«Tu as besoin d’un toit au-dessus de ta tête… et moi, j’ai besoin d’une mère pour mes filles… Viens avec moi», a déclaré le propriétaire des terres.

« Tu cherches un toit, et moi une mère pour mes filles viens avec moi », lança le propriétaire du terrain.

Marianne Gautier sentit ses jambes fléchir lorsquelle saccorda enfin un instant de repos au bord de la route poussiéreuse. Elle marchait depuis laube, traînant une vieille mallette contenant tout ce quelle possédait. La tenancière de la maison était, comme on dit dans le coin, «pas du tout à la ramasse».

Après quon eut découvert que quelques bouts de tissu avaient disparu du stock, elle ne voulut plus voir la propriétaire de près. Inutile dexpliquer quelle ne prendrait jamais ce qui ne lui appartenait pas. Les accusations étaient déjà portées, et dans le petit bourg où elle travaillait, la parole de la tenancière pesait plus que nimporte quel avocat.

Cest alors quelle entendit le cliquetis des sabots et le crissement de roues sur la terre sèche. Marianne leva les yeux, fatigués, et aperçut une carriole qui sapprochait, tirée par un cheval en garde-àvous. Lhomme à la bride portait un chapeau à larges bords et arborait une barbe soigneusement taillée. Sur la planche de bois qui le suivait, cinq petites filles blondes aux yeux curieux saccrochaient à lui.

Le propriétaire du terrain tira les rênes, et le cheval sarrêta à quelques mètres de Marianne. «Vous vous êtes blessée?», demandatil dune voix basse mais sincère. Marianne hocha la tête, tentant de garder dignité malgré la fatigue qui pesait sur chaque muscle. «Juste épuisée. Je file à la ville voisine chercher du travail.»

Lhomme descendit du cheval avec lagilité dun fermier de longue date. Grand, aux épaules larges, il portait les marques dun travail dur. Ses yeux châtain scrutaient Marianne, non pas avec méfiance, mais avec une évaluation prudente. «À pied, dici aux vallées du sud, cest plus de vingt kilomètres», annonçatil en retirant son chapeau et en passant la main dans ses cheveux noirs. «Et le soleil ne fait pas les choses faciles.»

«Je nai pas le choix», répliqua Marianne, essayant de masquer le désespoir qui montait en elle. Son maigre épargne à peine suffisait pour un repas, sans parler du ticket de bus. La plus petite, à peine trois ans, tendit la main vers Marianne. «Papa, elle a lair triste.»

Le propriétaire jeta un regard dabord à sa fille, puis à Marianne. Un silence lourd sinstalla, comme sil pesait le poids dune décision. Il remit son chapeau, fit quelques pas vers elle. «Je mappelle Ernest Mendès. Je possède la ferme à dix kilomètres dici, à SaintMicheldelaVallée, et jai une proposition pour vous.» Le cœur de Marianne battit plus fort.

Les propositions de mariage de parfaits inconnus sont rarement bonnes, mais la posture de lhomme et la confiance absolue que les filles lui accordaient firent baisser la garde de Marianne. «Quelle proposition?», demandatelle, la voix ferme malgré la vulnérabilité. Ernest contempla les cinq filles avant de répondre.

La plus âgée, denviron dix ans, observait la scène dun air fermé, presque hostile. Les quatre autres affichaient une curiosité enfantine. «Vous avez besoin dun toit, moi jai besoin de quelquun pour soccuper de mes filles, cuisiner, garder la maison en ordre.» Il fit une pause, choisissant ses mots avec soin.

«Ma femme est décédée, et je ne peux plus gérer la ferme et les enfants à la fois.» Marianne sentit son torse se serrer : un père avec cinq petites filles, cest un sacré défi. «Jétais couturière,» avouatelle, sans vraiment savoir pourquoi elle envisageait cette offre.

«Je nai pas grandchose dexpérience avec les enfants ou la cuisine à la ferme.» protesta Ernest. «Mais savezvous coudre, nettoyer, tenir une maison?» Il ajouta, quand elle acquiesça : «Le reste, on vous apprendra. Les filles sont bonnes, elles ont juste besoin de quelquun à leurs côtés.»

La plus vieille émit un grognement de désapprobation qui ne passa pas inaperçu. Ernest le regarda, sans dire un mot. Marianne comprit alors que ce foyer nétait pas aussi paisible quil le laissait paraître.

«Et la rémunération?», demandatelle, essayant de garder un semblant de rationalité.

Ernest répondit sans hésiter : «Un toit, la nourriture, le lavage et un salaire honnête à la fin du mois. Pas beaucoup, mais cest juste, et je vous traiterai avec respect. Je le garantis.» Marianne jeta un œil à la route qui sétendait devant elle, puis à la carriole remplie de petites filles.

La plus petite, toujours la main tendue, affichait un sourire édenté qui fit fondre le cœur de Marianne. Elle navait plus de famille, nul ailleurs où aller. La ville voisine devait déjà entendre parler delle au travers des ragots qui relient tous les hameaux. Les chances de trouver un travail honnête y étaient minces.

«Très bien,», concluttelle, surprise par la rapidité de sa décision. «Jaccepte.» Ernest hocha la tête, et esquissa pour la première fois un petit sourire. «Alors, en route. Posez votre mallette sur la carriole.»

Marianne déposa sa mallette, les filles sécartèrent pour lui faire de la place, sauf la plus grande qui gardait un œil méfiant.

Quand elle sassit sur le bord de la planche, la plus petite savança et toucha sa main. «Tu vas vivre avec nous?», demandatelle avec la douceur dun bambin. «Oui, je vivrai avec vous,» répondit Marianne, forçant un sourire.

«Je mappelle Hélène, jai trois ans,» dit la petite en montrant trois doigts. «Voici Anaïs, cinq ans. Au milieu, Renée, sept ans. Ensuite Valérie, huit ans. Et la plus grande, Danièle, dix ans, elle se fâche facilement.» Ernest, qui sapprêtait à reprendre le cheval, ajouta : «Danièle nest pas en colère, elle est juste triste de ne plus voir sa mère.»

Les collines sétendaient de chaque côté de la route, certaines plantées de maïs, dautres à lattente du prochain semis. De temps à autre, la carriole dépassait de modestes maisons aux cours où les poules grattent le sol et les chiens aboient. Cétait un monde bien différent de celui où Marianne avait passé les dernières années, enfermée dans une petite chambre à coudre pour des clients qui à peine la regardaient.

«Vous avez une famille?», demanda timidement Valérie, huit ans. Marianne secoua la tête. «Non, mes parents sont partis quand jétais petite. Aucun frère ou sœur.»

«Alors on est tous seuls comme vous,», répondit Renée, sept ans, avec une sincérité qui toucha Marianne. «Nous navons que papa.»

«Vous avez au moins un,», dit Marianne doucement. «Cest déjà beaucoup.» Anaïs, cinq ans, sapprocha et sassit à côté delle. «Tu es jolie. Tes cheveux sont noirs comme ceux de papa.» Marianne caressa ses propres cheveux châtainnoirs rassemblés en un simple chignon.

Elle ne se considérait pas jolie après des années où les employeurs la jugeaient trop maigre, trop pâle, trop ennuyeuse. «Merci, Anaïs, toi aussi tu es très belle,» réponditelle, montrant une dent qui se balançait.

Danièle, dun ton acéré, lança: «Ne tattends pas à rester plus dune semaine ici.» Marianne croisa son regard et vit non seulement de lhostilité, mais aussi une profonde douleur, celle dune petite fille abandonnée trop tôt. «Peutêtre astu raison,» répliquatelle calmement, «mais je ferai de mon mieux tant que je suis ici.»

Le reste du trajet sécoula en silence, brisé seulement par le cliquetis de la carriole, le martèlement des sabots et le souffle du vent. Marianne observa Ernest, qui tenait le cheval dune main ferme, les épaules tendues comme si le poids du monde reposait sur lui. De temps en temps, il jetait un œil aux filles, sattardant un instant sur Danièle avec une sollicitude particulière.

Lorsque la ferme apparut enfin, Marianne ressentit un mélange de soulagement et dappréhension. La maison était simple mais spacieuse, faite de bois et de briques, avec une véranda devant où trônaient de vieilles chaises. Autour, un enclos avec quelques vaches, un poulailler qui cacardait sans arrêt, et des champs qui sétiraient à perte de vue. Lendroit était charmant, mais la peinture sécaillait et le jardin autrefois entretenu était envahi par les mauvaises herbes.

Ernest fit descendre la carriole devant la porte et aida les jeunes filles à sortir. Danièle sauta dun bond, montrant son indépendance, et entra sans regarder derrière elle.

Marianne posa sa mallette et descendit les marches, sentant le sol ferme sous ses pieds pour la première fois depuis des heures. «Je vais vous montrer votre chambre,» déclara Ernest, saisissant la mallette avant quelle ne proteste. «Cest petite, mais propre, avec une belle fenêtre. Cétait la chambre des invités.»

Elle suivit Ernest à lintérieur, les filles traînant derrière comme des canetons derrière leur mère. Lintérieur était étonnamment ordonné pour une maison habitée par cinq enfants sans la présence dune femme. Le salon avait un grand canapé où toutes les filles pouvaient se blottir, et une grande table à manger avec huit chaises. Sur les murs, quelques cadres en bois montraient uniquement Ernest et les filles; aucune photo de femme, aucun signe dune présence féminine.

La chambre proposée se trouvait au rezdechaussée, à larrière. Petite, avec un lit simple, une armoire en chêne sombre et une commode basique, la fenêtre donnait sur la cour où pendait une corde à linge et, derrière, un petit potager qui semblait lutter pour survivre. «La salle de bain est dans le couloir,» dit Ernest.

Il posa la mallette sur le lit. «Voici votre intimité. Les filles dorment toutes au premier étage, et ma chambre est de lautre côté. Je vous respecte et jattends la même chose.»

«Je comprends,» répondit Marianne, appréciant la clarté.

«Quand commence le travail?» demandatelle. Ernest, semblant soudain épuisé, passa la main sur son visage. «Aujourdhui reposezvous, rangez vos affaires. Demain je vous expliquerai le rythme. Je me lève à cinq pour les animaux, les filles à six, je prends le petitdéjeuner à sept avant denvoyer Danièle à lécole.»

«Les autres ne vont pas à lécole?» sétonna Marianne. «Anaïs et Hélène sont trop petites. Renée et Valérie ont des cours laprèsmidi,» expliquatil. «Le bus scolaire récupère Danièle à 7h30, revient à midi pour les deux autres, puis les ramène à 16h.»

Marianne hocha la tête, déjà en train de planifier sa journée. Ce ne serait pas facile, mais elle avait déjà survécu à pire. Au moins, ici il y aurait un toit et de quoi manger. «Je vous laisse vous installer,» dit Ernest en se dirigeant vers la porte. «Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelezmoi, je serai dans les champs.»

En fermant la porte, Marianne sassit sur le lit, sentit le matelas ferme sous elle et laissa couler les larmes retenues.

Les jours passèrent, les filles, dabord méfiantes, commencèrent à souvrir. Elles demandèrent à Marianne si elle avait une famille. «Non, mes parents sont partis quand jétais petite,» réponditelle. Elles répondirent alors, avec la franchise qui leur était propre, que toutes, sauf le père, navaient personne.

«Vous avez déjà une,», fitelle doucement, «cest déjà beaucoup.»

Anaïs, cinq ans, sapprocha et, avec un sourire timide, ajouta: «Tu es jolie, tes cheveux sont noirs comme papa.» Marianne caressa son chignon.

Les petites remarques dautodévalorisation sétaient estompées ; même la dent qui vacillait dAnaïs se mit à briller.

Danièle, à dix ans, lança un jour: «Ne compte pas rester plus dune semaine ici.» Marianne croisa son regard et vit une colère mêlée à une profonde tristesse. «Peutêtre,» répondittelle, «mais je ferai tout ce que je peux tant que je suis ici.»

Le soleil se couchait souvent sur les champs, teintant le ciel dorange et de rose, pendant que la famille prenait le dîner sur la véranda. Les rires des filles remplissaient lair, leurs petites blagues éclatant comme des bulles.

Une nuit, après que les enfants eurent somnolé, Ernest et Marianne sassirent à la cuisine avec deux tasses de café. Ernest, avec un clin dœil malicieux, évoqua la proposition de mariage dans le jardin. Marianne, le cœur débordant, acquiesça.

«Je veux que tu sois ma femme, légalement, devant Dieu, la communauté, tout le monde,» dit Ernest, les yeux brillants. Marianne, les larmes aux yeux, répondit: «Je taime aussi, ainsi que tes filles.»

Ils se promettent dattendre la décision du juge, qui devait trancher la garde. Deux semaines plus tard, le courrier arriva. Ernest louvrit, les larmes aux yeux. «Nous restons,» déclaratil, «avec les filles.»

Le verdict confirma quErnest garderait la garde, avec des visites surveillées de lexépouse, dune à deux heures par mois, puis augmentées si les filles le souhaitaient.

«Donc on devra la voir?», demandatelle Valérie, à voix basse. «Seulement si tu le veux,» rassura Ernest. «Le choix tappartient.»

Danièle, hésitante, murmura: «Un jour, peutêtre, je voudrai la connaître, pour comprendre, pardonner.» Ernest la serra dans ses bras. «Ne te dépêche pas,» ditil.

Cette soirée, Marianne prépara un gâteau spécial, les filles le dévorèrent en riant, le soleil couchant peignant le ciel de couleurs pastel. Plus tard, seuls à la cuisine, ils partagèrent un café et planifièrent le futur.

«Quand la procédure de divorce sera bouclée, je veux quon se marie,» dit Ernest, les yeux pétillants. «Pas besoin de papiers pour être leur maman,» répliqua Marianne. «Mon cœurest déjà à vous.»

Les mois suivants virent la ferme reprendre vie, les filles trouvant peu à peu une mère de cœur en Marianne, et Ernest apprenant à partager les responsabilités. La visite de lexépouse arriva trois mois plus tard, dans un parc public, brève mais décente. Danièle fut la seule à laccepter, se montrant plus calme, plus sereine.

Finalement, le jour du mariage arriva sous un ciel clair, les habitants du village réunis, les rires et les voeux se mêlant. La petite famille, désormais complète, se tenait la main, prête à affronter lavenir, un pas à la fois, avec humour, un brin dirEt ainsi, la ferme résonna de rires, de nouveaux départs et dun bonheur enfin partagé.

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Tu es épouse, tu es dévouée