Quel est le problème? sétonna Paulette, la petite voix tremblante.
Que pouvait bien lui demander la campagne? Creuser les platesbasses, semer les radis; rien de plus, comme dhabitude.
Maman, tu vas bien? Tu ne tes pas chauffée la tête?
Maman, désormais Mariette Duval, avait été admise en service de cardiologie presque immédiatement après les funérailles du père: une aggravation de son infarctus ischémique, survenue au quarantième jour. Tout le monde avait considéré cela comme naturel: le couple vivait paisiblement, et la veuve, à soixante ans, était censée rester seule. Après la perte de son mari, personne ne semblait plus lui parler.
Le père était parti sans souffrir: il sétait installé devant son feuilleton préféré, sest endormi sur le côté, et na jamais plus rouvert les yeux. Alors quils se préparaient à fêter leurs noces dargent, ils ont dû organiser les obsèques. Il laissait derrière lui une petite maison de campagne à Giverny, un terrain quil avait commencé à agrandir alors que Paulette nétait encore quune bambine.
Un dimanche, Paulette se rendit à la maison de campagne, la période de semis approchant. Elle y découvrit, à son grand étonnement, un homme en caleçon, le visage vaguement familier. Cétait le médecin traitant de sa mère, le docteur Lucien Roche, qui parcourait le terrain à poil, comme sil était venu inspecter la santé des plantes.
Les explications étaient simples: le médecin, âgé dune soixantaine dannées, était venu effectuer un contrôle de routine, bien que la sortie de lhôpital fût survenue six mois plus tôt. Mais pourquoi se promenaitil ainsi, sans blouse ni stéthoscope?
Le soleil frappait fort, et se balader nu dans une parcelle qui ne lui appartenait pas demandait un courage fou. Mariette, le visage fermé, attendit sa fille.
Questce que tu veux?
Quel? répéta Paulette, incrédule.
Questce que je peux demander à ma propre campagne? Juste creuser un peu, planter ce que je veux, comme dhabitude!
Tu vas bien, maman? Tu nas pas la tête qui tourne?
Mariette ne répondit pas, mais un silence lourd, presque un cri. Le médecin savança, salua dune voix douce, sans se soucier du fait quil se tenait nu devant une femme de trentecinq ans. Son sangfroid était remarquable.
Paulette hocha la tête, se retint de parler, puis séloigna, embarrassée, vers la maison: que faire? Partir immédiatement aurait signifié fuir le combat. Mais rester là, comme un spectateur impuissant, était impossible.
Elle but un verre deau, puis décida déclaircir la situation. Pourquoi lhomme se comportaitil comme un habitant? Quels étaient les projets de sa mère avec lui?
Il est chez nous! expliqua Mariette. Et les projets sont énormes: nous allons nous marier!
Vous vous mariez? sécria la fille, stupéfaite. Et le souvenir de mon père? Lamour éternel? Vous ne chanterez pas «Je taime, je taime» comme le dirait Aznavour?
On pourra se marier à la hâte! lança Mariette, riant de sa propre blague. Et si tu restes là, Paulette, tu verras combien il est timide!
«Timide!», sindigna Paulette. «Imagine ce qui se passerait sil nétait pas embarrassé»
Il peut être timide ailleurs? Pourquoi alors en caleçon?
Dans quel autre endroit? sétonna Mariette, sérieuse. Sans son caleçon, il serait inconfortable!
Nous nous aimons, et tout deviendra commun: ma maison, la tienne! déclara le docteur, les yeux brillants dune satisfaction morale profonde.
Tu ferais mieux de partir! lança Paulette, furieuse. Jai droit à la part dhéritage!
Il savéra que la maison de campagne était enregistrée uniquement au nom de Mariette. Le nom du père napparaissait nulle part sur les titres de propriété. Ainsi, aucun droit de succession ne pouvait être revendiqué.
Alors, quitte ce lieu! Tu nes rien ici! cria Mariette. Paulette seffondra sur un banc, se sentant comme une ombre.
La parcelle appartenait aussi à la grandmère de Paulette, qui lavait reçue de son ancien bureau de plans. La construction de la maison avait commencé avant même la naissance de Paulette, et sétait poursuivie pendant son enfance.
Pourquoi nestu pas copropriétaire? demanda le docteur, sarrêtant de creuser les platesbasses.
Ton père na jamais accordé dimportance aux biens matériels! Il vivait pour les idées, les rêves! répondit Mariette, les yeux emplis de nostalgie.
Le médecin, désormais à moitié nu, sappuya sur sa pelle, hochant la tête comme pour dire «Je suis entièrement daccord, ma chère». Son regard était chargé dune étrange jouissance, presque plus que morale.
Les jeunes plants, éparpillés au soleil, semblaient témoigner du drame qui se jouait. Paulette, assise en silence, sentit que le moment était venu de partir.
Par les papiers, elle navait aucun droit sur la maison: elle était encore considérée comme enfant au moment où le titre avait été rédigé. Elle reprit la route, le cœur lourd, se demandant pourquoi sa mère se comportait ainsi, et pourquoi cette soudaine haine envers sa fille.
Peutêtre le médecin, ce «thérapeute ambulant», était le vrai coupable. Mais la maison, comme le disait sa grandmère, était «en train de craquer». Personne naurait dû atteindre ce point de rupture.
En même temps, Maxime, le mari de Paulette, sinquiétait dun changement soudain: sa bellemère, habituellement discrète, était devenue très entreprenante.
Quy atil avec Mariette? demanda Maxime, inquiet, après que le médecin ait été découvert.
Paulette et Maxime étaient mariés depuis dix ans, avec leur fille de huit ans, Violette, qui passait les vacances dété chez le grandpère à la campagne. Ce weekend, la mère de Maxime était venue la récupérer.
Quel drame! sexclama le beaufrère, après avoir appris la maladie cardiaque de Mariette. Même une crise dischémie ne la pas arrêtée!
Quelle est donc la vraie identité du docteur qui se promène en caleçon? demanda Paulette, se rappelant le nom entendu autrefois.
Il sappelle Victor Rivière! sécria sa femme, se souvenant dune conversation. Mais sans blouse, il nétait plus reconnaissable.
Maxime chercha sur internet et découvrit que Victor Rivière était marié.
Comment peutil vouloir épouser ma mère? sétonna Paulette.
Probablement il divorçait; le bigamie, cest interdit! suggéra Maxime. Il proposa den parler à Mariette.
Ils allèrent chez lavocat de Maxime, René Lambert, surnommé «lavocat du diable», réputé pour ne jamais perdre un procès.
René expliqua que, même si la maison était enregistrée au nom de Mariette, la communauté de biens du couple aurait pu donner à Paulette un droit dusage, car le terrain avait été construit avec les économies de toute la famille.
Après cette consultation, le couple revint à la maison de campagne, espérant négocier à lamiable. Mariette refusa même de les laisser entrer: «Je ne veux pas dune vieille femme malade qui fouette le terrain!»
Alors nous irons au tribunal! cria Maxime, furieux, en franchissant la clôture.
Allezy autant que vous voulez! ricana le docteur, jouant le rôle du propriétaire.
Le procès fit éclater la colère de Mariette: «Mon mari tourne dans son cercueil à cause de ma fille!»
Paulette, les larmes aux yeux, répliqua: «Tu nas même pas respecté le deuil! Tu as invité un homme marié dans notre vie!»
Mariette, furieuse, déclara: «Rien ne te reviendra! La maison est à moi, le reste ne te regarde pas!»
Le juge, après de longues délibérations, accorda à Paulette un quart de la maison et un quart de lappartement de la ville, le reste revenant à sa mère.
Mariette cria comme une bête piquée, refusant daccepter que sa fille foule encore son terrain. Le tribunal ordonna la vente de la propriété et le partage du produit selon les parts.
Paulette proposa alors dacheter la maison à sa mère. Mariette, dabord réticente, accepta en échange dune somme substantielle et dune renonciation à sa part dans lappartement.
Ainsi, Mariette devint seule propriétaire de lappartement, tandis que Paulette récupéra la maison de campagne. Le petit frère de Maxime, le médecin, disparut, ayant quitté lhôpital, laissant la famille perplexe.
Les deux femmes, après tant de querelles, réparèrent leurs liens: la mère, revenue à la raison, retrouva son rôle de mère aimante et grandmère, et la fille put enfin respirer.
Mariette justifia son comportement par une brume passagère desprit, un Mercure rétrograde et la menace dun astéroïde invisible. Elle conclut: «Cest toujours le soleil qui nous joue des tours!»
Et, peutêtre, un jour, la Terre changera daxe, et les vieilles rancœurs seffaceront dans le ciel.







