Arriver à tout faire en une heure.
Rien ne faisait encore mal, rien sauf son âme. Élise Moreau ne comprenait plus où elle se trouvait, ni ce qui sétait réellement passé.
Elle se retournait dans tous les sens, mais devant, au-dessus, en dessous et derrière son corps, il ny avait presque rien Autour delle tourbillonnait un épais brouillard gris.
« Bienvenue dans léternité », murmura une voix douce, presque susurrante.
Et Élise sen souvint, elle se souvint de tout!
Comment sa voiture sétait mise à déraper, comment elle avait quitté la chaussée, comment elle avait volé en plein air pour se renverser, ce dernier choc brutal qui avait brisé sa vie.
« Mais je ne peux pas! » hurla-telle. « Jai un mari et un fils à la maison, ma mère est très malade. Ils ont besoin de moi! Aidemoi! Aidemoi à revenir! Je te donnerai tout ce que tu voudras! »
« Proposition intéressante », pensa la voix, un sourire invisible se dessinant. « Je taiderai. Mais tu sais, je suis à cent pour cent sûr que même toi, tu ne pourras pas te sauver toimême. Le prix sera terrible. Croismoi, je connais bien la cruauté de lenfer »
« Je ten supplie, qui que tu sois, je ten prie! »
« Daccord, ça mintrigue Je vais diviser ton âme en quatre parties égales. Trois resteront à toi, la quatrième sera ma garantie. Tu as exactement une heure. Mais jai le sentiment que tu ne te connais pas vraiment »
Élise sortit dans la cour, pressée de battre les bouchons du soir sur la périphérique parisienne. Son fils était chez la grandmère à SaintCloud, et aujourdhui il fallait le récupérer.
Près de la voiture, une corneille aux plumes en désordre tenait une aile cassée en lair, puis, avec effort, sélança vers Élise.
« Vous êtes en voiture? » sexclama la voisine, une Madame Dupont toute émue. « Pouvezvous nous emmener, moi et la corneille, à la clinique? Je paierai. Elle risque de mourir »
Mais Élise était vraiment pressée.
« Prenez un taxi, je nai pas le temps pour les oiseaux blessés », réponditelle. La corneille se cramponna à ses yeux, sécrasa sous ses pieds, criait dune voix rauque, ce qui ne faisait quaugmenter lirritation dÉlise. Elle la repoussa dun coup de pied, monta dans la voiture, démarra le moteur et senfuit à toute vitesse. La voisine resta là, désemparée, tandis que la corneille disparut comme par enchantement.
À la stationservice la plus loin, Élise fit le plein, prête à repartir, quand un chien errant, maigre comme un fil, se mit à bloquer le chemin. La petite bête remua la queue, les yeux suppliants, implorant un geste.
« Vaten! », claquatelle du pied.
Le chien ne recula pas. Il se coucha, affaissé, puis sapprocha, se cramponna à sa jupe avec les dents, tirant doucement. Une odeur de boue et dhumidité lenveloppa, et Élise distingua une puce géante sous loreille du canidé.
« Pars! », criatelle avec dégoût. Un coup de pied projeta le chien de côté. Élise se frotta le flanc, sentant la douleur, ferma les portières et, oubliant le petit être, sélança de nouveau.
Sans ralentir, elle passa une lingette antibactérienne sur ses mains. « Bon, plus de bestioles à attraper! », marmonnatelle, en repensant aux oiseaux et aux chiens qui nétaient que des parasites. La route était déjà remplie de voitures, tout le monde se pressait, chacun allant où il devait. Elle relâcha laccélérateur, puis appuya à nouveau, ne parvenant jamais à se détendre totalement.
Au milieu de la voie, un minou blanc, poussiéreux, surgit comme un nuage. Il était si petit quon le voyait de loin, ses yeux implorants semblaient hurler. « Sauvele, sil te plaît! », semblaient dire ses ptits yeux. Élise secoua la tête, persuadée que cétait une illusion. Elle passa à toute vitesse, jeta un coup dœil dans le rétroviseur. Le chat se redressa, se mit sur ses pattes arrière et, dun geste suppliant, posa ses petites pattes avant sur sa poitrine.
« Il va mourir, ce petit fou! Et pourquoi il a traversé la ville, sur cette route bondée? »
Quelque chose gémissait au fond, demandant quelle revienne en arrière, quelle le ramène au bord du trottoir, au moins pour le sortir de là. Mais il ny avait plus de temps.
Elle regarda sa montre: cinquantehuit minutes sétaient écoulées depuis quelle était sortie. « Pas de temps pour un minou, je nai même pas le temps de vivre! » pensatelle. Pourtant, elle se retourna une dernière fois. Le petit chat, désespéré, tentait de la rattraper, mais bien sûr il ne pouvait pas rivaliser avec la vitesse de la voiture. Elle chassa la pensée du minou et se concentra sur sa route. Les oiseaux, les chiens et les chatons, ce nétait pas son problème.
Deux minutes plus tard, la voiture dérapa sur le bord de la route. Le brouillard gris lengloutit, et elle entendit un rire sournois, puis la même voix sexprima:
« Pourquoi les humains vous rejetezvous toujours sur moi? Aije vraiment eu tort? Jai même essayé de taider, je tai offert trois belles chances, juste un petit retard sur la route.
Questce qui ta empêché demmener la corneille à la clinique, de prendre le chien, de sauver le minou? »
Le rire devint amer.
« Cest toi qui as essayé de tarrêter! En forme de corneille, de chien, de chaton trois fragments de ton âme Tu ten souviens? »
Élise hocha la tête, le souvenir revenait: elle sétait implorée, sétait arrêtée un instant, mais elle était allée trop vite, refusant douvrir sa vie à qui que ce soit. Ces créatures navaient pas voulu envahir son existence; elles voulaient simplement la sauver, même si elles semblaient différentes.
« Tu ne penses pas que tu sois la seule? Beaucoup demandent une seconde chance, et je donne toujours trois, mais ça ne suffit pas. En cent ans, seuls quelques rares ont échappé à mon enfer. Saisistu que je ne suis heureux que quand les gens continuent à vivre, quand leur destin change. La quatrième part de lâme je la rends, sans regret. »
Élise tenta de supplier à nouveau, mais du brouillard jaillirent des pattes velues, griffues, prêtes à la saisir
P.S.Chaque fois que tu passes près de quelquun qui a besoin daide, pensey: peutêtre que cest un fragment de ton propre cœur qui essaie de tarrêter, de te prévenir, de te protéger du pire. Il sait déjà ce qui tattend.







