“J’en ai assez de vous porter sur mon dos ! Un sou de plus, c’est hors de question—brouillez-vous pour vous débrouiller !” s’écria Yana, figeant les cartes bancaires.

«Jen ai assez de porter tout le monde sur mes épaules! Plus un centime nourrissezvous comme vous voulez!» sécrie Élise, gelant les cartes bancaires.

Elle ouvre la porte de lappartement et entend immédiatement le bourdonnement feutré dune conversation qui vient de la cuisine. Son mari, Mathieu, y est avec sa mèreMadame Léonie Dufourqui, dès ce matin, a installé son camp de base autour du plan de travail.

«Alors, cest quoi le problème avec la télé?» demande Mathieu.

«Elle est vieillotte,» se plaint Léonie. «Limage est horrible, le son saute. Elle aurait dû être remplacée il y a des lustres.»

Élise enlève ses chaussures et pénètre la cuisine. Léonie sirote son thé, le regard perdu, tandis que Mathieu tapote sur son téléphone.

«Ah, Élise est là,» sexclame Mathieu, soulagé. «On parlait justement du téléviseur de maman.»

«Questce quil arrive?» interroge Élise, déjà fatiguée.

«Il est à larrêt. Il faut le changer,» répond Léonie.

Mathieu pose son téléphone, fixe Élise dun regard qui ne laisse rien passer. «Tu fais toujours tout: achètemoi une télé pour maman. On ne veut pas toucher à notre argent.»

Élise sarrête en plein milieu du vestibule, la veste encore à moitié enfilée. Cest comme si on lui demandait dacheter une baguette.

«Je nai pas envie non plus. Et toi?» répondelle, dune voix plate.

«Tu as un bon poste, un salaire correct,» rétorque Mathieu. «Le mien est modeste.»

Élise plisse les yeux, cherchant la sincérité dans le visage de son mari. Il ne ment pas. Son expression trahit la certitude dun homme persuadé davoir raison.

«Mathieu, je ne suis pas une banque,» ditelle lentement.

«Allez, ce nest quune télé,» hausset-il les épaules.

Elle sassied, le poids des derniers mois tourbillonnant dans sa tête. Qui payait le loyer? Élise. Les courses? Élise. Les factures délectricité et deau? Élise encore. Les médicaments de Léonie? Élise. Le prêt de rénovation que la mère de Mathieu avait contracté? Élise avait repris les échéances dès le troisième mois.

«Tu te souviens?» lancet-il.

«Je me souviens de qui finance tout dans cette famille depuis deux ans.»

Léonie sinterpose, soupirant. «Élise, tu es la maîtresse de maison, cest à toi de prendre ces responsabilités. Acheter une télé à maman, ce nest rien, cest pour la famille.»

«Pour la famille?» répèteelle. «Où est la famille quand il faut régler une facture?»

«Nous ne sommes pas inactifs,» rétorque Mathieu. «Je travaille, et maman aide à la maison.»

«Quelle aide?» sétonne Élise. «Elle vient pour le thé et pour lister ses maux.»

Léonie se raide. «Quentendstu par parler?Je te donne des conseils sur la gestion dune maison.»

«Des conseils pour que je finance tout?»

«Qui dautre le ferait?Tu as un emploi stable, un bon revenu.»

Élise observe son mari, convaincu que cest normal que sa femme porte le fardeau du foyer.

«Et que faistu de ton salaire?»

«Je lépargne,» répondil. «Pour les jours de pluie.»

«Pour quel type de pluie?»

«On ne sait jamais: crise, licenciement. Il faut un coussin.»

«Et où est mon coussin?»

«Tu as un emploi sûr; ils ne te licencieront pas.»

«Peutêtre estil temps que toi et ta mère décidiez ce que vous achetez, et avec quel argent,» lancet-elle calmement.

Mathieu esquissera un sourire moqueur. «Pourquoi parler ainsi? Tu gères tes finances comme personne. On essaie déjà de ne pas te mettre de charges supplémentaires.»

«Ne pas me mettre de charge?» Le rouge monte aux pommettes dÉlise. «Mathieu, pensestu vraiment que tu nes pas un fardeau?»

«Ce nest pas que nous demandions chaque jour,» intervient Léonie. «Seulement quand cest vraiment indispensable.»

«Une télé estelle indispensable?»

«Évidemment!Comment vivre sans? Les infos, les programmes.»

«Tout se regarde en ligne maintenant.»

«Je ne comprends pas Internet,» coupet-elle. «Il me faut une vraie télé.»

Le débat tourne en boucle. Pour Mathieu et sa mère, il est évident que cest à Élise de financer tout, tandis quils pincent chaque centime pour eux-mêmes.

«Très bien,» conclut Élise. «Combien coûte cette télé?»

«On peut en prendre une décente à cinq cents euros, grand écran, avec connexion.» senorgueillit Mathieu.

«Cinq cents euros,» répèteelle.

«Oui, ce nest rien.»

«Mathieu, saistu combien je verse chaque mois dans cette famille?»

«Beaucoup, je suppose.»

«Environ neuf cents euros: loyer, courses, factures, les médicaments de ta mère, son prêt.»

Mathieu hausse les épaules. «Cest la famille, cest normal.»

«Et ta contribution?»

«Parfois jachète du lait. Du pain.»

«Tu dépenses au plus cinq cents euros par mois pour le foyer,» calcule Élise. «Et pas même chaque mois.»

«Je mets ça de côté pour les mauvais jours.»

«Pour quels mauvais jours?Les tiens?Les nôtres?»

«Pour nous, bien sûr.»

«Alors pourquoi largent reste dans ton compte personnel et pas dans un compte commun?»

Mathieu se tait. Léonie se ferme.

«Élise, tu parles hors de ta place,» intervient la bellemère. «Mon fils subvient aux besoins de la famille.»

«Avec quoi?» demande Élise, déconcertée. «La dernière fois que Mathieu a acheté des courses, cétait il y a six mois, et seulement parce que jétais malade et que je lai supplié.»

«Mais il travaille!»

«Et moi aussi. Mais mon salaire finance tout, le sien ne sert quà lui.»

«Cest comme ça», répond Mathieu, moins sûr. «La femme gère le foyer.»

«Gérer le foyer ne veut pas dire porter tout le monde sur son dos,» réplique Élise.

«Que proposestu?» demande Léonie.

«Que chacun porte son propre fardeau.»

«Quel sens cela atil pour la famille?» sécrie la bellemère. «La famille, cest que tout le monde contribue, pas quun seul tire le reste.»

Mathieu reste bouche bée. «Élise, cest une vision étrange. Nous sommes mari et femme, nous avons un budget commun.»

«Un budget commun,» ricane Élise. «Cest quand les deux versent dans le même pot et dépensent ensemble. Ce que nous avons, cest toi qui mets de largent dans ton pot et je qui le vide.»

«Je ne fais que garder,» insisteil. «Pour moi.»

«Pour toi seul.Quand il faut payer, tu dépenses dabord pour tes besoins, pas les nôtres.»

«Comment le saistu?»

«Je le sens. En ce moment, ta mère veut une télé. Tu as cinq cents euros économisés. Tu vas la lui acheter?»

Mathieu hésite. «Cest mon épargne.»

«Exactement, la tienne.»

Léonie tente de reprendre le contrôle. «Élise, tu ne devrais pas parler ainsi à ton mari. Un homme doit se sentir chef de famille.»

«Et le chef de famille doit soutenir la famille, pas salimenter aux frais de sa femme.»

«Mathieu ne vit pas de toi!» protesteelle. «Il paye le loyer, la nourriture, les factures, tes médicaments, ton prêt. Il thésaurise pour ses besoins personnels.»

«Cest temporaire,» se défendil. «Il y a une crise, les temps sont durs.»

«Nous sommes en crise depuis trois ans, et chaque mois tu me piles davantage de responsabilités.»

«Je ne fais que demander de laide.»

«Aide?Tu as payé le loyer une fois ces six derniers mois?»

«Non, mais»

«Tu as acheté des courses?»

«Parfois.»

«Un litre de lait par mois ne suffit pas.»

«Très bien, je nai pas payé. Mais je travaille, japporte de largent.»

«Tu lapportes et le caches immédiatement dans ton compte personnel.»

«Je ne le cache pas, je le garde pour lavenir.»

«Pour ton avenir.»

Léonie revient à lattaque. «Questce qui test arrivé? Tu ne te plaignais jamais.»

«Je pensais que cétait temporaire, que tu prendrais bientôt ta part.»

«Et maintenant?»

«Je réalise que je suis devenue une vache à lait.»

«Comment osestu dire ça!» explose Mathieu.

«Quappellestu un cadeau quand une personne finance tout et attend encore des présents?»

«Un cadeau?Une télé, cest ce dont maman a besoin!»

«Si ta mère a besoin dune télé, quelle la paie ellemême, ou utilise tes économies.»

«Sa retraite est minuscule!»

«Et mon salaire, il sétire comme du caoutchouc?»

«Tu peux te le permettre.»

«Je peux, mais je ne veux pas.»

Un silence pesant sinstalle. Mathieu et Léonie échangent un regard.

«Tu ne veux pas?» demandeil, la voix basse.

«Je ne veux plus être la seule à soutenir toute la famille.»

«Mais nous sommes une famille, nous devons nous entraider.»

«Exactement, sentraider, pas laisser un seul porter le fardeau.»

Élise se lève, le cœur battant. Elle sent que pour eux, elle nest quune carte prête à sortir de largent à la demande.

«Où vastu?» lancet-il.

«Pour régler mes comptes.»

Sans un mot, elle sort son téléphone, ouvre lapplication bancaire. Dun geste rapide, elle bloque la carte conjointe que Mathieu utilisait. Puis, à lécran des virements, elle transfère toutes ses économies vers un compte quelle avait créé un mois auparavant, au cas où.

«Questce que tu fais?» sécrie Mathieu, soudain alarmé.

«Je gère mes finances,» répondelle dun ton sec.

Il tente de voir lécran, mais elle le tourne. En cinq minutes, chaque euro débloqué a disparu de son compte commun, vers son compte personnel, inaccessible à son mari et à sa bellemère.

«Élise, que se passetil?» imploreil, paniqué.

«Ce qui aurait dû se passer il y a longtemps.»

Elle ouvre les réglages de la carte et révoque tous les accès sauf le sien. Mathieu reste planté, incrédule devant lampleur du geste.

Léonie, furieuse, se lève dun bond. «Quavezvous fait?Nous serons sans argent!»

«Vous garderez ce que vous gagnez,» réplique Élise, imperturbable.

«Quentendezvous par nous gagner?Quid de la famille?Du budget commun?» hurle la bellemère.

«Madame Dufour, il ny a jamais eu de budget commun. Il ny avait que mon budget, et tout le monde sen nourrissait.»

«Vous êtes folle!Nous sommes une famille!»

«À partir daujourdhui, nous vivons séparément. Je ne suis plus obligée de financer vos caprices.»

«Quels caprices?» protesteil. «Ce sont des besoins!»

«Une télé à cinq cents euros, cest un besoin?»

«Pour maman, oui!»

«Alors maman peut lacheter avec sa retraite, ou toi avec tes économies.»

Léonie sagrippe à son fils. «Pourquoi restestu là?Remetsla à sa place!Cest ta femme!»

Mathieu marmonne, le regard fuyant, sachant quelle a raison mais refusant davouer.

«Mathieu, pensestu vraiment que je devrais soutenir toute ta famille?»

«Nous sommes mari et femme.»

«Marifemme veut dire partenariat, pas quune personne porte lautre.»

«Mon salaire est plus petit!»

«Ton salaire est plus petit, mais tes économies sont plus grosses, parce que tu les gardes pour toi.»

Mathieu reste muet. La bellemère, ne voyant plus deffet, tente une dernière fois.

«Élise, rends largent!Jai besoin de médicaments!»

«Payele avec ton propre argent.»

«Ma retraite est petite!»

«Demande à ton fils.Il a des économies.»

«Mathieu, donnemoi de largent pour les médicaments!»

Mathieu hésite. «Maman, je garde ça pour la famille.»

«Je suis la famille!»

«Ce sont mes économies.»

«Vous voyez?Quand il faut dépenser, tout devient personnel.»

Réalisant la gravité du moment, Léonie change de ton.

«Parlons calmement. Vous avez toujours été gentille, Élise, toujours aidante.»

«Jai aidé, jusquà ce que je comprenne que jétais exploitée.»

«Vous nêtes pas exploitée, vous êtes appréciée!»

«Appréciée pour quoi?Payer chaque facture?»

«Pour soutenir la famille.»

«Je ne soutiens pas une famille, je soutiens deux adultes capables de travailler.»

Le lendemain, Élise se rend à la banque, ouvre un compte uniquement à son nom, imprime les relevés des deux dernières années: loyer, courses, factures, médicaments, le prêt de Léonie. Tout était sur elle.

De retour chez elle, elle sort une grande valise et commence à emballer les affaires de Mathieu: chemises, pantalons, chaussettes, soigneusement pliées.

«Questce que tu fais?» demande Mathieu en rentrant du travail.

«Jemballe tes affaires.»

«Pourquoi?»

«Parce que tu ne vis plus ici.»

«Comment ça, je ne vis plus ici?Cest mon appartement aussi!»

«Lappartement est à mon nom. Je décide qui y habite.»

«Mais nous sommes mari et femme!»

«Pour linstant, oui. Pas pour longtemps.»

Elle pousse la valise dans le couloir, tend la paume.

«Les clés.»

«Les clés?»

«Celles deAvec les clés en main, Élise referma la porte, laissant derrière elle le passé étouffant de dépendance.

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“J’en ai assez de vous porter sur mon dos ! Un sou de plus, c’est hors de question—brouillez-vous pour vous débrouiller !” s’écria Yana, figeant les cartes bancaires.
Cet espace est réservé aux clients VIP—tu n’as pas le droit d’entrer,” murmura mon mari avec mépris au restaurant. Il ignorait que je venais d’acheter l’établissement.