Le Téléphone : Connexions à Travers les Âges et les Cultures

«Jai faim», pense Élodie, la petite chatte grise, «Jai tellement faim».
Ce désir ne la surprend plus: depuis trois semaines, elle ne mange plus depuis que son foyer a changé.
Comment ça a changé? Elle ne comprend pas. Tout allait bien, elle vivait comme une reine, refusant tout ce qui ne lui plaisait pas.
Sa maîtresse ne lui donnait jamais de croquettescest de la pure poison!Elle ne recevait que du frais: de la viande, du fromage blanc, des vitamines, et rien de plus.

Un matin, Élodie se réveille et découvre son bol vide. La chatte regarde, attend un instant, puis se fâche mais cela ne fait quaugmenter son besoin de manger. Le téléphone de la propriétaire sonne dans la pièce, une fois, puis une seconde fois.

Curieuse, Élodie pousse la porte du salon. Elle trouve la dame allongée par terre. À cet instant, les clés tintent, la porte souvre en grand, et des inconnus font irruption. Ils soulèvent la femme et lemportent. Élodie ne la voit plus jamais.

La porte claque. La petite chatte se retrouve seule, dans un appartement vide, affamée.
Elle a de leau, mais «de leau», ça ne remplit pas lestomac.

Plus tard, dehors, Élodie comprend que leau est aussi un trésor. Quand on erre de poubelle en poubelle et que lon ne trouve que du pain rassis, sans aucune flaquela soif devient insupportable. Mais pour linstant, elle reste dans lappartement, hurlant, pleurant, implorant quon lui donne à manger. Personne ne vient.

Au cinquième jour, la porte souvre à nouveau ; des inconnus entrent. Élodie pense quils vont enfin la nourrir. Elle bondit vers eux, miaule. Les hommes lignorent. Elle miaule encore, non plus avec colère mais avec supplication. Lun deux se penche, la saisit par le col et montre à son complice:

«Une chatte de la famille? Que fautil faire?»
«Jettela, elle ne sert à rien», répond lautre.

Lhomme ouvre la porte et jette Élodie dans le cageescaliers.

Choquée, affamée, terrorisée, elle se cache dans un coin. Elle ne comprend rien. Jusquau soir, elle reste là, puis, poussée par la faim et la soif, elle ose sortir. Elle monte les escaliers, redescend, lendroit est sombre et lugubre. Elle pleure longtemps.

Au rezdechaussée, une porte souvre. Élodie sélance, certaine dêtre admise, mais un homme somnolent lattrape et la jette de nouveau dehors, dans la nuit noire.

Seule, dans un monde quelle ne connaît que de la fenêtre, elle se dit quelle ne doit plus avoir peur. Bêtise! Elle comprend quelle peut encore trembler.

Elle a soif. Elle trouve une petite flaque dont leau sent mauvais, mais cest de leau; elle boit à grandes gorgées. Ensuite, une odeur de nourriture avariée lattire; affamée depuis une semaine, elle se goinfre le rebord dun pain moisi. La faim diminue légèrement.

Un autre chat surgit, fouettant le ventre avec la queue, prête à lattaquer. Élodie recule, effrayée.

Des chiens passent; elle grimpe à un arbre pour les fuir. Des passants lancent des pierres, agacés par ses cris. Elle ne sait pas comment elle survit, ni combien de temps elle pourra encore sen sortir.

Sa fourrure, habituellement brillante, devient sale et terne, collée de détritus. Elle veut tant boire quelle ne peut plus se lécher correctement. Un jour, par méprise, elle sengouffre dans de la fibre de verre. Depuis, de minuscules éclats de verre restent coincés dans son pelage, et son petit bout de langue saigne.

Elle se sent presque indifférente à la vie ou à la mort.

Elle atteint un parc. On y trouve moins de chats que près des immeubles, mais des promeneurs avec leurs chiens, et elle doit souvent se cacher dans les arbres. Autour des bancs, la nuit, elle déniche des miettes.

Aujourdhui, elle se planque dans un arbre pour échapper à un gros chien, passe la moitié de la journée làdessus, puis doit chercher nourriture et eau.

Avec prudence, elle descend, se faufile dans lherbe coupée et contourne le parc. Au début, la chance nest pas de son côté, puis elle repère un morceau de baguette et une petite saucisse. Elle dévore rapidement, en gardant lœil ouvert.

Le problème de la nourriture est résolu. Il reste leau. Elle repère un endroit où les gens boivent au soleil ; une partie de leur eau tombe au sol. Si la pluie na pas tout absorbé, elle pourra boire.

Soudain, un gémissement retentit. Un homme gît près dun banc, les yeux fermés. Élodie séloigne dabord, pensant que ce nest pas son problème, mais le gémissement se répète. Curieuse, elle sapproche.

Lhomme, un vieux monsieur, est affaibli. À ses pieds, un objet familier à Élodie le petit porteclé que sa maîtresse utilisait quand elle avait besoin de quelque chose repose dans lherbe. Lobjet bourdonne légèrement.

Le vieil homme tente de le saisir, mais il reste hors de portée. Il lance un regard désespéré vers la chatte.

«Petite, aidemoi!», murmuretil en griffonnant le sol pour retrouver son téléphone.

Élodie comprend que lhomme a besoin de cet objet, mais quil ne peut pas bouger. Elle sapproche, pousse le porteclé du bout de la patte, encore et encore, jusquà ce quil glisse dans la main du monsieur.

Un bourdonnement retentit de nouveau, le téléphone sonne.

«Papa, où estu? Pourquoi ne répondaistu pas?», entendon une voix inquiète.
«Ma fille, je suis au parc, près dune grande fleur. Je suis tombé, je nai pas pu atteindre mon téléphone.»
«Papa, on arrive, tiens bon!»

Le vieil homme sallonge sur lherbe, reconnaissant.

«Merci, petite!», ditil à Élodie. «Tu mas vraiment sauvée!»

Des pas se rapprochent, des gens arrivent. Élodie profite de linstant pour disparaître, laissant le vieil homme boire. Elle na pas encore eu le temps de se désaltérer, ni de se nourrir davantage.

Les jours passent, Élodie continue de se réfugier dans le parc, vivant au jour le jour. Le soleil la pousse à grimper aux arbres, la nuit elle descend chercher des restes. Un jour, la pluie tombe, la trempe, la refroidit, mais rend leau plus facile à trouver.

Une semaine plus tard, une voix familière sélève.

«Je suis tombé ici, la chatte était là.»
«Papa, elle a sûrement déjà fui!»
«Marina, je me dis que ce nest pas une sauvage. Elle était domestiquée avant. Allons la chercher.»

Le vieil homme et la jeune femme, Marina, appellent la petite «kisskisskiss». Élodie entend leurs appels, mais ne se précipite pas.

Le garçon parle doucement, sa voix rappelle celle que la maîtresse de la chatte lui faisait écouter quand elle lincitait à manger une friandise. Le ton la rassure.

Il remarque Élodie près dun arbre.

«Marina, voilà! Fais attention, ne leffraie pas.»

Il sort de sa poche un petit sachet de croquettes, le presse, libérant une odeur alléchante. Élodie, affamée depuis un mois, ne peut résister. En quelques secondes, elle engloutit tout. Elle pousse un petit ronron, comme si elle nen avait jamais eu depuis longtemps.

Le vieil homme sincline vers elle, tendant la main.

«Petite, merci, tu mas sauvé la vie. Veuxtu venir avec moi?Je ne te ferai aucun mal. Tu veux vivre chez nous?»

Il continue de parler, sa voix enveloppante comme un plaid. Il promet sécurité, chaleur, repas à volonté. Élodie, timide, se frotte contre son bras, ronronne. Le couple sapproche, la caresse doucement.

Ils lemmènent hors du parc, la ramènent chez eux, la lavent, la nourrissent. Le lendemain, ils lemmènent chez le vétérinaire.

«Élodie! Questce qui vous est arrivé?», sétonne le vétérinaire.

«Vous la connaissez?», demande le monsieur.

«Oui, je la connais bien. Sa maîtresse était très responsable, elle faisait toujours ses vaccins à temps.»

Le nouveau maître raconte comment ils lont trouvée.

«Sa maîtresse est décédée, cétait une dame dâge avancé,» explique le vétérinaire avec tristesse. «Ses héritiers lont jetée à la rue. Quelle injustice!Elle était une pure race, ils auraient dû au moins publier une annonce.»

«Désormais elle est à nous,» déclare lhomme. «Elle ne sera plus jamais abandonnée.»

Il regarde la chatte:

«Alors, cest bien Élodie!Ravie de te revoir.»

On administre les vaccins, Élodie ne résiste pas; elle comprend quon veut bien laider.

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