Albert, tu ne devrais pas épouser cette paysanne. Que peut toffrir une fille de la province sans éducation?
Maman, doù vient ton snobisme? Claire est une très bonne jeune femme, très bien élevée, elle étudie à lInstitut de Cardiologie de lHôpital Européen, en résidence de chirurgie cardiaque.
Tes parents ont dû vendre toutes leurs vaches pour financer ses études.
Maman, toi-même nas jamais terminé tes études supérieures et tu nas jamais travaillé. Tes parents habitent à Lyon, ce ne sont pas des Parisiens.
Comment osestu! Je nai pas fini luniversité parce que, à la fin de ma troisième année, je tai mise au monde, puis ton père ma interdit de travailler, disant quil subviendrait à la famille. Jai dédié toute ma vie à toi!
Maman! Merci pour tout, mais je suis désormais un homme autonome et je décide de mon destin.
Zoé Alexandre, offensée, déclare quelle ne viendra pas au mariage et se détourne. Face à cette attitude, Albert et Claire décident de ne pas organiser de cérémonie officielle pour ne pas contrarier la future bellemère, dautant que les parents de Claire ne peuvent se déplacer, ils doivent garder leur grandmère malade. Les jeunes se marient simplement à la mairie, puis prennent un verre avec leurs témoins dans un café. En apprenant cela, Zoé Alexandre rechigne de nouveau, affirmant que les parents de la mariée nont pas vendu tout leur lait et quils nont pas pu réunir les fonds pour une fête.
Claire et Albert ne se laissent pas perturber par la nouvelle bellemaman ; ils pensent quelle shabituera. Claire possède déjà un petit appartement où ils comptent vivre. Il faut juste réaménager légèrement pour fusionner lappartement de la grandmère avec celui des parents, mais cela ne fait rien deffrayant. Les deux sont heureux, leur rencontre ressemblant à un roman. Un jour, ils se promènent sur les ButtesChaumont, chacun dans son groupe, quand un coup de vent emporte le foulard de soie de Claire. Albert se lance à la poursuite, attrape laccessoire, se heurte à Claire, leurs regards se croisent et ils oublient le foulard. Ensuite, comme il se doit, ils soffrent des fleurs, des chocolats, vont au cinéma, et six mois plus tard ils décident de se marier.
Après la cérémonie, ils rencontrent les parents dAlbert. Dabord, ils rendent visite à la mère dAlbert. Ils préviennent Zoé Alexandre, achètent un beau bouquet et une boîte de ses bonbons préférés, puis se rendent chez elle. Albert lavertit à lavance que sa mère la considère comme rustre et villageoise.
Bonjour, dit la bellemère dune voix lente, alors, quel mari astu choisi, mon fils?
Bonjour. Albert est vraiment formidable, il y avait beaucoup de monde, mais il ne ma remarquée que moi.
Où étaitil? sétonne Zoé Alexandre.
Là où il a choisi sa future épouse, sur les ButtesChaumont, répond Claire, les yeux fixés sur lhôte.
Prenez place à table, linvite la femme.
Avec plaisir, répond la jeune femme, tandis quAlbert esquisse un sourire.
Sur la table, dressée avec un soin particulier, on trouve divers plats et desserts, accompagnés de couteaux, fourchettes pour la viande, le poisson, cuillères à dessert, ainsi que des verres pour vin blanc et rouge. Tout semble disposé pour mettre en évidence le manque de savoirfaire de la bru.
Votre table est aussi belle quun musée. Nous, Albert et moi, ne faisons pas comme ça, sexclame Claire.
Claire, arrête de mappeler «Alik», mon fils sappelle Albert, proteste Zoé Alexandre.
Pardon, comme vous voudrez.
La maîtresse de maison se met à servir :
Voici un fricassé, une gelée desturgeon, et je vais vous apporter un gratin de champignons, il faut le déguster bien chaud.
Jadore le gratin. Au restaurant «Prague» ils le servent comme plat signature, répond Claire, puis, voyant létonnement de lhôte, ajoute Albert my a invitée.
Claire manie les couverts avec assurance. La bellemaman tente de lui indiquer quel couteau utiliser, mais Claire linterrompt :
Merci, Zoé Alexandre, je sais déjà comment manger, Albert ma enseignée toute la matinée.
Albert tousse, la bellemaman ne sait quoi répondre.
En taxi, ils rentrent chez eux.
Pourquoi testu moquée de ma mère toute la soirée? demande Albert en souriant.
Je ne me moquais pas, laisse-les penser que je viens juste de sortir dune vache avec un seau de lait.
Plus tard, ils décident de rencontrer les parents de Claire. Ils proposent à Zoé Alexandre de les accompagner afin de connaître les nouveaux proches. Zoé, les yeux roulés, accepte par curiosité. Ils montent dans le 4×4 dAlbert. Le village de Claire se trouve à 120km, donc le trajet est rapide. La maison des parents est grande, solide, avec trois pièces au rezdechaussée et deux combles, décorée de panneaux en bois sculpté. Lintérieur sent bon les tartes aux pommes.
À lentrée, une femme jeune et soignée les accueille :
Kostya, viens vite, les invités sont arrivés, crietelle, Bonjour, chers amis, entrez. Le père de Claire arrivera bientôt. Je suis la mère de Claire, CatherinePetrovna, et vous devez être Zoé Alexandre? Enchantée.
Zoé Alexandre sourit, déçue de ne pas voir une femme de campagne négligée, mais une dame à peine plus âgée que la fille. Elle reprend son air de reine qui aurait vu une chèvre. Le père de Claire, grand, élégant, cheveux argentés, silhouette athlétique, apparaît. Il attrape Claire dans ses bras, la serre contre lui, salue Albert, puis se tourne vers la bellemaman :
Zoé Alexandre, vous êtesvous reconnue?
Pardon, je ne vous rappelle rien, répond la femme.
Claire ma parlé de vous, jai pensé à votre famille. AnatoleKraschennikov, cest votre mari? Il est en Argentine, non?
Oui. Vous le connaissez?
Je suis KonstantinKrechétov, nous avons étudié à lInstitut de Relations Internationales, Anatole nous a présentés au Kremlin, puis nous nous sommes revus lors du centenaire de notre école.
Ah, maintenant je me souviens, désolée de ne pas vous avoir reconnue tout de suite.
Moi aussi, Zoé Alexandre, répond Catherine.
Zoé se rappelle alors dun dîner au Kremlin où elle avait admiré une femme au manteau couleur vague marine et aux bijoux de valeur muséale: Catherine. Elle navait jamais imaginé se retrouver parmi des diplomates et des diamants au lieu de vaches.
Le déjeuner se déroule à merveille. Tous parlent météo, nature. Même la grandmère de Claire, à mobilité réduite, participe avec joie. Zoé se sent comme à la maison, comme lorsquelle était chez ses propres parents.
Après le repas, ils décident daller se promener au lac. Un petit garçon du voisinage, Antoine, sept ans, au visage roux et aux cheveux en bataille, les suit. Sérieux et réfléchi, il prend la main de Zoé et la conduit au bord du lac, lui confiant ses secrets denfant. Tous se baignent, Zoé regarde depuis la rive, le garçon sapproche :
Tante Zoé, on va nager!
Antoine, jai peur de leau et je nai pas de maillot, je préfère vous regarder.
Tante Zoé, ne vous inquiétez pas, répond le garçon en adulte, vous êtes citadine, vous observez tout comme une reine, mais vous navez pas besoin de cela. Nous vivons simplement, nous aimons tous ceux qui viennent. Si vous naimez pas les gens, vous resterez seule, vieille, et personne ne voudra être votre ami, les reines nont pas damis.
Antoine court se baigner, Zoé regarde les gens, honteuse de son attitude envers la bru et son fils. Elle se dit : «Ce qui compte, il nest jamais trop tard, je ne suis plus une reine, jaime ces gens.».







