Il y a bien longtemps, on se souvient de la petite cabane qui sentait la moisissure et lhumidité. Le plancher grinçait à chaque pas et, dans le coin, on entendait guetter les rongeurs, comme sils complotaient dans lombre. Marie, la femme, posa délicatement les jumeaux sur le vieux matelas, les couvrit de son manteau et saccroupit près deux.
Son cœur battait à tout rompre, tel un tambour fou. Elle ne savait pas ce qui était le plus terrifiant: le froid qui sinfiltrait par les fissures des murs en bois ou le silence de son mari, Jean, qui nétait plus lhomme quelle avait connu.
«Tu te rends compte quils sont tout petits?», murmura-t-elle. «Il leur faut du lait adapté, des médicaments Je les allaite, mais arriveratil à nourrir deux bébés?»
Jean se retourna brusquement.
«Tu crois que jignore? Que je suis un imbécile?», réponditil, la voix tremblante de tension. «Mais la ville seffondre tout autour. Je ne peux pas prendre deux enfants dun seul coup, ni moralement, ni financièrement.»
«Et alors?», répliqua Marie, les yeux brillants. «Allonsnous nous cacher ici comme des fugitifs?»
Lhomme parcourut la pièce, puis frappa du poing la table.
«Je ne me cache pas! Tu comprends? Jessaie de penser à notre survie!»
Les deux bébés poussèrent un cri simultané. Marie les saisit dun geste rapide, les berça en chuchotant :
«Silence, mes petits, silence Maman est là.»
Des larmes coulaient sur ses joues, arrosant les visages de ses enfants.
«Nous sommes une famille,», susurratelle sans le regarder. «Tu voulais un enfant, et nous en avons deux maintenant. Cest un cadeau, pas une condamnation.»
Jean resta près de la fenêtre, le regard perdu dans la forêt obscure. Ses épaules tremblaient, mais il ne se retourna pas, se contentant de murmurer :
«Je serais content den avoir un, mais deux ça renverse tout.»
Marie semporta.
«Renverser? Tu es père, pas comptable qui tombe à découvert!»
Il se tourna dun revers violent, les yeux embrasés dune colère mêlée à du désespoir.
«Tu ne comprends pas! Je nai même pas un sou, zéro euro! Les billets ici ne servent à rien, les cartes sont inutiles. Jai dépensé le dernier litre dessence pour arriver.»
Marie sentit le sol se dérober sous ses pieds.
«Nous sommes donc pris au piège? Sans nourriture, sans médicaments, sans chaleur?»
Il seffondra sur la vieille chaise, le visage enfoui dans ses mains. Pour la première fois, il ne semblait pas en colère mais brisé.
Le silence fut percé par les petits gémissements des bébés. Marie les enveloppa plus étroitement et sassit à ses côtés.
«Écoute,», ditelle doucement. «Je ne te blâme pas. Mais il faut agir. Les enfants ne peuvent pas attendre.»
Jean leva la tête, la peur dans les yeux.
«Jai peur. Peur de ne pas réussir, peur de ne pas les nourrir, peur de mourir ici.»
Marie saisit fermement sa main.
«Nous y arriverons, ensemble. Mais seulement si tu cesses de fuir la vérité.»
Il hocha la tête, puis se leva dun bond, comme sil venait enfin de prendre une décision.
«Très bien. Demain, à laube, jirai au village. Je chercherai du travail, je supplierai pour de la nourriture, quoi quil en soit.»
La nuit sétira à linfini. Les jumeaux pleuraient à chaque heure, Marie allaitait, berçait, chantait des berceuses dont elle ne savait plus doù elles venaient. Jean restait à la fenêtre, la lampe éteinte, les yeux plongés dans les ténèbres de la forêt, comme si la réponse y était cachée.
À laube, il revêtit son manteau.
«Je reviendrai, je le promets.»
Le chemin vers le hameau de SaintJean dura plus dune heure. La première maison quil atteignit était petite, avec un jardin devant. Il frappa. Une vieille dame, le foulard en tête, ouvrit la porte. Jean, le visage pâle, murmura :
«Pardonnezmoi ma femme est perdue dans les bois avec deux nouveaunés. Nous navons rien. Je suis prêt à travailler pour un peu de pain.»
La vieille femme le contempla longuement, comme si elle lisait son âme. Enfin, elle dit doucement :
«Il y a du travail à profusioncouper du bois, entretenir le jardin, soccuper des animaux. Mais dabord, prends ceci.» Elle lui tendit un panier contenant du pain, du lait et des œufs. «Ce dont les enfants ont le plus besoin.»
Jean sentit les larmes monter. Il la remercia chaleureusement et sprinta vers la cabane, serrant le panier comme un trésor.
En entrant, Marie tenait les jumeaux, épuisée à lextrême. Dès quelle aperçut la nourriture, elle poussa un cri de joie et le serra dans ses bras.
«Tu as réussi?»
Il posa le panier sur la table, le serra contre son épaule.
«Je ne sais pas combien de temps cela tiendra, mais nous avons enfin une chance. Et jai compris: je nai plus le droit davoir peur. Je vous ai, vous deux, et cest tout ce quil me faut.»
Elle se blottit contre lui, lespoir brillant dans ses yeux.
Les enfants sendormirent, repus et paisibles. Pour la première fois depuis des jours, leurs cœurs saccordèrent à lidée dun chemin à parcourir, long et difficile, mais partagé.
«Nous y arriverons,», chuchota Marie.
«Oui. Ensemble,», répondit Jean.
Et dans sa voix, il ny avait plus de rage ni de désespoir, seulement une confiance naissante.







