Bon, si cest comme ça, je rentre chez ma mère! déclare Martin.
Et toi, reste ici toute seule! réplique sa mère.
Clémence se retrouve au «fond du seau percé»: plus de compagnon, plus de travail, plus de perspectives. Et la nouvelle année arrive
Tous ces nerfs maudits! sexclame sa mère en entendant les nouvelles fracassantes. Tout est de ta faute, ton cher? Il ta vraiment abandonnée! Tu penses vraiment que cest à cause de?
Alors quoi? sourit Martin. Commence à faire la paix; je tattends!
Dans la vie de la jolie Clémence Durand, deux malédictions la guettent: pas de mari, pas de boulot. Bien que sur le premier point, quelques doutes subsistent encore.
Les deux fléaux sont son mari aimant et sa «chère» patronne. Comme cela arrive souvent aux autres, eux aussi les empoisonnent, chacun à leur façon, sans jamais se tromper dun instant.
Martin est intelligent, plein desprit, un interlocuteur brillant, et un romantique à lexcès. Mais ce ne sont que des mots. Quand il sagit de «travailler», il se révèle malade, épuisé, inapte, ou simplement affamé. Et il adore manger de bons plats.
Tout se déroule comme dans un conte populaire :
«Bouillonne, va manger ta soupe!»
«Où est ma grande cuillère?»
Avant le mariage, les rencontres sont brèves, le dîner se résume à une pizza livrée, les moments intimes sont de courte durée, les conversations ponctuées de blagues pétillantes cest le parfait scénario matrimonial.
Clémence, éperdument amoureuse, ne voit pas que son fiancé erre dans une quête permanente de lui-même et dun emploi :
«Je trouverai! Je te le dirai en premier!» plaisante-t-il.
Tous deux rient, trouvant cela hilarant.
Le verbe desprit de Martin dépasse les louanges: il lappelle affectueusement «Elfe» ou «Elfetou». Elle le surnomme à son tour «Martinou». Ce surnom na rien de violent: il évoque une petite créature marine, un poisson, voire une morue tout cela sans offense.
Le surnom «Martinou» prend du poids, devient plus élégant, ne blesse pas Clémence, qui ne veut pas blesser son aimé.
Leur mariage sonne, Martin emménage chez Clémence: le trentetroisans de son mari joyeux na toujours pas de logement
Les blagues ne paient pas les factures! conclut la mère de Clémence, qui napprécie guère le gendre.
Qui larrête? Ce nest ni lhumoriste ni le comique!
Le premier malentendu surgit quand il faut payer le loyer. Sans argent, Clémence fait ce que font toutes les bonnes épouses: elle demande de laide à son mari.
Il savère que Martin reste à la maison toute la journée, à la recherche de soi et dun emploi! Il préfère le faire allongé sur le canapé, car cest plus reposant. Et si demain on lappelle à la guerre, il sera déjà épuisé!
Paye avec tes sous! propose Martin, les yeux pétillants.
Mes sous sont épuisés; je nai plus rien après les courses! répond létonnée. Elle navait pas imaginé la vie de couple ainsi.
Alors prends ce quon ma offert, et je te rembourserai plus tard!
Quand? demande-t-elle.
Quand le chat et la soupe seront prêts! plaisante Martin, riant de bon cœur.
Ils reçoivent environ deux cent mille euros pour le mariage: une somme confortable, mais leurs parents cessent de les soutenir dès le jour où ils se marient «Que le mari te nourrisse!». Martin, qui vivait encore chez ses parents, se retrouve sans le sou: «Tu es parti? Partis!»
Le salaire de Clémence sépuise rapidement. Elle puise dans les économies, puis encore davantage. Les réserves destinées à un «cauchemar» fondent comme un flocon de neige sous le soleil.
Un jour, en fouillant une boîte précieuse, elle découvre quelle est vide. Elle sattendait à y trouver encore quelque chose. La boîte, pourtant, na rien dautre que du vide: Martin a pris les «restes» pour sacheter de nouveaux écouteurs!
Martin ne comprend pas pourquoi il ne pouvait pas les prendre: les anciens ne fonctionnent plus! plaisante-t-il encore.
Questce que tu vas faire, Rainard? sécrie Clémence.
Quoi? Invente quelque chose! Tu es mon génie! répond-il.
Elle trouve une idée, mais se retient, dépassant les limites du convenable. Le lendemain, elle emprunte à sa mère «jusquau prochain salaire».
Son mari nest pas découragé: il ne court pas chercher un emploi! Il plaisante :
«Je ne supporte pas le silence, surtout de la part dÉléonore!»
Puis il se rapproche : «Arrête de faire la tête, petite elfe! Tu me manques»
Ils se réconcilient, elle aussi ressent le manque; la jeunesse reprend ses droits. Mais un résidu reste.
Emprunter à sa mère devient une habitude pour Clémence, ce qui naméliore pas son moral. Un jour, sa bellemère perd patience :
Alors Martin, tu gagnes au moins un peu? Ou tu restes accroché au cou de Clémence?
Martin reste muet, incapable de répondre. Que dire contre la vérité? Il fait mieux de faire comme si de rien nétait.
Le second fléau de Clémence est sa patronne, «la cheffe», que les subordonnés appellent Madame Martine Bourgeois. Clémence travaille comme analyste économique. Martine est une vieille reine grincheuse, une diva, comparée à la blanche neige de contes. Elle déteste tout le monde simplement parce quils existent sans son autorité.
Martine méprise hommes et femmes: trois mariages ratés, tous ses époux lont trompée. À cinquante ans, elle dirige son service, sans enfants, avec deux chats, et danse le tango deux fois par semaine. Les licenciements pleuvent à droite et à gauche.
Quand le collègue Pierre, qui suit des cours de tango, fait une blague sur le fait que la patronne devrait plutôt diriger une ronde que de se trémousser, tout se résout en six secondes, comme on le dit dans le service.
«Vous ne travaillez plus ici!» clame la cheffe, froidement. Aucun plaidoyer ne fonctionne: «Cétait une simple plaisanterie!»
Clémence craint Martine, comme les autres, mais Dieu la protège encore. La veille, elle se dispute à nouveau avec Martin, plus souvent quavant, toujours pour des broutilles qui accumulent les rancœurs. Cette fois, Martin évoque le divorce
Le lendemain, Clémence se rend au travail avec un seul objectif: écrire un SMS décisif à son mari. Elle décide de lappeler non plus «Martine», mais «Martinesinge», pour le blesser davantage.
Le texte final prend forme: «Ne pense pas, petite singe, que je crains tes mots! Si tu pars, je mords tes coudes! Arrête tes airs de grand; sinon je te livre au zoo ils attendent déjà leur nouvelle star!» Elle signe non pas «elfette», mais «Durand», pour que le sérieux transparaît.
Elle sourit, satisfaite du message, qui garde lhumour de son mari tout en exprimant tout ce quelle veut. Le Nouvel An approche, et comme on dit, on passe lan comme on le vit: pas de divorce, ils nont même pas passé une année complète ensemble!
Soudain, la cheffe surgit dans le bureau, hurlant:
Tout le monde travaille, Madame! Le rapport annuel est bourré derreurs! Corrigezles rapidement, sinon je vous licencie!
Martine Bourgeois, satisfaite de son remontant dadrénaline, sort en riant: «Le monstre a fait son travail!»
Clémence, stupéfaite, reste immobile la présence de la cheffe impose de se lever La mauvaise passe sétend.
Elle parcourt le rapport, trouve lerreur, et envoie un SMS à sa patronne, car elle ne veut pas la rencontrer en personne: «Je corrige tout avant le déjeuner.» Elle profite pour envoyer le même message à Martin.
Trois minutes plus tard, Martine lappelle :
Qui, selon vous, est le singe ici? demandetelle, sans sourire. Vous voulez me livrer au zoo, Durand?
Le cœur de Clémence sarrête un instant, elle a confondu les SMS
Martine, effectivement, est la cheffe, et le surnom «singe» lui colle à la peau
Il sagit dun récit humoristique, à la fois texte et scène de comédie, mais aucune des deux ne fait rire les protagonistes.
Clémence reste figée, les yeux dans le vide: expliquer serait vain, tout semble surréaliste. «Ne pense pas que je crains tes mots, je pars, je te livre au zoo!» se répète dans sa tête.
La cheffe estime que les employés sont devenus trop audacieux: «Vous osez dire ça?» Elle les renvoie, même si elle aurait aimé les pousser dans les toilettes.
Vous vouliez partir? Votre rêve est exaucé: vous nêtes plus ici! annoncetelle, rêvant de les jeter dans le bassin du zoo. Vous recevrez votre solde aujourdhui, sans travailler! Et vous aurez le temps daller au zoo!
Puis, après un instant, elle ajoute: Vos propres problèmes doivent déjà vous attendre!
En bref, la cheffe gagne!
Clémence sort du bureau, se prépare, perd une heure et demie à shabiller. Elle prend son cactus à la place des fleurs «Pourquoi offrir des roses? Ce nest pas pour un mec!» plaisante Martin en arrivant dans le couloir.
Alors, commence à faire la paix? ditil avec un sourire. Tu as promis de régler ça avant le déjeuner!
Martin, recevant le SMS destiné à la cheffe, comprend que sa compagne est venue se réconcilier et arrive à temps.
Tu mapportes un cactus au lieu de fleurs? continuetil, ravi. Et cest bien! Un homme na pas besoin de roses, cest trop bourgeois!
Ton bourgeois, je le connais! sécrie Clémence, les nerfs à vif. Il va voir où je mets ce cactus! Ils mont virée à cause de toi!
En réalité, tout est logique: sils ne sétaient pas disputés hier, elle naurait pas écrit ce SMS, et il naurait pas eu à lenvoyer à qui que ce soit.
Pourquoi cest à cause de moi? sétonne Martin. Encore une fois, jai tout foiré?
Ce nest pas ton problème! crie Clémence.
Je ne comprends plus rien! sexclame Martin, ignorant son renvoi: «Ce ne sont que des broutilles, elles passeront!»
Alors, on se réconcilie? proposetil. Bon, alors je vais chez ma mère! répondelle. Et toi, reste ici toute seule!
Clémence se retrouve au «fond du seau percé»: plus de mari, plus de travail, plus davenir. Et la nouvelle année pointe le bout du nez
Tous ces nerfs maudits! conclut sa mère, entendant le drame. Tout est de ta faute, ton petit? Il ta vraiment abandonnée! Tu pensais que cétait à cause de?
Questce qui ta fait tenir à lui? Il est comme une bulle de savon: il brille, mais il ny a rien à lintérieur!
Choisis mieux tes prétendants, ma fille, choisis mieux! Tu as ramené un inconnu chez toi!
Ça va, ne pleure pas: personne nest mort! Reposetoi un peu, ton père et moi te nourrirons!
Sa mère linvite à passer le réveillon chez elle: une amie promet damener son fils célibataire, charmant.
La grandmère vient aussi :
Une petite perte, laissela faire son bruit! Il a même osé voler du vinaigre gratuit! La maison a tout mangé!
Et elle ajoute, comme sa mère :
Choisis mieux tes prétendants, ma fille, choisis mieux!
Clémence et Martin divorcent: ils réalisent quils ne se comprennent plus, quils sont pauvres, cruels et inutiles. Même le vieux comique aurait eu raison: il fallait être plus méticuleux.
Retient bien, Clémence! Et surtout, fais attention aux SMS: tu vois ce qui peut arriver, tu seras épuisée à tout nettoyer.







