L’Île de l’Espoir.

Lîle de lespoir.

Je mallongeais sur le perron bancal dune vieille maison abandonnée, les yeux plissés sous le faible soleil dautomne. Mon pelage, flamboyant comme une orange mûre, était terni par la poussière et les longues années passées dans la rue, mais il irradiait encore dune chaleur rassurante. À côté de moi se recroquevilla Sombre, un minuscule chaton à la fourrure noire comme du charbon et à loreille tordue, comme cassée. Nous nous étions rencontrés il y a peu, mais je sentais déjà que ce petit être faisait partie de mon univers solitaire.

Sombre était arrivé au village il y a une quinzaine de jours. Jétais en train de ronger un os de poisson près de la benne à ordures quand un léger couinement séchappa des buissons. Sous les branches, vacillant, surgit le chaton : sale, les pattes tremblantes, les yeux remplis de terreur. Une oreille dépassait de façon grotesque, le flanc était éraillé. Je restai figé, le fixant.

Doù vienstu, petit? miaulaije, reniflant. Et qui ta fait ça?

Sombre ne fit que pousser un petit cri, tout le corps frissonnant. Je soupirai. Ce regard me rappelait trop celui dun abandonné, dun être inutile. En pointant du doigt le perron, je grondai :

Allez, viens avec moi. On se partage le reste. Tu ne tétoufferas pas, mais tu tiendras le coup.

Ainsi, Sombre resta. Je partageais avec lui les maigres trouvailles : un morceau de croûte, un bout de saucisson que la vieille Madame du quartier laissait tomber du balcon. Sombre se contentait de me regarder avec une gratitude muette, et je ne posais aucune question. Pourquoi? Chaque vagabond porte son fardeau.

Un matin, toutefois, Sombre ne se leva pas. Je le trouvai plié dans un coin du perron, tremblant de douleur. Sa patte était gonflée, loreille tordue enflée, sa respiration devenue rauque et lourde. Je me glissai à côté de lui et sanglota, silencieux, sans larmes, comme le font les animaux quand les mots les abandonnent. Je ne savais pas comment laider. Je ne pouvais que rester là, témoin de la vie qui séteignait dans ce petit corps.

Autour sétendait un village riche: hautes clôtures, voitures brillantes, fenêtres éclairées des maisons cossues. Dune maison séchappait de la musique, dune autre le tintement des verres. Mais personne ne sarrêta, personne ne leva les yeux. Les passants suivaient leur chemin, absorbés par leurs propres soucis dans leur monde il ny avait aucune place pour deux chats qui cherchaient simplement à survivre. Jobservais ce monde indifférent, et une colère sourde grandissait en moi. Pourquoi? Sombre ne dérangeait personne. Il ne voulait quune chose: vivre.

Le destin prit une autre tournure. Jentendis des pas, la voix claire dune petite fille. Je relevai la tête. Une femme et une fillette denviron dix ans marchaient sur le sentier. La fillette portait un panier de pommes, la mère parlait en regardant des deux côtés. Elles sarrêtèrent devant le perron.

Maman, des chats! sexclama la fillette en voyant mon pelage flamboyant. Il est comme le soleil! Et lautre oh, il a lair mal en point!

Je me montrai sur la garde, mais je ne menfuis pas. La voix de la petite était douce, ses yeux trahissaient linquiétude. La femme sassit, fixa Sombre et fronça les sourcils.

Le pauvre, murmuratelle, la voix tremblante. Si petit, et déjà tant de souffrances.

Elle sortit son téléphone, les doigts légèrement tremblants. Je ne comprenais pas leurs mots, mais je sentais lair se charger dune chaleur nouvelle. La fillette sassit près de Sombre, tendit prudemment la main vers lui.

Naie pas peur, petit; on va taider, ditelle, la voix brisée par la pitié.

Une heure plus tard, un vieux camion décoré dune patte de chat sarrêta devant le perron. En descendirent deux personnes: un jeune homme en veste usée et une jeune femme aux cheveux en désordre. Ils apportèrent une caisse de transport et une couverture douce. Le garçon souleva délicatement Sombre, lenveloppa et murmura quelque chose à la fille. Celleci acquiesça et se tourna vers moi.

Tu le gardais? souritelle. Bon chat.

Je ronronnai comme pour confirmer, le cœur battant à tout rompre. Je regardai Sombre monter dans le camion, et pour la première fois depuis des années, jai cru quon allait vraiment lui offrir une seconde chance. Les humains repartèrent, et je restai sur le perron, lœil perdu sur la route.

Deux semaines plus tard, je grignotais une croûte près de la clôture quand le ronron familier du moteur revint. Le camion revint. En descendirent le même garçon et la même fille, suivis de la femme et de la fillette. La petite tenait Sorme, désormais propre, la patte guérie, le pelage noir luisant, loreille toujours un peu tordue mais presque charmante.

Nous lavons soigné! sécria la fillette en déposant le chaton sur le sol. Et nous allons le ramener à la maison. Toi aussi, roux, on tadopte. Vous vivrez ensemble!

Je restai immobile, observant Sorme qui me frotta le museau, la fillette qui rayonnait de joie, la femme qui tendait la main. Mon cœur semballa non pas de peur, mais dune joie que je navais plus ressentie depuis longtemps. Javançai dun pas et frottai ma patte contre la sienne.

La femme sourit et, en regardant Sorme, dit :

Tu sais, il est de race pure, on dirait un MaineCoon. Cette oreille tordue, cest sûrement ce qui la fait rejeter. Mais pour nous, il est parfait.

Ce soirlà, le perron était vide. Sorme et moi partîmes vers une nouvelle maison, où nous attendraient chaleur, nourriture et affection. Le village aux villas luxueuses et aux cœurs glacés resta derrière nous. Et devant nous sétendait lîle de lespoir petite, mais réelle, créée par ceux qui savent voir et ressentir.

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L’Île de l’Espoir.
C’est moi, Michel… — murmura-t-il en s’asseyant à côté