Jai trompé mon mari et je ne le regrette pas : ce nest pas un coup de tête sorti dun film ni une aventure dans un hôtel avec vue sur la mer. Cest arrivé dans le quotidien ordinaire, entre les courses et le linge, dans une vie si bien rangée quelle en devient douloureuse.
Je me souviens exactement du moment où jai senti que je nétais plus vraiment là. Un samedi matin à Paris, œufs brouillés à la poêle, la radio qui joue doucement, et lui mon époux, Pierre Dubois feuillette le journal Le Figaro. « Du sel? » demande-til sans lever les yeux. Je lui passe le petit sel, mais nos doigts ne se frôlent même pas.
Pendant une seconde, je me vois de côté: deux personnes qui connaissent parfaitement leurs habitudes, mais qui se connaissent à peine. Nos enfants ont quitté le nid depuis longtemps, le chien dort plus longtemps que nous, le calendrier est suspendu vide. Le frigo est toujours plein, les factures sont réglées. Personne ne remarque ma présence.
Jessaie. Je discute avec lui, je propose des balades, un cinéma, un weekend à Lyon pour manger quelque chose de nouveau, aller quelque part où personne ne nous connaît. Il remet toujours à plus tard. « Dans un mois, jai un nouveau projet. » « Après les fêtes, ce sera plus calme. » « Après les vacances, les gens reviendront, ça ira mieux. » Dans son « plus tard », deux ans passent. Entretemps, je prends trois kilos de silence et je perds un peu de mon intérêt pour la vie.
Je rencontre Julien à la piscine municipale de mon quartier. Cest linstructeur de natation, un quinquagénaire qui ne chasse plus les endorphines mais veille sur son dos. Dabord il corrige la position de mes mains, puis il me parle de respiration, et pour la première fois depuis longtemps, je sens quon me voit: pas comme épouse, mère, cuisinière ou gestionnaire de budget, mais simplement comme moi.
Je lui raconte des choses que je note habituellement dans un carnet pour ne pas les laisser séchapper : le manque de sommeil, les tasses qui se fissurent, la peur du silence qui sinstalle chez nous dès la tombée du jour. Il écoute. Il rit aux moments opportuns, pas dun rire qui annule, mais dun rire qui démêle les nœuds au fond de moi.
Rien ne se passe dun coup. Pas de toucher brusque, pas de weekend fou. Dabord un café après lentraînement. Puis une promenade autour du parc, parce que « on ne se dessèche pas au vent ». Puis un message le soir: « Noublie pas de boire de leau, sinon tu auras des crampes ».
Ces petites attentions, naïves, tendres, me font croire que cest une phase que lon peut retenir. Mais un jour, en rentrant du travail, Pierre se contente de dire: « La soupe est dans la marmite », et je sens que si je ne quitte pas tout de suite, je finirai par ne plus respirer.
Chez Julien, lappartement sent le savon et lherbe fraîche de ses chaussures. Nous nous asseyons sur le canapé comme deux personnes qui ont quelque chose à dire sans vraiment le dire. Il effleure dabord ma main.
Il ny a rien dune explosion de feux dartifice, plutôt lair qui revient après une longue immersion. Il membrasse. Le monde ne tremble pas, mais mon corps se rappelle quil existe. Je ne me voile pas: cétait bon. Doux. Exactement ce dont javais besoin. Une permission dêtre, un instant, simplement moi, et non la fonction que je remplis.
Estce que je me sens coupable? Oui. La première nuit, je rêve de tous les mariages du monde, de toutes les alliances que jai jamais vues, et de mon père qui prononce: « Tu las promis ». Au petit matin, je sors courir, même si je ne cours jamais vraiment.
Mon cœur bat, ma conscience compte chaque pas. En revenant, jachète des petits pains frais. Je les pose sur la table et regarde Pierre qui les tartine de beurre en suivant le même geste de toujours. « Tu as bien dormi? » demandetil sans me regarder. « Bien », mensje, et je ne meurs pas.
Je ne regrette pas. En écrivant ces lignes, jentends dans ma tête la colère de ceux qui croient que le mariage est un mur infranchissable. Parfois cest vrai, mais ce mur a toujours eu des fissures par lesquelles le vent sinsinue.
Julien nest pas un marteau, plutôt une petite lampe qui a éclairé ces espaces vides. Grâce à lui, je réalise à quel point je suis assoiffée de tendresse, de conversation, de regards qui ne traversent pas mon âme comme une vitre.
Vous direz: « Tu naurais pas pu te battre pour ton mariage? » Jaurais pu. Et je me suis battue, autant que mes forces le permettaient. Mon mari nest pas un vilain. Cest un homme fatigué, habitué à ma présence au point davoir oublié qui je suis vraiment.
Quand jessaye douvrir le dialogue, il se réfugie dans lhumour. Quand je propose une thérapie, il agite la main, disant que « cest à la mode ». Quand je dis que ça ne va pas, il répond: « Encore? » et dun seul mot il me coupe le souffle.
Je lui ai tout dit? Non. Je sais comment cela sonne: lâche, double jeu. Mais la vérité nest pas toujours un scalpel, parfois cest une perceuse pneumatique. Tout a un prix. Depuis quelques semaines, Pierre me regarde plus attentivement.
Il me demande si je rentre tard. Il remarque mon nouveau parfum. Et soudain, je revois lhomme avec qui je partageais des nuits à grignoter des toasts et du vin bon marché. Ce souvenir me désarme. Une panique monte, car le choix nest plus une théorie.
Julien me demande de décider. « Tu nas rien à promettre. Sois simplement où tu veux vraiment », me ditil. Il ne pousse pas. Il me donne du temps. Le temps est cruel quand il bat près du cœur. Quand il est avec moi, je reviens à moi. Quand je rentre chez moi, jentends le bruit des années passées avec Pierre. La trahison nefface pas notre histoire, elle la fissure.
Je ne regrette pas, parce que ce qui sest passé ma réveillée. Il ma obligée à poser les questions que je repoussais toujours au « plus tard ». Il ma appris que la tendresse nest pas un luxe, cest de lair. On peut avoir des chemises impeccables dans le placard et un courant dair dans le corps.
Je ne sais pas ce qui vient après. Ce soir, je suis assise à la table avec deux enveloppes. Lune contient les billets pour un weekend avec Julien, quil a achetés « si tu oses ». Lautre renferme la réservation dun dîner au restaurant où Pierre et moi fêtions notre anniversaire de mariage. Deux chemins sur le même trottoir. Deux mondes qui ne peuvent pas cohabiter dans un même cœur.
Quand je ferme les yeux, jentends deux vérités à la fois. La première: « Tu as le droit au bonheur, même sil demande du courage ». La seconde: « Tu ne survivras pas à une deuxième trahison si la vie te déçoit encore ». Cest cette peur qui me hante le plus.
Pas de condamnation, pas de ragots. Juste la crainte quun autre abandon me laisse, que ce soit Pierre ou Julien, et que la douleur dépasse celle dil y a des années, maintenant que je sais ce que cest de se réveiller à la vie. Une seconde fois, je ne pourrais pas le supporter.
Je ne cherche pas dexcuse. Jécris pour dire à haute voix ce que beaucoup de femmes murmurent au oreiller: on peut aimer quelquun et se trahir en même temps, en repoussant le moment. Jai finalement pris mes bras autour de moi. Le reste? Je ne le sais pas encore.
Et vous, que feriezvous à ma place?







