Pour la première fois en huit ans de vie commune, il la croise enfin après le travail.

Pour la première fois depuis huit ans de mariage, André lavait aperçu après le travail.
Éléonore, sortant du bureau de la Défense avec deux collègues Camille et Sophie sétait arrêtée, figée, tandis quAndré la dévisageait, le sourire aux lèvres.

« Qui estcette dame ? » murmura Camille.
« Cest ma femme, les filles, » répondit Éléonore.

Il prit sa main et, sous le dernier souffle chaleureux dun octobre tardif, ils sengagèrent lentement dans le parc du Luxembourg. André foulait les feuilles dor, racontait des anecdotes, parfois sélançait en avant, tournait sur lui-même, marchait devant elle en continuant à parler sans cesse. Il riait à gorge déployée, elle, pourtant, nécoutait que le bourdonnement de son propre cœur, se rappelant que cela faisait une éternité quils ne sétaient retrouvés, seuls, au crépuscule dune ville qui séteignait. Une douceur sucrée sinsinua dans sa gorge, comme un avantgoût de proximité.

Leur fils, Théo, fut récupéré à la crèche le lendemain. Au fil des semaines, André sen chargea luimême, un geste rare pour lui, puisquil navait jamais pris en charge la sortie de Théo auparavant.

Quelques semaines plus tard, un jeudi gris de novembre, Éléonore rentra du travail et découvrit, sur la table de la cuisine, trois grandes roses rouges dans un vase. Son cœur senflamma, et, tremblante, elle resta longtemps devant la porte de la chambre où lattendait André.

« André, merci ! » sauta sa voix, trahie par le tremblement.

Leur intimité, longtemps hésitante, se transforma. Dans la jeunesse, ils sétaient effleurés, découvrant à petits pas les limites de lautre. Éléonore désirait davantage, mais André, satisfait, laissait les choses telles quelles étaient. Ils ne parlaient guère de ce sujet, comme si lamour sexprimait sans mots.

Or, pendant les dernières semaines, André franchit, presque quotidiennement, ces barrières invisibles comme sil nen avait jamais eu. Éléonore, surprise mais ravie, ne montra rien, acceptant les changements comme sils avaient toujours existé.

Un mois passa.
Le samedi de décembre, qui clôturera notre récit, débuta dans la nuit. Éléonore séveilla au doux frôlement dAndré qui caressait ses cheveux du bout des doigts. Ce geste dura à peine une minute; il sendormit, ignorant son réveil. Elle resta éveillée, scrutant lobscurité, jusquà ce que les motifs du papier peint séclaircissent. En senfonçant dans le sommeil matinal, elle admit à elle-même une fatigue profonde, accumulée durant deux mois de changements, alors même quelle sattendait à linverse. Pourquoi? Le cœur lourd, elle sombra dans le sommeil.

Le matin, Théo hurla :

« Maman, papa, il neige ! »

Et, en effet, la nuit avait laissé un manteau de neige épais, la rue entière était dun blanc aveuglant, les routes étaient ensevelies.

« Maman, je veux faire de la luge, on y va! »

Éléonore prépara en vitesse des sandwiches et du thé. Tous trois mangèrent. En attachant le bonnet de son fils, elle entendit soudain :

« Vous nimaginez pas à quel point je vous aime ! »

André, dos à la fenêtre, les observait, mais dun œil détaché, comme à travers un voile. Puis il fixa Éléonore dans les yeux, mêlant peur et supplication.

Comme un été après la pluie, où le soleil, timide, perce les nuages, tout devint net, chaque détail éclata dans une image claire.

Éléonore se détourna, les mains tremblantes, essayant de se calmer. Elle ne tourna pas la tête vers André, mais savait quelle devait répondre, rien quun mot.

« Tu restes avec nous ? »

André sembla dabord ne pas comprendre, frissonna, regarda Éléonore avec étonnement, puis éclata de rire.

« Bien sûr ! »

Il se hâta de shabiller.

Éléonore navait plus dappétit.

Ils se promenèrent longtemps, le froid était doux, le soleil brillait, obligeant à plisser les yeux. Ils descendirent une petite pente enneigée ; André et Théo dévalèrent la colline, Éléonore se contentait de regarder. Plus tard, les enfants se lancèrent dans une bataille de boules de neige, criant, riant, courant les uns après les autres. André lança maladroitement une boule qui frôla Éléonore ; elle lattrapa et la repoussa. Il ne tenta plus.

À un moment, Éléonore séloigna, le regard fixé sur le ciel où une nuée de corbeaux criait en vol. Soudain, le ciel tourbillonna, le soleil devint aveuglant, elle trécha et tomba. André accourut, laida à se relever, secoua la neige de son manteau.

« Ça fait mal ? »

Leurs regards se croisèrent. Quelques secondes ségrainèrent, puis André, presque instinctivement, savança vers ses lèvres. Éléonore le repoussa dun geste, le poussant contre sa poitrine. Trois mois auparavant, il se serait offusqué ; aujourdhui, il esquissa un sourire bancal, haussa les épaules et, comme si de rien nétait, repartit jouer aux boules de neige avec Théo. Éléonore séchappa dans lautre direction.

« Éléonore, où vastu ? »

Elle courut vers la porte, les yeux embués de larmes, essuyant son nez avec la manche, chutant plusieurs fois, se relevant à chaque fois.

André, sans même remettre le bonnet de son fils, le plaça dans la luge et se lança à la poursuite dÉléonore. Théo avançait, le bonnet glissant sur ses yeux, les gants trop gros à cause de la neige collée. Ils le rejoignirent au pied de limmeuble.

« Dismoi, questce qui ne va pas ? »

Le reste de la journée, André et Théo assemblèrent un jeu de construction et regardèrent des dessins animés. Étrangement, André supporta longtemps le petit garçon. Éléonore, dans la cuisine, préparait le dîner, écoutant les rires et les paroles qui séchappaient du salon. Un instant, elle alla rendre visite à la voisine et prit une cigarette, très rare pour elle.

Après le souper, alors quelle lavait la vaisselle, André, assis sur le tabouret, racontait encore une histoire. Éléonore se tourna vers lui, le regard perçant, la voix calme, et demanda :

« André, qui estu vraiment ? »

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