Anne Dupont était assise à son petit bureau, relisant les notes du registre des réclamations. Au crayon, plusieurs passages étaient entourés: «menace de procès», «crie après lenfant dans le couloir», «lenfant pleure, refuse de rentrer à la maison». Cétait le compterendu de la professeure principale de la classe de huitièmeB.
Dans le couloir, les élèves dévalaient les escaliers, claquant les portes des casiers, riant, se disputant. Dans la salle, le silence régnait. Sur le rebord de la fenêtre reposaient deux dossiers intitulés «Service de médiation scolaire». Anne effleura la reliure du haut. Cette année, elle avait fait inscrire la médiation dans le règlement de létablissement, afin que, dans les conflits épineux, on puisse convoquer officiellement les parents et structurer le dialogue selon des règles, au lieu de simplement écouter les plaintes dans le couloir.
Elle relut le nom de lélève. Théodore, treize ans. La veille, il était venu la voir après les cours, muet, les épaules serrées autour de la bandoulière du sac. Il avait murmuré que «tout allait mal à la maison» et que son père avait promis de «soccuper de lécole une bonne fois pour toutes». Anne lui avait offert un verre deau et demandé sil accepterait quelle appelle ses parents pour proposer une rencontre de médiation. Théodore avait haussé les épaules, puis, après quelle précise quelle ninterviendrait pas sans son accord, il avait acquiescé.
Il fallait maintenant appeler le père. La mère était inscrite dans le dossier, mais son numéro était rayé et réécrit avec un autre stylo. Anne décida de commencer par le père, celui qui semblait déjà engagé dans un conflit avec létablissement.
Elle composa le numéro, le règlement de médiation imprimé posé devant elle. La sonnerie grésilla, puis une voix fatiguée surgit:
Allô?
Bonjour, je suis Anne Dupont, psychologue scolaire. Jappelle au sujet de Théodore. Vous avez un instant?
Questce que vous voulez encore? linterrompit lhomme. On la déjà assez harcelé avec vos convocations.
Anne sentit ses épaules se raidir. Elle prit une respiration profonde et poursuivit dune voix posée:
Il ne sagit pas de sanctions. Lécole a mis en place un service de médiation. Je souhaitais vous proposer, à vous et à Théodore, une rencontre volontaire pour essayer de désamorcer les tensions.
Médiation? le ton du père trahissait la méfiance. Vous savez, je suis juriste. Je connais vos belles phrases qui masquent les erreurs. Si on a fait du tort à mon fils, je déposerai plainte.
Vous avez ce droit, répondit calmement Anne. Mon rôle est différent. Aucun verdict nest rendu lors de la médiation; on discute simplement pour comprendre la situation et chercher une solution qui convienne à tous, surtout à Théodore. Vous pouvez vous retirer à tout moment, sans aucune conséquence.
Un silence lourd sinstalla quelques secondes, ponctué du souffle discret du père.
Ce nest donc pas un interrogatoire? demandatil finalement.
Non. Cest une conversation encadrée, où je veille au respect des règles et à la sécurité. Jinvite le professeur principal et, si vous le permettez, le directeur adjoint, afin que tout soit transparent.
Le directeur adjoint le père soupira. Daccord. Si cest officiel, je viendrai. Mais je vous préviens: si on commence à faire pression sur le garçon, je naccepterai pas.
Votre position est claire. Je veillerai à ce que personne ne le contraigne, confirma Anne. Je vous envoie par courriel les détails de la procédure et quelques créneaux. Vous choisirez.
Ils échangèrent leurs adresses électroniques. Anne nota dans le registre: «Père daccord, à préciser limites et confidentialité».
Le dialogue avec la mère fut différent. Claire, la maman, parlait doucement, sexcusant à plusieurs reprises dêtre dérangée pendant son travail, et accepta immédiatement de participer, à condition que la réunion soit prévue laprèsmidi. Sur la question du caractère volontaire, elle résuma: «Si cela laide à ne plus avoir peur à la maison, je suis prête à tout.» Anne grava cette phrase dans son esprit.
Deux jours plus tard, ils se retrouvèrent dans une salle de réunion attenante au bureau du directeur. La table était disposée sans place dhonneur. Sur le plateau, les accords de médiation imprimés, des stylos, une bouteille deau et des gobelets jetables.
Le premier à entrer fut Théodore. Il franchit le seuil sans ôter son sac, sarrêtant près de la porte.
Je peux masseoir? il pointa du doigt une chaise latérale.
Bien sûr, choisissez où vous êtes le plus à laise, répondit Anne. Noubliez pas que vous pouvez partir à tout moment si vous vous sentez mal.
Il sassit, le sac à ses pieds, la bandoulière toujours serrée.
Sa mère, petite femme en pull gris, entra, le salua, sinstalla à côté de lui et toucha légèrement son épaule. Théodore se retira légèrement, sans geste brusque.
Le père arriva en dernier, grand, costume sombre, mallette en main. Il scruta la pièce, sattarda sur Anne, sur la chaise vide réservée au directeur adjoint, puis sur la pile de dossiers.
Bonjour, lança-t-il dune voix sèche.
Bonjour, merci dêtre venu. Le directeur adjoint arrivera bientôt, puis nous pourrons commencer, répondit Anne.
Olivia Martin, directrice adjointe, pénétra une minute plus tard, salua, sassit légèrement en retrait, laissant lespace central libre. La présence dun représentant de ladministration rappelait à Anne quil fallait éviter que les parents perçoivent la médiation comme un «second tribunal».
Avant de débuter, annonça Anne après que tout le monde se soit installé, je rappelle que la médiation est volontaire. Vous pouvez interrompre ou demander une pause à tout instant. Lobjectif nest pas de désigner un coupable, mais de comprendre ce qui se passe et de trouver ensemble des pistes damélioration pour Théodore.
Elle distribua à chacun le document daccord.
Voici le protocole de médiation. Nous parlerons à tour de rôle, sans interrompre, sans élever la voix. Tout ce qui est dit reste dans cette pièce, sauf en cas de danger immédiat pour lenfant. Vous décidez vousmêmes, je ne rendrai aucun verdict.
Le père parcourut le texte du bout des doigts. La mère saisit un stylo, le posa sans signer, et fixa son regard sur Anne.
Ce document, on le garde où? demandatelle.
Un exemplaire reste avec vous, lautre dans le dossier du service de médiation. Il nest pas admissible comme preuve en cas de litige, comme le précise le règlement, expliqua Anne.
Le père leva les yeux.
Donc, si je porte plainte plus tard, vous ne pourrez pas men vouloir davoir dit? demandatil.
Exactement, confirma Anne. Ce nest pas un recueil de preuves, mais un espace de parole.
Après un bref moment de réflexion, il signa. La mère fit de même, suivie dAnne et dOlivia, qui signa la case «représentant de ladministration».
Passons à la parole, proposa Anne. Chacun raconte, à la première personne, ce quil ressent. Qui commence?
Le père leva la main, hésitant.
Si vous le permettez, je commencerai, ditil. Jai limpression que lon traite mon fils comme le fauteur de tous les conflits. Je suis avocat, je connais les procédés, et je ne veux pas que lon abuse de mon enfant.
Anne acquiesça, lui donnant la parole.
Je vous entends dire que vous êtes fatigué et méfiant, et que vous cherchez à ce que votre fils soit traité équitablement, résumatelle.
Le père hocha la tête, ne contestait pas.
Qui veut parler ensuite? demanda Anne.
La mère, les yeux sur son fils, répondit doucement.
Chez nous, cest devenu difficile aussi. Théodore se renferme, se rebelle. Mon mari veut le «resserrer» pour quil ne séparpille. Jai peur de le perdre, de le voir séloigner de nous. Je ne veux pas quil nous craigne.
Le père se tourna brusquement vers elle.
Je nai jamais voulu quil me redoute, répliquatil. Je veux quil me respecte.
Anne leva légèrement la main, dessinant une petite barrière.
Laissons la mère finir, intervintelle calmement.
La mère continua, les doigts se crispant légèrement.
Je ne sais plus quoi faire. Il décline à lécole, on le convoque, et je crains que nos disputes naggravent la situation. Jaimerais savoir comment laider.
Anne fixa alors le regard sur Théodore, assis, le visage figé contre la table. Ses épaules tremblaient.
Théodore, estu prêt à parler? Tu peux dire tout ce que tu veux, à ton rythme, linvitatelle.
Il resta muet un instant, serra la bandoulière, puis souffla.
Je je ne veux pas venir ici. Lécole, oui, mais pas cet endroit. À chaque convocation, papa reçoit un appel, il se fâche, et à la maison il sinterrompit, lançant un regard rapide à son père. Je ne me bats pas sans raison. Ce sont les premiers qui attaquent. Mais quand le professeur arrive, il ne voit que moi.
Le père se pencha en avant.
Pourquoi ne mastu pas dit? demandatil. Je tavais demandé de me parler.
Parce que tu cries, lâchatil Théodore. Tu menaces de poursuivre tout le monde. Jai peur que tu te mettes en colère contre moi aussi.
Un silence lourd sabattit. Le père passa la main dans ses cheveux, le visage crispé.
Je ne veux pas que tu aies peur de moi, murmuratil.
Anne prit quelques secondes pour choisir ses mots.
Je perçois une grande tension et une peur partagée, tant chez vous que chez Théodore, déclaratelle. Nous ne sommes pas ici pour juger qui a raison, mais pour comprendre la situation à lécole et à la maison, et chercher des solutions qui soulagent chacun.
Olivia prit la parole, respectant la règle du «jestatement».
En tant que représentante de létablissement, je constate plusieurs incidents avec Théodore. Nous avons souvent réagi de façon formelle, sans creuser le fond. Je suis reconnaissante que vous soyez venus, cest loccasion de clarifier les échanges.
Le père, les bras croisés, répondit:
Daccord, supposons que vous vouliez vraiment la paix. Que proposezvous concrètement? Je ne veux pas que mon fils soit traité comme un boucémissaire.
Anne sentit la tension grimper. Elle devait recentrer le dialogue sur les besoins de lenfant.
Avant de passer aux propositions, jaimerais mieux comprendre ce qui se passe à lécole. Théodore, peuxtu nous raconter le dernier conflit?
Il acquiesça.
Cétait en physique. On lançait des papiers, jai demandé quon sarrête. Ils mont poussé. Jai tiré sur mon sac, ils mont tiré dessus. Une prof est entrée, elle na vu que moi pousser.
Et après? demanda Anne.
Le proviseur ma convoqué, ma menacé dun suivi disciplinaire si ça se reproduisait.
Le père se tourna vers Olivia.
Vous navez même pas cherché qui a commencé? senquitil, la voix plus dure. Vous comprenez que cest une violation?
Anne sentit lair se densifier.
Je comprends votre inquiétude, dittelle au père. Concentronsnous sur ce que vous souhaitez réellement pour Théodore à lécole, en laissant de côté la question du responsable.
Après un instant de réflexion, il répondit:
Je veux quon ne le harcèle plus, quon le traite comme nimporte quel élève, pas comme le responsable de tous les conflits. Et je veux être informé à temps, pas seulement après coup.
Et vous, Madame, que désirezvous pour votre fils? demanda Anne.
Quil nait plus peur ni à la maison ni à lécole, quil retrouve des amis, quil puisse raconter sa journée sans se refermer, répondit Claire.
Théodore, questce que tu veux? insista Anne.
Il resta silencieux, puis, après un bref instant, prononça:
Que lon ne me tire pas à chaque fois. Que lon discute calmement avant toute décision. Et que vous nincitiez pas à crier à la maison.
Le père soupira, détournant le regard.
Daccord, nous partageons plusieurs points: sécurité à lécole, communication claire, calme à la maison. Passons aux solutions. Je propose que lécole commence par ne pas sanctionner immédiatement, mais par un entretien avec Théodore pour éclaircir les faits, puis informer Olivia, qui vous transmettra les informations de façon neutre.
Olivia acquiesça.
Nous désignerons un interlocuteur unique, soit le professeur principal, soit moi, pour centraliser les échanges, afin déviter les interprétations.
Le père sembla se détendre.
Je veux que linformation soit factuelle, sans jugement, insistatil. Un seul contact, cest mieux.
Peutêtre que ce sera vous, Olivia? suggéra Anne. Vous connaissez déjà le dossier.
Ça me convient, confirma Olivia.
Anne nota dans son carnet: «Tous les incidents impliquant Théodore seront dabord discutés avec lui, puis communiqués à ses parents via Olivia.»
Elle sadressa ensuite aux parents.
Comment comptezvous réagir quand vous recevez cette information? demandatelle.
Le père, fronçant les sourcils, rétorqua:
Vous me demandez comment je devrais éduquer mon enfant?
Ce nest pas mon rôle de vous dire comment élever votre fils, répondit calmement Anne. Mais je peux vous inviter à réfléchir à ce qui aide Théodore à faire face et à ce qui aggrave son anxiété. Vous décidez ce que vous êtes prêts à changer.
Après un moment de silence, le père parla plus doucement.
Je sais que parfois je perds mon sangfroid. Quand jentends que mon fils est encore impliqué, jimagine déjà son renvoi, sa perte de réputation. Jai peur et je réagis durement pour protéger son avenir.
Vous agissez par peur pour son futur, paraphrasa Anne, puis ajouta et cela peut le pousser à se refermer.
Théodore, les yeux brillants, intervint:
Quand tu cries, je nentends pas que tu tinquiètes pour moi, jentends seulement ta colère.
Claire essuya un coin de lœil.
Peutêtre que nous pourrions convenir de parler dabord calmement, et si la tension monte, de prendre un temps darrêt, au lieu de crier immédiatement? proposatelle.
Le père regarda sa femme, puis son fils, le visage encore marqué par la fatigue, mais moins hostile.
Tu pourrais me parler si je commence à ménerver? demandatil à Théodore. Un signal, par exemple: «papa, on en reparle plus tard».
«Stop»? suggératil Théodore.
Parfait, «stop» fera office de signal, acquiesça le père avec un léger sourire.
Anne sentit la tension se dissiper légèrement. Elle passa à la formalisation des accords.
Mettons tout ça par écrit, proposatelle. Premièrement, à lécole, lorsquun conflit implique Théodore, les enseignants clarifient les faits, puis informent Olivia, qui vous transmet linformation de façon neutre. Deuxièmement, à la maison, vous discutez calmement du sujet ; si vous sentez votre voix monter, vous utilisez le signal «stop». Troisièmement, je proposerai des rencontres individuelles hebdomadaires avec Théodore, à condition quAnne ferma le dossier, sourit à la petite famille réunie et, comme dans un rêve où chaque mot flotte, déclara que le simple fait davoir trouvé ce «stop» était déjà la première pierre dune paix nouvelle.







