Madame? Vous êtes sûre de vouloir une telle soirée? Ce nest pas trop?
Irène pose une tasse de thé devant sa bellefille, voulant faire passer son avis. Mais la jeune femme semble déterminée.
Capucine secoue la tête avec énergie, repoussant une mèche rebelle de son front. Ses yeux silluminent dexcitation, ses joues rosissent.
Non, IrèneLeonard, exactement ce que je veux! sexclametelle en savançant près de la table, comme si elle allait révéler un secret. Un mariage somptueux, un photographe professionnel, et une vidéo souvenir.
Cest bien, mais
Et des feux dartifice! linterrompttelle, ne laissant pas sa bellemère finir sa phrase. Il faut absolument un feu dartifice à la fin. Imaginez la beauté! Toutes mes amies seront jalouses.
Irène grimace en déposant la tasse sur la soucoupe. Maxime gagne bien sa vie, elle est fière du travail acharné de son fils. Pour ses vingt ans, elle lui offre un deuxpiezes dans un quartier agréable, afin quil débute sa vie dadulte sur des bases solides. Mais un tel faste dépasse même ses moyens. Capucine ne gagne que cinquante euros par mois comme assistante de bureau, elle ne pourra pas non plus se lâcher.
Comment allezvous financer tout ça? demande Irène doucement, en prenant une gorgée de thé.
Elle tente de ne pas simmiscer, mais les chiffres lui semblent inquiétants. Capucine hausse les épaules, comme si lon parlait dune robe neuve.
Maxime prendra un crédit, répondelle avec une aisance qui fait presque étouffer Irène. Cest une pratique courante, IrèneLeonard, tout le monde le fait.
Un crédit? pour le mariage? sinterroge Irène, posant lentement la tasse.
Oui. On le remboursera grâce aux dons des invités, assuret-elle, un sourire confiant comme si elle tenait déjà des liasses de billets dans les mains. Et pour le reste, on senvolera en voyage romantique, peutêtre en Italie ou en Grèce.
Irène regarde sa bruée de jeunes, si sûre que la fête sautofinancera. Sur quoi se basetelle? Les invités ne sont pas des distributeurs automatiques. Elle ne se dispute pas, les jeunes doivent apprendre de leurs erreurs.
Deux jours plus tard, Irène retrouve Maxime dans un petit café près de son bureau. Il a lair fatigué mais heureux. En commandant un café, elle ne tourne pas autour du pot.
Maxime, jai entendu parler de vos projets de mariage, commencetelle en remuant son sucre. Un crédit pour un tel évènement, estce vraiment une bonne idée?
Maxime hoche la tête, la détermination gravée dans le regard.
Maman, je connais les risques, répondil en sirotant sans quitter les yeux dIrène. Mais Capucine veut un beau mariage, il faut la satisfaire. Cest son rêve depuis toujours.
Tu sais bien que cest un lourd fardeau financier? insinue Irène, se penchant. Et si les invités ne donnent pas autant que vous espérez?
Tout ira bien, maman, souritil, un sourire crispé. Ne vous inquiétez pas pour nous.
Irène ne se réjouit pas. Son cœur se serre dangoisse pour un fils qui ne semble pas avoir mesuré les conséquences. Discuter avec un amoureux passionné semble vain.
Le jour J approche, les dépenses augmentent. Capucine lappelle sans cesse, partageant chaque nouveauté.
IrèneLeonard, jai trouvé la robe parfaite! Elle coûte deux mille cinq cents euros, mais cest dun grand couturier!
Capucine babille au combiné, ignorante du reste. Irène ne peut retenir sa surprise.
Deux mille cinq cents pour une robe? Ce nest pas excessif?
Cest normal! Cest le plus beau jour de ma vie! répliquetelle, la voix teintée doffense. Je ne peux pas me marier dans la médiocrité.
Le restaurant choisi nest pas bon marché non plus : de grandes baies vitrées donnent sur la Seine, le menu propose des délices qui coûtent une petite fortune. Irène secoue la tête, observant le délire depuis la porte.
Le soir du mariage, Irène monte dans un taxi, son sac contenant une enveloppe de trois mille cinq cents euros. Elle a décidé dy mettre ce quelle estime juste.
En entrant dans le restaurant, elle sarrête net. Des fleurs vivantes suspendues au plafond, des sculptures de glace, un immense gâteau à plusieurs étages. Les tables débordent de mets. Environ cent convives, dont beaucoup sont inconnus pour Irène, remplissent la salle.
Le feu dartifice explose. Des éclats multicolores éclairent le ciel, sous les cris enthousiastes des invités. Irène tend lenveloppe à Capucine, qui accepte le cadeau avec un sourire crispé. La jeune femme scrute avidement les autres enveloppes, comme si elle voulait les ouvrir sur le champ. Irène observe les convives se gaver, les femmes regarder Capucine dun œil envieux, la robe scintillante. Elle rayonne de fierté, baignée dans lattention. La soirée se prolonge bien après minuit. Les mariés séloignent dans une voiture de location luxueuse. Irène appelle un taxi et rentre chez elle.
Au petit matin, on frappe à la porte. Irène ouvre : Capucine, les yeux rouges et gonflés, et Maxime, le visage sombre, se tiennent là.
Irène les laisse entrer, perplexe face à ce qui a pu se passer pendant la nuit. Linquiétude monte.
Capucine seffondre sur le canapé, sanglotant :
Tout est parti en fumée, IrèneLeonard! Tout!
Irène regarde son fils, qui sinstalle lourdement dans un fauteuil.
Maman, on a ouvert toutes les enveloppes, raconte Maxime dune voix rauque. Au total, les invités ont donné environ six mille cinq cents euros.
Six mille? sexclame Irène, sasseyant elle aussi.
Maxime masse ses tempes, fatigué.
Les invités ont donné en moyenne cinq euros, certains nont même rien mis, répondil à contrecœur.
Capucine se lève brusquement, les larmes coulant.
Comment ontils pu faire ça?! sécrietelle. Venir à une telle fête et offrir si peu! Ce sont des pièces de monnaie!
Calmetoi, Capucine, tente Irène, gardant son sangfroid.
Comment me calmer? je tourne en rond, hurletelle, en saccageant la pièce. On a maintenant un crédit de vingt mille euros! Il faudra le rembourser avec nos propres économies! Et le voyage en Italie, adieu!
Irène soupire, épuisée. Le désastre de Capucine était prévisible.
Je vous avais prévenue, répondtelle. Cétait une mauvaise idée.
Capucine se retourne, les yeux flamboyants, pointe du doigt le plafond.
Cest la faute des invités! On ne doit pas les traiter ainsi, on se gave de mets et on donne à peine un sou!
Irène secoue la tête, sachant que la cérémonie ne sera jamais rentable.
Personne nest obligé doffrir des sommes énormes, surtout si ce nest pas convenu, répondtelle calmement.
Capucine pleure amèrement.
Mais cest un mariage!
Ce ne sont pas les invités qui ont demandé une fête extravagante, continue Irène, imperturbable. Cest toi qui le voulais, le feu dartifice, la vidéo professionnelle.
Capucine serre un coussin, tente de retenir les sanglots et, entre deux sanglots, dit :
Je voulais juste le mariage parfait, comme sur les réseaux!
Irène hausse les épaules, regarde la jeune femme avec sérénité.
Voilà, tu las eu. Maintenant tu paieras.
Maman, tu pourrais commencetil Maxime, mais Irène linterrompt dun geste.
Non, Maxime. Faire un mariage à crédit, cest déjà une mauvaise idée, lui ditelle en le regardant droit dans les yeux. Je vous en avais prévenu, mais vous navez pas écouté.
Capucine attrape son sac et senfuit avec Maxime. Irène reste assise, sachant quil est inutile de continuer à la blâmer ; elle a ellemême mis la barre trop haut.
Les jeunes peinent à rembourser le crédit. Maxime devient beaucoup plus prudent, il téléphone moins souvent.
Par la cousine dIrène, elle apprend que Capucine a commencé à harceler les proches. Ludivine raconte :
Tu imagines, elle ma appelée hier. Elle ma reproché mon petit cadeau, disant que jaurais dû donner au moins vingt euros!
Et tu as répondu?
Rien, je ai simplement raccroché, répondtelle en haussant les épaules. Ça ne sert à rien de discuter avec ce genre de personnes.
Irène ne défend plus ses enfants. On ne les a pas écoutés quand il le fallait. Quils se fassent leurs propres leçons. La vie est un professeur sévère, mais parfois seul elle peut donner une leçon qui reste gravée longtemps.







