28mai2025 55ans
Ce matin, je me suis levé avant laube, le parfum du café fraîchement préparé me guidant jusquà la cuisine où trônait le gâteau que javais confectionné la veille pour fêter mon anniversaire avec Sophie. Jimaginais une journée paisible: un dîner à deux, un appel de nos deux enfants, peutêtre même un petit verre de rosé en terrasse.
En entrant dans le salon, jai découvert Sophie penchée sur une valise, le zip en cours de fermeture.
Questce que tu fais? aije demandé, encore en pyjama, la tasse à la main.
Elle a levé les yeux, un regard étrangement serein.
Je pars. Jai besoin de vivre autre chose. at-elle dit, comme si elle parlait dune promenade ou dune séance de shopping, alors que cétait bien plus que cela.
Je me suis assis, la tasse sest renversée sur le parquet ou bien jai posé le café sur la table, je ne me souviens plus. Un seul refrain tournait dans ma tête: «vivre autre chose». Tous ces années, nos voyages, les enfants, les rénovations, les fêtes, semblaient nêtre quune simple escale sur son chemin vers ce mystérieux «quelque chose de vrai».
Je lai regardée glisser la dernière chemise dans la valise. Elle a déclaré choisir ce jour pour «mettre un point final», un moment symbolique, atelle affirmé.
Nouvelle année pour toi, nouvelle année pour moi atelle lancé, et jai senti une fissure se former en moi. Au lieu des bougies sur le gâteau, jai reçu un couteau dans le dos.
Quand elle a franchi le seuil, le silence est devenu lourde, le tictac de lhorloge de la cuisine retentissait plus fort, chaque minute sétirant à linfini. Le téléphone a sonné: ma fille a appelé pour me souhaiter un joyeux anniversaire, et je nai pu que répondre que «Papa il est parti», sans oser dire quil était parti pour de bon.
Les jours suivants, jerrais dans lappartement comme une ombre, attendant quelle revienne, quelle me dise que cétait une blague, quelle se soit perdue. Aucun appel. Sur les réseaux, je voyais ses photos: les Alpes, un VTT, un sourire éclatant. Elle semblait avoir gagné sa liberté, tandis que moi je me sentais désemparé, comme si le sol sétait retiré sous mes pieds.
Au début, je remplissais le vide machinalement: boulot, courses, télévision. Jévitais les amis, redoutant les questions: «Alors, cest elle qui ta lâché?». Ses mots sur «quelque chose à vivre» résonnaient encore, comme si notre mariage était trop banal, trop prévisible pour survivre.
Après quelques semaines, la colère et le instinct de survie ont fini par manimer. Jai compris que si elle cherchait son «quelque chose de plus», je pouvais aussi le chercher, non pas dans de nouvelles liaisons ou des voyages lointains, mais dans les projets que javais mis de côté faute de temps ou par manque daudace.
Je me suis inscrit à un cours de peinture à lÉcole des BeauxArts de Lyon. Jaimais griffonner depuis toujours, mais je nen avais jamais fait une priorité. La première séance, cétait comme ouvrir une fenêtre dans une pièce étouffante: des inconnus, des pigments, lodeur du café pendant la pause. Jai senti que je pouvais encore créer, que la beauté pouvait encore mémerveiller. Jai recommencé à me promener, à explorer les ruelles de la Presquîle, des coins que je navais jamais fréquentés.
Un aprèsmidi, je suis tombé par hasard sur Sophie sur la place Bellecour. Une étrange sérénité ma envahi; je nai pas crié, ni réprimandé, ni demandé «pourquoi?». Elle portait la même veste quelle avait le jour de mon départ, mais semblait plus petite, moins assurée. Elle ma demandé comment jallais. Jai répondu «bien», et cétait vrai.
En rentrant, jai réalisé que, paradoxalement, elle mavait offert le meilleur cadeau: elle a brisé lillusion dune vie immuable et ma poussé à sortir du moule où je métais enfermé depuis des années.
Aujourdhui, quand je contemple mes toiles ou que je discute avec mes nouveaux amis, je sais que mon «quelque chose à vivre» a commencé le jour de mes 55ans. Ce nétait pas prévu, ce nétait pas désiré, mais cela sest produit. Et maintenant cest à moi de décider ce que je veux encore expérimenter, sans attendre quune valise soit à nouveau empaquetée.
Leçon que je retiens: on ne peut pas contrôler les départs, mais on peut toujours choisir la direction de nos propres voyages.







