Nous l’avons détestée dès qu’elle a franchi le seuil de notre maison.

Nous lavons haï dès quelle a franchi le seuil de notre maison.
Sa petite veste navait rien de spécial, mais ses mains différaient de celles de ma mère: les doigts étaient plus courts et plus trapus, ils serraient le poignet comme un nœud. Ses jambes, elles, étaient plus fines que celles de ma mère, et ses pieds, plus longs.

Nous étions Théo, mon petit frère de sept ans, et moi, le plus vieux, neuf, et nous la lançions des éclairs de reproches. «Mélisande», disaiton en riant, «tu nes pas une petite Mila, tu mesures un kilomètre!»
Mon père, remarquant notre mépris, nous a grondés: «Comportezvous correctement! Vous navez pas lair denfants bien élevés.»
«Estelle censée rester longtemps?», a demandé Théo dun ton capricieux. Il pouvait dire ce quil voulait, il était petit et cétait un garçon.
«Pour toujours,» a répondu mon père.

On entendait déjà son irritation monter. Sil se mettait en colère, cela ne serait pas bon pour nous. Autant ne pas le pousser à bout.

Après une heure, Mélisande a rangé ses affaires pour rentrer chez elle. En sortant, Théo a tenté de la faire trébucher. Elle a failli tomber dans le hall.
Mon père, inquiet, a demandé: «Questce qui se passe?»
«Je me suis simplement accrochée à une autre chaussure,» a répondu Mélisande sans même le regarder.
«Tout est prêt, je moccupe de tout,» a promis mon père avec assurance.

Et là, nous avons compris: il laimait.
Nous navons jamais réussi à léliminer de nos vies, malgré tous nos efforts.

Un jour, alors que Mélisande était seule chez nous, sans mon père, elle a lancé, dun ton glacé,:
«Votre mère est décédée. Cela arrive, malheureusement. Elle est maintenant assise dans les nuages et voit tout. Je suis sûre quelle napprécie pas votre comportement. Elle comprend que vous agissez ainsi par méchanceté. Vous gardez son souvenir comme une malédiction.»

Nous avons été alertés.

«Théo, Célestine, vous êtes des enfants bien élevés! Vous navez pas besoin de protéger le souvenir de votre mère ainsi. Un bon cœur se montre par les actes, pas par la rancœur.»
Peu à peu, ses paroles ont éteint notre désir dêtre méchants.

Une fois, je lai aidée à déballer les courses. Elle ma félicitée, me tapotant le dos. Même si ses doigts nétaient pas ceux de ma mère, ce geste était agréable. Théo a rougi de jalousie.

Elle a rangé les tasses lavées sur létagère et les a louées. Le soir, elle a raconté à mon père, tout excité, combien nous étions utiles. Il était content.

Sa différence nous a longtemps empêchés de nous détendre. Nous voulions laccepter, mais cela narrivait pas.
Un an plus tard, on ne se souvenait plus comment on vivait sans elle. Et, après un certain incident, nous sommes tombés amoureux delle, sans même le savoir, comme mon père.

À lécole, Théo a eu des ennuis. Un camarade, Vianney Leblanc, de la même taille mais plus arrogant, le harcelait. Vianney venait dune famille protectrice ; son père lui criait: «Tu es un homme, frappe tous ceux qui tattendent.» Il a choisi Théo comme cible.

Vianney frappait ouvertement Théo, le poussant chaque fois quil passait. Jai découvert ces faits quand jai vu les bleus sur lépaule de Théo. Il pensait que les hommes ne devaient pas imposer leurs problèmes à leurs sœurs, même les plus âgées.

Sous la porte, Mélisande écoutait, attentive.

Théo ma suppliée de ne rien dire à mon père, de peur que la situation empire. Il ma aussi demandé de ne pas aller à la bagarre avec Vianney, même si lenvie de le défendre memplissait.
Faire intervenir mon père aurait pu déclencher une querelle avec le père de Vianney, et la prison nétait pas loin.

Le lendemain, vendredi, Mélisande, sous prétexte daller au magasin, nous a conduits à lécole et a demandé quon la montre à Vianney. Je lai fait, en lui lançant un «Espèce de crétin!».

Ce qui sest passé ensuite était théâtral. Le cours de français de Théo venait de commencer. Mélisande est entrée, coiffée, manucurée, la voix douce, et a demandé à Vianney de sortir, disant quelle avait affaire à lui.

La maîtresse, sans se douter de rien, a accepté. Vianney, surpris, est sorti, croyant que Mélisande était une nouvelle organisatrice. Elle la attrapé par la poitrine, la soulevé et a lancé:
«Questce que tu veux de mon fils?»
«De quel fils?», a balbutié Vianney.
«De Théo Raby!»
«Rrien»
«Je ne veux rien! Si tu touches encore mon fils, même du regard, je te décape!»
«Madame, laissezle partir,» a supplié Vianney.
«Sors dici!», a crié Mélisande. «Si tu oses parler contre moi, jenvoie ton père en prison pour mauvais traitements sur un mineur!»

Vianney est rentré dans la classe, tremblant, et a juré de ne plus sen prendre à Théo. Il sest excusé le même jour, maladroitement, mais sincèrement.

«Ne le dites pas à papa,» a demandé Mélisande, mais nous avons tout raconté. Il était ravi.

À un moment, elle ma montré le droit chemin. Jai succombé à un amour de seize ans, fou et hormonal, qui rendait tout interdit désirable.

Je lavoue, honteusement, je me suis liée à un pianiste sans emploi, toujours ivre, sans voir le piège. Il me disait que jétais sa muse, je me sentais fondre comme de la cire entre ses mains. Cétait ma première fois avec un homme.

Ma mère, inquiète, lui a demandé: «Estce quil boit parfois et comment allonsnous vivre?»
Si le pianiste prenait en charge mon entretien, elle aurait envisagé de développer cette liaison. Mais il était cinq ans plus jeune que Mélisande et vingtcinq ans plus âgé que moi. Elle ne jouait pas aux cérémonies.

Je ne répéterai pas ses réponses, mais jamais je nai eu autant honte devant ma mère, surtout quand elle ma dit: «Je pensais que tu étais plus sage.»

Ainsi sest terminée mon histoire damour, crue et maladroite. Ni le pianiste, ni mon père nont fini en prison grâce à lintervention de Mélisande.

Des années ont passé. Théo et moi avons fondé nos familles, basées sur lamour, le respect et lempathie, grâce à linfluence de Mélisande.

Aucune femme ne ferait autant pour son frère que Mélisande. Mon père est heureux, entouré, choyé.

Elle a connu une tragédie familiale dont nous ignorions tout. Son mari était mort, emportant leur fils. Elle na jamais pu pardonner.

Nous espérons avoir allégé un peu sa douleur. Son rôle dans notre éducation na jamais été sousestime. Autour delle se rassemble toujours toute notre famille. Nous ne savons jamais comment la satisfaire, quelles pantoufles mettre à ses pieds. Nous la chérissons et la protégeons.

Car les vraies mères, même face aux obstacles, ne trébuchent jamais.

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