«Je nai jamais eu un bon pressentiment sur ce gendre!» sécria Angéline en haussant les épaules. «Il a lair dêtre venu ici rien que pour largent! Pas pour travailler, mais pour sattacher à une fille riche et la dépouiller jusquau dernier centime.»
«Maman, pourquoi ne lastu jamais dénoncé?» sexclama Océane, les larmes aux yeux. «Nous sommes mariés depuis deux ans!»
«Je comptais que tu finirais par voir clair!» répliqua Angéline, les bras ouverts. «Tu es complètement aveuglée par ce Grégoire, tu ne vois pas lévidence!»
«Quattendaisje de voir?» demanda Océane, déconcertée.
«La naïveté!» sindigna Angéline. «Il vient tout droit du Pays Basque, il a traversé tout le pays pour arriver à Paris. Pourquoi? Il y a du travail partout! Mais lui, il a foncé dans la capitale, directement chez notre père, puis il a cherché à épouser la fille du patron. Et voilà quil sest marié avec elle!»
«Il se montre tout doux, cultivé, serviable, presque sucré!» poursuivit la bellemère. «En trois kilomètres, on comprend quil se mariera avec nimporte quel requin tant quil y a de largent.»
«Maman, je ne suis pas un requin,» protesta Océane.
«Peu importe!» secoua Angéline la tête. «Lessentiel, cest que tu as accès aux fonds de ton père, et donc tu es la plus précieuse au monde à ses yeux!»
Alors quOcéane se morfondait, Angéline enfonça le clou :
«Après votre mariage, il est allé voir notre père et a demandé quon vous achète un appartement!Et bien sûr, le père a accepté, parce quil est généreux.»
«Jai insisté pour que le contrat soit à ton nom, pas au sien!Sinon tu aurais été expulsée de lappartement.»
«Il a déjà tout prévu, ton Grégoire!Il compte divorcer, prendre la moitié du logement!»
«Nous ne prévoyons rien de tel,» rétorqua Océane.
«Ce nest pas encore le moment; il na pas encore rempli ses poches. Quand il en aura assez, il te laissera tomber sur le champ.Jen suis sûre, je le vois sur son visage impudique!» conclut Angéline.
«Il ne réclame rien, il travaille et gagne!» protesta Océane, perplexe.
«Je ne sais pas ce quil gagne, mais rappelletoi où il travaille!»
«Pas chez notre père,» répondit Océane. «Il a démissionné juste après notre mariage.»
«Exact!Il a eu peur des mauvais avocats. On aurait pu lui dire quil a épousé la fille du patron pour de mauvaises raisons, mais il a trouvé un poste chez lami de notre père, avec un bon poste. Sans lintervention de notre père, Grégoire ne serait jamais arrivé là.Il profite de son image de gentil et de propret.»
«Maman, je ny pensais pas» sanglota Océane.
«Jai remarqué que, sil y a une autre femme, elle est déjà dans son sac!»
«Pourquoi auraitil une autre?»
«Pour lamour!Toi, elle ne taime que pour tes sous!» affirma Angéline.
Océane, rouge de honte, poussa un cri :
«Papa!»
Sa voix résonna dans la grande demeure familiale, où chaque pièce semblait peser dune fatigue éternelle. Le père, Jean, arriva en trombe, le visage pâle, le souffle court, habitué aux cris perçants de sa fille depuis deux ans.
«Ma fille, que se passetil?»
«Papa, il faut le faire payer, le piétiner, le réduire à néant!»
«De qui?» sétonna Jean.
«De Grégoire!»
«Questce quil ta fait?» demanda le père, incertain.
«Il me trompe!Et il ma épousée uniquement pour largent!»
«Vraiment?Mais comment le saistu?»
«Maman la vu, elle le voit à travers!»
«Ah, ma chère, que voistu?»
«Je navais jamais remarqué tant que maman ne ma pas ouvert les yeux!»
Jean se tourna vers sa femme :
«Merci, Angéline, davoir mis de leau dans le feu!»
«Ne mappelle pas par mon prénom, ça ne me plaît pas!», sécria Angéline, vexée.
«Je devrais savoir comment tappeler pour que tu deviennes plus sage, AngélineAngéline»
«Papa,» balbutia Océane. «Questce que cela signifie?»
«Ta mère, comme toujours, a inventé toute lhistoire et la amplifiée. Tu ne connais même pas ton mari, pas même la moitié de ce quelle te raconte!»
***
Grégoire, originaire de Biarritz, arriva à Paris avec un diplôme déconomie. Son rêve était de conquérir la capitale. Il savait que tout le monde pouvait venir, mais seuls quelques audacieux réussissaient réellement. Son premier objectif était de ne pas se laisser submerger par le tourbillon parisien.
Il loua une petite chambre et décrocha un poste de chargé de clientèle dans une société. Il voulait gagner de lexpérience et shabituer au rythme, avant dambitionner davantage.
Six mois plus tard, ladaptation fut terminée, bien que les tentations fussent nombreuses. Aucun feu ne lattira, il resta concentré. Sa volonté était dacier ; il ne sembarqua dans rien dindésirable, mais shabitua tout de même à la vie citadine. Le salaire dun chargé sans expérience ne le rendaient pas riche ; il dépensait prudemment largent quil avait apporté, au cas où il aurait besoin de fonds pour un projet sérieux. Sa vie devint essentiellement le travail.
Grâce à son assiduité, il fut promu chef déquipe. Il nétait plus simple chargé, mais toujours en bas de léchelle salariale. Cela ne le découragea pas ; il voyait cela comme un tremplin.
Un soir de fête de fin dannée, lentreprise organisa un séjour de trois jours dans un centre hôtelier avec bar, restaurant, bowling, sauna, piscine et karaoké. Grégoire suivit le programme officiel, explora les activités et, ennuyé, décida de se promener. Il repéra alors une jolie jeune femme, quil navait jamais vue auparavant. Il ne savait pas si elle était comptable ou serveuse, mais il sapprocha, engagea la conversation et parlèrent de musique, de littérature et de cinéma. La complicité naquit immédiatement.
Il apprit quelle sappellait Océane, fille du propriétaire de la société. Grégoire pensa : «Je vais devoir y aller à fond!», puis se dit que ce nétait pas si grave.
Océane, consciente que Grégoire nétait quun chef déquipe, resta détendue :
«Il me plaît!Et si son statut importe, je demanderai à mon père de le promouvoir.»
Leur relation dura un an. Océane ne demanda jamais de cadeaux coûteux ni de voyages extravagants. Elle savait que le salaire de Grégoire était modeste et que son père nétait pas encore prêt à intervenir dans son cœur.
Les préparatifs du mariage savancèrent. Peu avant le jour J, Jean convoqua Grégoire pour parler de lavenir dOcéane.
«Alors, jeune homme, que proposestu?»
«Je suggère que les frais du mariage soient partagés à parts égales,» répondit Grégoire avec sérieux. «Et après le mariage, je démissionnerai.»
«Vous êtes plein de surprises!» sétonna Jean. «Pour les dépenses du mariage, je ne me mêle pas de savoir doù vient largent. Mais pourquoi démissionner?»
«Je veux que tout reste clair. Largent que je toucherai viendra de ma mère, et je partirai pour éviter tout conflit.»
«Vous avez grimpé les échelons avant même que je vous connaisse. Si vous vous mariez, tout le monde dira que vos promotions sont dues à ma protection, pas à votre mérite.»
«Je veux tout mériter par moimême!»
«Pensée globale,» acquiesça Jean. «Et avec conscience. Si vous quittez, je ne vous abandonnerai pas. Jappellerai un ami pour vous trouver un poste, mais pas en tant que gendre, mais comme Grégoire de Biarritz.Quil décide sil veut vous embaucher.»
«Fier!» sourit Jean. «Respect.»
Grâce à son dossier, Grégoire fut rapidement nommé responsable de service, puis, quelques années plus tard, directeur dune division, toujours grâce à son travail et non à des faveurs.
Lors du mariage, Jean rencontra la mère de Grégoire, MarieClaude, qui était venue de Bordeaux avec une importante somme dargent, finançant la moitié de la réception somptueuse. Elle expliqua que son mari, décédé il y a cinq ans, avait travaillé dur pour accumuler cette fortune.
«Grégoire veut prouver quil mérite le nom de son père,» déclara MarieClaude. «Pendant que je gère lentreprise de mon époux, je transmettrai tout à son fils dès quil sera prêt.»
De son côté, à Biarritz, trois restaurants et une petite chaîne de snackbars attendaient Grégoire. Lequel deux aurait le plus de fonds? Personne ne le savait.
Angéline, qui nétait pas présente lors de la conversation entre Jean et Grégoire, nentendit quune partie du dialogue, notamment la question :
«Vous achèterez lappartement?»
Elle ne surprit pas la réplique :
«Ou je lachète moimême, pour éviter deux appartements, ne pas gaspiller dargent?»
Elle composa donc son opinion : Grégoire était un séducteur, un alchimiste de largent, qui avait épousé Océane pour son portefeuille.
Elle ne dit rien à sa fille, trop occupée à surveiller son mari, convaincue quil avait une maîtresse. Elle chercha désespérément la preuve, au point den oublier sa propre fille pendant des années.
Jean raconta finalement à Océane ce quil avait découvert sur le gendre. Tout était confirmé : le désir dargent du jeune homme était réel. Il supposa dautres femmes, mais Angéline inventa cette théorie, persuadée que tous les hommes étaient des tricheurs, même son propre époux, quelle tentait dattraper en flagrant délit depuis vingtcinq ans.
Il conclut :
«Ma fille, notre mère juge tout à sa façon. Elle veut nos sous! Si on lui donne le contrôle du compte, elle partira dans les pays chauds. Elle croit que tout le monde agit ainsi. Lamour nest pas la solution, largent lest. Sa jalousie est justifiée : sans amour, il ny a pas de fidélité.»
«Grégoire est un bon gars, réfléchi. Quand le moment viendra, je lui transmettrai mon entreprise.» ajouta Jean.
Angéline, les yeux pleins de haine, quitta la pièce dignement, sans protester.
«Même pas de dispute,» nota Jean, en hochant la tête. «Tu as un bon mari, ne le maltraite pas.»
«Tu deviendras bientôt grandpère,» lança Océane avec un sourire.
«Cest une excellente nouvelle!» lenlaça Jean. «Et nécoute jamais plus ta mère.»







