Antoine mavait promis quil prendrait soin de moi jusquà la fin de mes jours. Après avoir signé les papiers, jai réalisé que jétais désormais sanstoit.
Autrefois je pensais que la solitude était le pire cauchemar dune mère. Aujourdhui je sais que la trahison de la confiance de son propre enfant est encore pire. Pendant des années je me répétais: «Jai bien élevé mon fils», «Il est responsable, attentionné, je peux compter sur lui».
Ma vie na jamais été un long fleuve tranquille, mais grâce à lui je me sentais en sécurité. Il me jurait constamment: «Maman, je veillerai sur toi un jour. Je te le promets, tu ne seras jamais seule». Si seulement javais su à quel point lespoir peut être manipulé
Après le décès de mon mari, je suis restée seule dans notre petit appartement de trois pièces à Paris. Antoine, alors étudiant, était parti sinstaller, il a fondé une famille, a acheté une maison à Lyon avec un prêt immobilier, et moi comme la plupart des mères je lui ai donné tout mon cœur et mon temps.
Jaidais comme je pouvais: je cuisinais pour les petitsenfants, je les récupérais à la crèche quand la femme dAntoine rentrait tard du travail. Je passais souvent les nuits chez eux, les weekends. Antoine était reconnaissant, il mappelait tous les jours. Jétais convaincue quil ne moublierait jamais.
Il y a quelques années, il a commencé à insister pour que je vende mon appartement et que je vienne vivre avec eux. «Pourquoi garder un si grand logement, maman? Ici ce sera plus confortable, tu seras près de nous, les enfants tadorent». Lidée de quitter le lieu où javais tant vécu me déchirait, mais finalement je me suis laissée convaincre. Antoine me rassurait: «Nous ferons des travaux, adapterons la maison à tes besoins. On te mettra sur le titre de propriété, il ne te manquera rien.»
Signer les documents chez le notaire était pour moi une formalité. Antoine, sourire aux lèvres, me tendait les papiers, expliquant à la hâte que ce nétait que des questions techniques: «Nous vendons ton appartement, largent ira au grand chantier de notre maison. Tout reste dans la famille.» Jétais un peu naïve, mais je lui faisais confiance les yeux fermés. Le notaire a lu rapidement le contrat, je lai signé sans chercher à comprendre. Je ne connais rien au droit cest mon fils, mon sang.
Les premiers mois, jai réellement limpression dappartenir à la famille. Ma bru me remerciait pour tout, les petitsenfants étaient ravis que «baba» soit avec eux. Jai reçu une chambre claire, la maison était magnifiquement rénovée.
Je me sentais utile, aimée. Je préparais les repas, je promenais les enfants, le soir nous discutions autour dun thé. Parfois, je pensais à mon ancien appartement: lodeur du café, la vue depuis la fenêtre, le craquement du parquet. Mais je me disais que le changement fait partie de la vie, que la famille passe avant tout.
Après six mois, jai remarqué que les choses changeaient. Ma bru me demandait de plus en plus de ne pas «interférer» pendant leurs soirées. Les enfants étaient embarqués dans mille activités, ils venaient rarement me voir. Antoine rentrait épuisé du travail, navait plus le temps de bavarder. Je me sentais comme une intruse dans ma propre existence. La maison, qui devait être mon refuge, se transformait doucement en simple accessoire.
Un soir, en voulant préparer un thé dans la cuisine, jai entendu ma bru parler avec Antoine: «Cest dommage quon doive encore la garder. Peutêtre quon la mettra en maison de retraite». Jai été figée. Mon cœur battait la chamade, les mains tremblaient. Comment pouvaientils dire ça? Javais tout donné!
Le lendemain, jai tenté de parler à Antoine. Il était crispé, évitait mon regard. «Maman, on est jeunes, on a notre vie. Tu dois aussi penser à toi, ne pas dépendre de nous.» Jai alors demandé si je pouvais vendre ma part de la maison pour partir. Il ma regardée avec une pointe de pitié: «Mais maman, tu nas aucune part. La maison, cest à Antoine et à Claire, tout a été signé chez le notaire. Je tai bien expliqué».
Mes jambes ont fléchi. La vérité a frappé: en vendant lappartement, javais remis largent à mon fils, mais aucun droit sur la nouvelle maison. Je navais plus où retourner lancien logement avait disparu, largent était déjà dépensé pour agrandir la leur. Je suis devenue une invitée sans aucune garantie, prête à être expulsée à tout moment de ce qui devait être mon abri pour la vieillesse.
Pendant plusieurs jours, jai erré comme en transe. Je me suis sentie trahie par moimême, par mon fils, par toute ma vie. Comment aije pu être aussi naïve? Jai cherché de laide: amis, assistance juridique, même le prêtre du quartier. Tous me disaient: «Cest la réalité, il fallait lire, poser des questions, se protéger.» Mais comment se protéger contre son propre enfant?
Après quelques semaines, jai pris une décision. Jai loué une petite chambre chez une inconnue, au bout de la ville. Jai repris ma vie à zéro. Antoine ne comprenait pas ma décision, essayait de me retenir, mais il ne pouvait plus croiser mon regard. Les petitsenfants me manquent, ils appellent parfois, demandant quand je reviendrai.
Aujourdhui, je sais une chose: même la confiance envers les proches doit connaître des limites. Je reconquiers peu à peu mon estime, japprends à vivre modestement, loin des illusion. Peutêtre ne feraije plus jamais confiance à quelquun comme je le faisais avec mon fils. Mais je préfère être seule que dhabiter une maison qui na jamais été réellement la mienne.







