Je n’ai pas laissé ma mère entrer chez moi

«Maman, ne me fais pas rester dehors au froid!» a tonné la voix du vidéophone. «Ouvre immédiatement!»

Jai raccroché le combiné et méloigné du boîtier.

Cinq minutes plus tard, mon portable a sonné. Un numéro inconnu saffichait. Jai laissé sonner, puis il a retenté encore, et encore.

À la dixième sonnerie, jai finalement décroché, persuadée quelle ne se laisserait pas faire.

«Lison!» a crié ma mère.

«Alors, tes si cruelle, non? Je viens à toi avec tout mon cœur, mais qui va maider? Victor ma larguée, il a vendu son appartement, et moi je me contente de louer des coins!» a-t-elle lancé. «Tu imagines? Ta mère, enseignante diplômée, se promène dans les logis dautrui»

On parlait de Victor, le gars qui, il y a vingtcinq ans, lavait poussée à quitter Paris, la laissant, moi, à huit ans, avec papa.

«Tu es déjà une grande, ma petite, et maman a le droit au bonheur,» mavaitelle dit alors.

Jétais dans le couloir en chemise de nuit, à la regarder se refaire les lèvres devant le miroir. Son rouge à lèvres était dun rouge vif, à la mode. Et elle était vraiment ravissante

Je lui ai demandé quand elle reviendrait; elle, souriante, ma répondu quelle mappellerait «un jour». Jai alors, déterminée, demandé si je pouvais la suivre. Elle a répété le même discours sur le bonheur personnel, affirmant que je suis assez grande pour me débrouiller sans elle.

«Soyons honnêtes,» aije dit froidement au combiné, «combien veuxtu?»

Un long silence sest installé, seulement son souffle lourd se faisait entendre.

«Lison, mais» marmonnat-elle. «Je ne suis pas une mendiante Je je reste quand même ta mère»

«Mère,» aije ri, «celle qui ma abandonnée Allez, on arrête le théâtre, daccord? Combien?»

«Il me faut un appartement décent, au moins un studio Et de quoi vivre Disons cinq mille euros pour commencer.»

«Ah!» aije pensé, «quelques exigences!»

«Je crains que tu ne sois pas au bon endroit,» aije répliqué, «je ne peux rien faire pour toi.»

«Alors» Sa voix sest soudain faite très pressante. «Jai entendu dire que tu as»

Jai esquissé un sourire. Elle avait entendu

«Écoute, maman,» aije dit froidement, «tu as fait ton choix il y a vingtcinq ans. Tu as préféré Victor, une nouvelle vie, ton bonheur à toi. Pendant ce temps, je suis restée avec papa, qui bossait à deux boulots, qui assistait à toutes les réunions de parents, maidait aux devoirs et veillait à mon chevet quand jétais malade. Un homme qui na pas refait sa vie parce quil craignait quune bellemère ne le blesse»

«Lison!» sest exclamée ma mère, impatiente. «Mais je tai appelée, je tai souhaité de joyeuses fêtes»

«Deux fois par an, pendant cinq minutes. «Comment ça va, ma fille?Tu étudies?Bravo. Allez, à plus, je dois y aller.» Tu te souviens?»

Silence.

«Quand jétais malade,» aije continué. «Tu te rappelles? Javais quatorze ans, deux semaines à lhôpital Papa ta appelé, il voulait que tu viennes, mais tu as dit que Victor avait des affaires importantes, que tu ne pouvais pas le laisser.»

Encore du silence.

«Et mon bac!» aije pressé. «Tu te souviens? Jai demandé à papa de ne pas tappeler, mais il a quand même sonné. Tu avais promis darriver. Javais déjà choisi ma robe, imaginant que tu verrais la fille brillante, réussie, médaillée Tu nes pas venue parce que la fille de Victor, issue dun premier mariage, se mariait.»

«Lison, ce nest pas possible» a finalement balbutié ma mère, honteuse. «Jétais jeune, naïve»

«Tu avais trentecinq ans, maman, pas dixhuit!» aije rétorqué. «Papa, dailleurs, nest plus depuis trois ans. Un infarctus au travail, au second poste quil na jamais quitté, même si je gagnais déjà assez pour le subvenir.»

Jentendais ses sanglots à travers le combiné, mais mon cœur restait de marbre. Dailleurs, elle mavait appris à ne jamais me laisser aller aux larmes.

«Victor ta larguée, nestce pas?» aije poursuivi. «Il a trouvé quelquun de plus jeune? Ou il sest lassé de toi? Peu importe. Mais tu te souviens tout de suite dune fille qui a du succès, parce que ça fait pratique.»

«Tu es cruelle, Olga. Sans cœur. Je je ne te reconnais plus!» sest exclamée ma mère.

«Comment ne pas me reconnaître, alors que tu ne mas jamais vraiment connue? Tu ne sais même pas que jadore le thé à la camomille, que je panique à lidée dun araignée, que jai fait une fausse couche il y a deux ans et que jai mis trois mois à remonter le lit, que je me suis séparée parce que mon mari me trompait et que je nai pu le pardonner.»

«Lison» a murmuré ma mère, à peine audible.

«Et tu sais quoi?» aije poursuivi. «Je gagne bien ma vie. Jai un troispièces, une voiture, un compte en banque. Aider avec ces cinq mille euros, cest du gâteau pour moi. Mais je ne le ferai pas, ce serait trahir la mémoire de papa, cet homme qui a réellement été mon père.»

«Je finirai sans toit!» a-t-elle crié, désespérée.

«Pas du tout. Je ne suis pas le bon Samaritain, mais le monde nest pas dépourvu de bonnes personnes. De plus, tu nes pas encore vieille: tu as les mains, les pieds, la tête, un diplôme, de lexpérience, des contacts Tu pourrais devenir nounou, femme de ménage, agent de sécurité Papa na jamais méprisé le travail pour moi. Et que peuxtu faire de mieux que lui?»

Elle pleurait à haute voix, mais je ne fléchissais pas.

«Tu veux que je te raconte une histoire?» aije lancé, sans vraiment savoir pourquoi. «Quand javais douze ans, je tai écrit une lettre. Cinq pages de nostalgie, de souhaits de vacances chez toi, dun rêve où nous serions à trois, toi, moi et papa, à redevenir une vraie famille. Une folie denfant, bien sûr»

«Papa ma donné ton adresse, et jai envoyé la lettre. Jattendais ta réponse chaque jour, je descendais à la boîte aux lettres. Un mois plus tard, jai reçu ta carte:«Lison, jai reçu ta lettre. Ce nest pas le bon moment pour une visite. Étudie bien. Maman.»»

Le combiné sest tus.

«Tu sais ce que jai compris alors?» aije demandé doucement. «Je nai pas de maman. Jai une femme qui ma mise au monde, mais pas de mère. Et jai accepté. Merci à papa, il a toujours été là. Jai grandi sans maman, je me suis débrouillée. Et maintenant tu veux que je te laisse entrer dans ma vie? Pour quelle raison?»

«Je suis malade, Lison,» a murmuré ma mère. «Jai le diabète, lhypertension, mon cœur fait des siennes. Tu es ma dernière chance! Sans toi»

«Je financerai tes examens dans une bonne clinique,» aije répondu sèchement après une pause. «Et les médicaments nécessaires. Mais cest tout. Ne mappelle plus. Ne viens plus. Tu as eu lopportunité dêtre ma mère, mais il y a vingtcinq ans, tu as refusé. Il ny aura pas de deuxième chance.»

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Je n’ai pas laissé ma mère entrer chez moi
Тот, кто вернулся из подземелья