J’ai refusé d’aider mon ex-mari — ma belle-mère pense que j’en suis responsable

Maëlle, ma chère, tu ne ressens aucune pitié pour lui? sexclame Madame Lefèvre, ma bellemaman. Il se perd sans toi, tu sais? Il disparaît complètement.

Je reste muette. Dans la cour, des garçons tapissent le ballon. Une fille en veste rose, Clara, tente de leur arracher le ballon. Ils rient, la repoussent, mais elle revient sans relâche. Cest sûrement son ballon, volé par les garçons qui ont décidé de jouer à leur façon.

Cette scène me rend mélancolique, je ressens la futilité et lobstination de lenfance. Jai moi aussi, autrefois, harcelé Julien, qui se moquait de moi, parfois sénervait, bien souvent mentait. Par ses actes, il mécartait. Pourtant je pensais le sauver, le réparer. Pendant trois ans, je le consacre entièrement, moublie complètement. Tous mes pensées tournent autour de ce qui mattend ce soir, où il sera, ce qui lui arrivera.

Tu mentends, Maëlle? la voix de lancienne bellemaman me sort de mes rêveries. Je ten supplie, parlelui une dernière fois! Il técoutait toujours. Tu pouvais encore linfluencer.

Je me retourne. Madame Lefèvre est assise au bord du canapé, une sacoche couvrant ses genoux.

Madame Lefèvre, soupireje. Jai vécu trois ans avec lui. Trois ans à le sauver, le soigner, le convaincre, pleurer. Il promet et recommence. Vous le savez bien.

Je sais, ma chérie, je sais, répondelle en haussant les épaules. Mais il est au plus bas maintenant! On la congédié de son emploi il y a deux semaines. Son appartement est méconnaissable. Il ne fait même plus la vaisselle ni le lit. Je viens une fois par semaine, je nettoie, je cuisine. Lui, il ne pense quà la bouteille et à ses potes. Tout ce quil me demande, cest «Maman, donnemoi de largent».

Je hoche la tête en comprenant. Madame Lefèvre essuie ses yeux humides, rougis.

Dehors, Clara finit par récupérer le ballon et senfuit, le serrant contre elle, le sourire triomphant aux lèvres. Elle a gagné, elle a repris ce qui était à elle.

Si tu reviens, il changera, promet Madame Lefèvre, la voix tremblante. Je le sais. Pour toi, il ferait nimporte quoi. Tu sais comme il taime.

Il aimait, corrigeje. Quand il était sobre. Il laimait vraiment. Mais ivre, il injurait tout, jetait les assiettes. Tu te souviens quand je suis arrivée pieds nus en chemise de nuit? Il avait caché les clés et mavait mise dehors pour lavoir grondé? Il était rentré en état de défoncement alors que javais déjà alerté mes amis et lhôpital. Je ne suis pas de fer! Je suis brisée, vous voyez? Quand tes sentiments sont piétinés chaque jour, ils sévaporent.

Madame Lefèvre détourne le regard, pousse un long soupir. Nous restons silencieuses un long moment. Elle serre le bracelet de son sac, le vieux cuir craquant.

Il ne voulait pas. Il ne comprenait pas ce quil faisait, finitelle par dire.

Quoi dautre pouvaitelle dire? Jai tout compris, cest une mère qui perd son fils, qui ne sait plus laider.

Il ne comprenait pas, acquiesceje. Madame Lefèvre, je lai compris. Jai compris quon ne pouvait plus vivre ainsi, chaque fois quil arrivait à trois heures du matin, quil déclenchait une dispute. Jai trouvé ses caches dans les toilettes, dans le placard, derrière le radiateur. Il prenait de largent dans mon portefeuille sans demander. Ses potes ivres réclamaient quon le ramène chez eux. Jai tout compris. Cest pourquoi je suis partie.

Mais cétait ton mari! sexclame la bellemaman. Tu avais juré de laimer dans la joie et la peine!

En prononçant ces mots, elle se lève brusquement, sa sacoche tombe, souvre. Des feuilles froissées, un vieux mouchoir en dentelle et une petite boîte de pilules se déversent. Nous ramassons ces maigres objets du sol.

Jai juré, disje. Mais la peine était trop lourde, Madame Lefèvre. La joie, elle, nexistait plus, pas du tout.

Elle magrippe le poignet de ses doigts froids et fermes.

Maëlle, il ne survivra pas sans toi! Tu le sais? Les médecins disent que le foie lâche. Encore un an et Cest tout! Tu veux vraiment ça?

Madame Lefèvre, répondje poliment. Je ne le veux pas. Promis, je ne le veux pas. Mais je ne vais pas me tuer non plus. Si je reviens, je mourrai avant lui, ou je deviendrai la nounou éternelle, à surveiller, à flairer, à sauver, jusquà la fin de mes jours. Et si on avait des enfants? Comment, à votre avis, pourraientils vivre dans ces conditions? Je veux des enfants, sains et normaux!

Tu laimais aussi, murmure la bellemaman, les larmes aux yeux. Tu laimais!

Je laimais, concèdeje. Dans une vie passée, qui sest terminée quand jai compris que lamour nest pas un sacrifice, ni un acte héroïque. Lamour, cest quand les deux sont heureux. Nous nétions pas heureux, Madame Lefèvre. Pas du tout.

Elle se tamponne le visage avec le mouchoir, souffle bruyamment et le range dans son sac.

Alors tu ne laideras pas, ditelle, à moitié affirmation, à moitié question.

Je naiderai pas, confirmeje. Parce que je ne peux pas, vous voyez? Physiquement, je nai plus la force.

Madame Lefèvre se lève, met maladroitement sa veste, se dirige vers la porte. Un bouton manque à lattache, mais elle ne le remarque pas. Arrêtée devant la porte, elle chuchote :

Il a demandé de tes nouvelles hier, quand il était sobre. Ça arrive rarement ces tempsci. Il a demandé: «Comment va Maëlle?» Jai répondu: «Tout va bien, mon garçon, elle se porte bien.» Il a hoché la tête et a dit: «Heureusement. Quelle vive bien, elle le mérite.»

Une vague de tristesse menvahit. La nostalgie de Julien, celui que jai aimé, joyeux, tendre, attentionné, me submerge. Il létait jusquau moment où la bouteille sest immiscée entre nous.

Transmetslui mes vœux de rétablissement, demandeje. Vraiment, mais sans moi. Quil se soigne seul, quil se sauve luimême. Je ne peux plus vivre pour lui.

Madame Lefèvre acquiesce et sort. Jentends ses pas séteindre dans le hall, puis la porte claquer. Je me rapproche de la fenêtre. Elle séloigne lentement, voûtée, petite, impuissante. Mon cœur se serre de compassion.

Puis je repense à la dernière soirée partagée, où il criait que javais ruiné sa vie, que cétait à cause de moi quil buvait. Il maccusait dêtre égoïste. Je men souviens, à peine à la valise, je me suis dite: «Quel soulagement de ne pas avoir denfants.»

Aujourdhui, je vis seule dans un petit studio à SaintDenis, je travaille. Le soir, je lis, je regarde des séries ou je vais à la salle de sport. Le weekend, je retrouve des amies. Ma vie est ordinaire, paisible, sans drames. Je ne veux plus retourner dans cet enfer, à chaque soirée douter que Julien ne se ravive, quil ne gît quelque part sans mémoire.

Je ne reviendrai pas.

Jai choisi moimême, ma vie. Jai choisi mon droit à être heureuse, ou au moins sereine. Ce nest pas de légoïsme, cest de la raison.

Julien a choisi la bouteille, il la fait il y a des années, bien avant moi. Je ne le savais pas, je nai pas vu les signaux dalarme parce que je laimais. Cest son choix, sa responsabilité, sa vie. Mais pas la mienne.

Оцените статью
J’ai refusé d’aider mon ex-mari — ma belle-mère pense que j’en suis responsable
Une bonne histoire ne saurait se passer d’amour