COMMENT ÉPOUSER UN FRANÇAIS SANS FINIR À LA RUE

28février2025 Cher journal,

Aujourdhui, en feuilletant les vieilles lettres, je me suis rappelé comment tout a commencé avec RenéLefèvre. Notre correspondance débuta sur un site de rencontre dédié aux étrangers. Jétais à Lyon, retraité depuis quelques années, et je cherchais désespérément à épouser un homme plus jeune, voire du même âge. Les veufs français, contrairement à ce que lon croyait, ne sont pas toujours en quête dune petite-fille ; ils sont souvent actifs, aiment voyager et se sentent encore vivants.

René avait soixantesept ans, moi cinquantequatre. Nous avions à peu près le même âge que sa fille, Éléonore, que jai rencontrée plus tard. La correspondance dura un an : nous échangeâmes nos goûts, nos souvenirs, nos petites rancœurs. Peu à peu, nos caractères sentremêlèrent comme deux tissus usés.

En mars dernier, je pris le train pour Arras avec lobjectif clair de lier ma destinée à celle de René. À larrivée, un homme grand, élégant, me tendit un bouquet de roses fanées, presque trop ternes pour être offerte. Jai eu envie de rebrousser chemin, mais le théâtre de notre rencontre ne faisait que commencer. Les pétales, déjà dépourvus de parfum, tombèrent dès que je les posai dans le verre deau que René me tendit; un signe, à mon sens, du destin.

Nous comprîmes tôt que lamour ne serait pas le moteur de notre union. Javais besoin dun soutien matériel, René dune compagne pour lassister dans son quotidien. Deux solitudes mûres sétaient ainsi rencontrées. Il me promit de me léguer toute sa fortune à son décès, mais, comme le montre lhistoire, promettre nest pas synonyme daccomplir.

Notre mariage fut sobre. Jai pris le nom de MadameMorlet. Les invités se résumaient à la fille de René, Éléonore, son mari et leurs trois enfants, ainsi quun couple ami. Jétais la troisième épouse de René. Dans son premier mariage, il eut deux filles jumelles, FrançoisAnne et Éléonore. Ironiquement, René sopposait à la paternité, désirant consacrer sa vie à lautodéveloppement et aux voyages. Mais sa première femme, contre son gré, donna naissance à ces deux petites. Lorsque les filles eurent dixhuit ans, René quitta la maison en signe de protestation. Sa femme, accablée, mourut deux ans plus tard dans son sommeil, laissant à leurs enfants une maison à trois étages, une villa à la campagne, trois voitures et lentreprise familiale, désormais transférée à FrançoisAnne.

René trouva ensuite une compagne âgée de sept ans de plus que lui, également réticente à lidée davoir des enfants. Tout se déroula paisiblement jusquà ce que la nouvelle épouse tombe gravement malade. René la soigna avec une dévotion surprenante: massages, repas, même changements de couches jusquà son dernier souffle.

Le drame frappa de nouveau lorsque FrançoisAnne fut retrouvée morte sur le bord dune route, les circonstances jamais élucidées. Sans repères, René sombra dans une profonde dépression. Éléonore, sa fille, ne vint jamais lui rendre visite. Après un bref répit, il décida de se remarier, plein dénergie, grâce à un autre site de rencontres. Cest ainsi que nos chemins se croisèrent.

La vie de MadameMorlet, cest la mienne. Les finances étaient entièrement à la charge de RenéLefèvre, qui, à mes yeux, semblait avare. Il distribuait le strict minimum pour lalimentation, examinait chaque reçu et exigeait un rapport écrit pour chaque dépense. Quand je demandai un petit luxe une paire de pantoufles ou un rouge à lèvres il se tourna comme si on lui avait arrosé le citron. Pourtant, chaque année, nous embarquions pour des croisières et des excursions, rêve cher à René.

Je le respectais, le comprenais même, et mefforçais de préparer ses plats favoris, veiller sur sa santé, rester à ses côtés «puisque le bonheur se partage dans la joie comme dans la peine». Mais le sort sacharna encore : un accident vasculaire cérébral le cloua au lit dhôpital. La fille dÉléonore surgit, brandissant le testament de son père: «Je lègue tous mes biens immobiliers à ma fille. À mon épouse, une somme que ma fille estimera suffisante pour vivre décemment». Ainsi René, dans le flou de la démence, avait modifié son testament en faveur dÉléonore, cherchant à réparer les torts quil se reprochait davoir infligés à ses filles.

Pendant six mois, je le soignai au service de réanimation, le nourrissant à la cuillère, caressant sa main, lui parlant. Il ne reconnaissait plus personne, ne comprenait plus rien. Je ne contestai pas le nouveau testament ; jai accepté que la mort le prît à ses quatrevingttrois ans.

Peu après, la fille dÉléonore se présenta à la porte :
«Madame Morlet, vous devez quitter ce domicile au plus vite. Je vous offrirai de largent pour une petite chambre, puis vous serez relogée en foyer. Vous feriez mieux de retourner en Bulgarie». Lidée dêtre expulsé, gelé, affamé, me traversa lesprit comme un cauchemar.

Les avocats, conscients de la faiblesse de ma cause, me conseillèrent de ne pas saisir la justice, les frais seraient astronomiques. Pourtant, je possédais le premier testament, celui où René maccordait tout. Jexpliquai que, dans son état de démence, il nétait pas en pleine possession de ses facultés lorsquil avait réécrit le document. Cette pensée me donna létincelle despoir.

Aujourdhui, je vis modestement dans un appartement à Arras, me débrouillant avec les allocations que maccorde Éléonore. Un jour, lors dune promenade dans le parc, je rencontrai Pierre, qui promenait son petit chien. Nous échangeâmes quelques mots, puis il minvita à courir avec lui chaque matin. Ce nouvel ami est devenu mon époux ; nous partageons désormais une vie simple, loin des intrigues et des querelles de succession.

Leçon que je garde en moi : lamour et la sécurité financière ne sont jamais garantis par un simple serment. Il faut toujours se méfier des promesses faites dans lombre du désespoir et bâtir son propre avenir, même quand le passé se veut lourd et oppressant.

Jean.

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La Protectrice Rayée de la Cour