Cher journal,
Je suis assise près de la fenêtre de mon petit appartement du 15ᵉ arrondissement, la nuit dhiver sest installée doucement. Les lampes des immeubles voisins sallument, mais je men fiche, le jour ou la nuit nont plus dimportance pour moi. Mon esprit tourne en boucle.
Jai limpression davoir tout ce quon peut souhaiter: un toit, un travail stable au SAMU où je fais les gardes de nuit, des amis fidèles. Pourtant, la vie amoureuse me fuit. Toutes mes camarades de lycée se sont mariées, ont des enfants, et moi, je reste seule. Suisje condamnée à rester la vieille fille du quartier? Je me regarde dans le miroir et je vois la même femme que mes compagnons à fourrure voient chaque jour : une jeune femme souriante, entourée danimaux qui maiment sans condition.
Mes parents sont morts lun après lautre quand jétais encore adolescente, et cest ma grandmère, Madeleine, qui ma élevée. Elle voulait que je devienne infirmière. Jai passé le baccalauréat, puis jai tenté dentrer à la faculté de médecine, mais le concours était trop rude. Jai finalement intégré le lycée professionnel de santé comme ambulancière, et aujourdhui je passe mes journées à parcourir les rues de Paris en sirène hurlante.
Enfant, je rêvais davoir un chat et un chien, mais ma maman était allergique aux poils. Le jour où jai ramené un petit chaton roux, elle a eu une crise dasthme. Jai dû lemmener chez ma grandmère. Plus tard, quand les parents ont disparu, un chaton errant nommé «Mimi» a été recueilli près dune poubelle. Jai toujours voulu un chien, mais Madeleine craignait la responsabilité.
Aujourdhui, ma famille se compose de cinq compagnons à poils. La chienne bâtarde que jai trouvée, maigre et couverte de puces, grelottait devant le grand supermarché du boulevard SaintMaur. Les gardiens la repoussaient, alors je lai glissée dans mon sac et je lai ramenée chez moi. Elle était rapide comme léclair, doù son surnom «Balle». Elle sest tout de suite liée damitié avec Mimi.
Peu après, une petite teckel, que les voisins ont abandonnée dans la cour en plein hiver, a trouvé refuge chez moi. Elle sappelle «Clémence», un petit corps frêle qui a passé la première semaine à pleurer, espérant entrer dans un immeuble chaleureux. Jai soigné ses oreilles gelées. Elle est devenue une chienne modèle, douce, réfléchie, presque maternelle.
Un matin, alors que je partais en garde, un énorme bloc de neige a roulé jusquà mes pieds, révélant un chat blanc comme la neige, affamé et grelottant. Je lai nommé «Colette». Je lui ai donné deux tartines au jambon et au fromage, puis jai accroché une petite note sur la porte du hall: «Sil vous plaît, ne chassez pas ce chat. Je reviendrai dès mon service. Véronique, 15ᵉ». Colette a accepté mon foyer comme un nouveau royaume, et elle impose désormais la discipline à tout le groupe.
Le petit chaton gris que jai trouvé dans le parc, presque dévoré par deux corbeaux, sappelle «Mishka». Il est devenu un chat discret, jamais querelleur. Il partage nos moments de calme.
Je sais que cette ménagerie ne plaît pas à tout le monde, notamment à mon fiancé, Maxime Lenoir, champion de natation de la région ProvenceAlpesCôte dAzur. Au début, il semblait charmé, même sil aidait à promener Balle et Clémence. Mais les animaux se sont vite retournés contre lui. Balle le mordillait, Clémence se cachait derrière moi en aboyant, et Colette sifflait dès quil sapprochait. Un soir, alors que je préparais le dîner, Maxime, rouge de colère, a piétiné Clémence qui, par maladresse, a foulé mon soulier blanc. Balle a voulu la défendre, mais Maxime la frappée violemment avec sa laisse en cuir. Jai couru dehors, saisi la laisse et, dune main tremblante, lai tirée en arrière, le visage crispé de douleur.
«Véronique, questce que tu fais?» sest écrié Maxime, incrédule.
«Tu ne peux pas frapper mes animaux!» aije rétorqué, les larmes aux yeux.
«Cest juste pour que tu ne marches pas sur leurs pattes.» at-il tenté dexpliquer, puis a ajouté: «Pars, ne reviens plus jamais.»
Ses paroles résonnent encore dans ma tête comme un écho amer. Javais cru que Maxime était mon destin, mais je nai jamais vu le masque derrière son sourire artificiel.
Un an plus tard, presque résignée à la solitude, jai rencontré Alexandre Lefèvre, chirurgien orthopédiste, lors dune nuit de garde où nous avons reçu un accidenté. Le regard quil ma lancé a été comme un éclair, un véritable coup de foudre. Il a obtenu mon numéro et ma appelée le soir même. Rapidement, nous avons commencé à nous voir. Alexandre est discret, sérieux, et fait battre mon cœur sans que je le sache vraiment. Jai pourtant caché ma «famille» danimaux, craignant quil ne les rejette.
Après six mois, il ma présenté à sa sœur, Sophie, et son mari. Nous avons fait le trajet en voiture jusquà la ville de Bordeaux pour rencontrer ses parents. Jai même posé les pieds dans son petit appartement dune pièce, propre et rangé, mais lidée que je devais mentir sur mes compagnons me tirait dans tous les sens.
Finalement, jai décidé de tout avouer. Jai emmené Balle, Clémence, Colette, Mimi et Mishka chez Madeleine. Elle était furieuse: «Véronique, tu ne peux pas commencer à mentir à Alexandre.» Mais jai répliqué: «Je ne peux pas vivre sans eux, sinon je serais perdue.»
Alexandre, après avoir découvert les sacs de croquettes débordant du poubelle de la cuisine, a dabord été surpris, puis a fini par accepter. Le jour de notre mariage, les animaux se sont mis en scène dans la neige fraîche de la cour, menés par Balle qui guidait la petite troupe comme un capitaine. Colette, enroulée dans un foulard rouge, avançait fièrement, tandis que les passants sarrêtaient, amusés par ce cortège inattendu.
Lorsque Alexandre a ouvert la porte et a vu la troupe, il a pâli. «Ce sont tes animaux?» atil demandé, incrédule.
«Oui, ils sont à moi.» aije murmuré, les yeux embués.
Il a finalement souri, a enfilé son manteau et est sorti avec les animaux, puis il est revenu avec un sac plein de nourriture pour chats et chiens, déclarant: «Voici ma chienne, Nika, et ma chatte, Maru. Elles étaient chez Sophie. Elles peuvent rejoindre votre équipe?»
Les années ont passé, et aujourdhui, en repensant à tout cela, je ris avec Alexandre des absurdités de notre histoire. Qui sait ce qui aurait été différent sans le «prétendu» apport? Peutêtre que nous serions ailleurs, mais notre petite famille à poils reste le cœur battant de ma vie.
Je ferme ce journal avec la gratitude davoir trouvé, contre toute attente, lamour et une meute qui maime.
Véronique Dubois.







