise près de sa table en terrasse, discrète comme un souffle, le nouveau-né blotti contre sa poitrine. « S’il vous plaît. Je ne demande pas d’argent—juste un instant. » L’homme en costume a levé les yeux de son verre de vin, ignorant encore que quelques mots simples allaient bouleverser toutes ses certitudes.