Le Sentier Familial

Le sentier familial

Les parents sarrêtèrent devant le portail de la petite maison du village, le moteur de leur voiture ronronnant encore un instant dans lair frais de septembre. Louis se tenait sur le sentier délavé entre les massifs de fleurs, son vieux sac à dos orné dun écusson en forme davion accroché à la bandoulière. Autour de lui bruissaient des feuilles jaunes qui se posaient sur ses bottes et se coinçaient sous les talons.

Le grandpère sortit sur le pas de la porte, ajusta son béret et sourit: les rides au coin des yeux sapprofondirent immédiatement. Louis ressentit alors que quelque chose dimportant allait commencer, différent de lordinaire.

Sa mère lembrassa sur le sommet de la tête, caressa son épaule et lança:

Ne faites pas les guignols, daccord? Et écoute Grandpère.

Bien sûr, répondit Louis, un peu gêné en jetant un œil aux fenêtres où sa grandmère venait de passer.

Lorsque les parents séloignèrent, le jardin devint soudain plus silencieux. Le grandpère invita son petit-fils au hangar: ils choisirent ensemble des paniers pour la cueillette, un plus grand pour le vieux, un plus petit pour Louis. À côté gisait une vieille bâchetente et des bottes en caoutchouc: le grandpère vérifiait quaucune fuite ne viendrait gâcher la nuit de pluie. Il examina minutieusement la veste de Louis, ferma toutes les fermetures éclair, ajusta le capuchon.

Septembre, cest le temps des champignons! proclama le grandpère avec lassurance dun almanach secret de la nature. Les sousépines se cachent sous les feuilles, les girolles adorent le mousse près des sapins, les coulemelles sont déjà en pleine forme.

Louis écoutait attentivement: il aimait cette impression de se préparer à quelque chose de réel. Les paniers grinçaient sous leurs poignées; les bottes étaient un peu larges, mais le grandpère hocha simplement la tête: lessentiel était que les pieds restent secs.

Lair du jardin sentait la terre mouillée et les résidus de vieux feux de camp. La brume matinale sétalait sur les flaques le long de la clôture; quand Louis foulait les feuilles humides, elles collaient à la semelle et laissaient des traces sur les marches de pierre.

Le grandpère racontait les sorties dantan: comment, un jour, lui et la grandmère avaient découvert un vaste tapis de coulemelles sous un bouleau ancien; combien il était crucial de regarder non seulement sous les pieds, mais tout autour, car les champignons se cachent parfois au même endroit que le sentier.

Le chemin vers la forêt était court: une route de campagne traversait un champ aux herbes fanées. Louis marchait à côté du grandpère; ce dernier avançait lentement, mais assurément, tenant son panier contre sa hanche.

Dans la forêt, lodeur changeait: le parfum du bois frais et lacidité du mousse entre les racines des pins. Sous leurs pieds, lherbe souple se mêlait aux feuilles tombées; au loin, on entendait le goutteàgoutte de rosée qui tombait des branches.

Regarde! Voilà un sousépine, sinclina le grandpère et montra le champignon à la calotte claire. Tu vois le pied? Tout couvert décailles sombres

Louis sassit à côté, toucha la calotte avec le doigt: elle était fraîche et lisse.

Pourquoi ce nom?

Parce quil aime pousser près des bouleaux, sourit le grandpère. Souvienstoi de lendroit!

Ils dévissèrent délicatement le champignon du sol; le grandpère montra la coupe du pied: à lintérieur, il était blanc, sans tache.

Un peu plus loin, une petite girolle jaune apparut dans lherbe.

Les girolles sont toujours ondulées sur le bord, expliqua le grandpère. Et elles ont une odeur particulière

Louis la humecta: un parfum de noisette sen dégageait.

Et si elle était similaire?

Les faux sont plus flamboyants ou dépourvus dodeur, dit le grandpère. Mais nous ne les prenons jamais!

Peu à peu, les paniers se remplissaient: parfois un sousépine robuste, parfois un groupe de coulemelles surgissant dun souche recouvert de mousse de sapin de petits pieds fins, des chapeaux collants à la bordure claire.

Le grandpère distinguait les vrais des faux:

Les faux sont jaunes vifs, parfois orange en dessous, montraitil. Les vrais sont blancs ou légèrement crème dessous

Louis adorait dénicher les champignons tout seul; à chaque découverte, il appelait le grandpère pour confirmer. Quand il se trompait, le vieil homme expliquait de nouveau, patiemment.

Le long du sentier, des amanites rouge vif surgissaient, leurs chapeaux parsemés de taches blanches.

Elles sont belles, sexclama Louis. Pourquoi ne pas les cueillir?

Elles sont toxiques, répliqua gravement le grandpère. On ne peut que les admirer!

Il contourna lamanite avec précaution. Louis comprit alors que lapparence séduisante nétait pas toujours synonyme de butin.

Parfois le grandpère demandait:

Tu te souviens des différences? Si tu hésites, ne prends pas!

Louis acquiesçait, désireux dêtre attentif, sentant la responsabilité de son panier et de la marche côte à côte avec le grandpère.

Au cœur de la forêt, le soleil perçait les branches basses, projetant de longues bandes de lumière sur la terre humide. Là, il faisait plus frais, les doigts frissonnaient parfois sur le manche du panier. Mais lexcitation de la chasse réchauffait mieux que les gants. Un écureuil filait, les oiseaux papotaient entre les ramures. Parfois, un craquement lointain annonçait un lièvre ou un autre cueilleur sur son chemin. La forêt ressemblait à un labyrinthe vivant de troncs, de mousse, de feuilles bruissantes et de sons étouffés. Le sol était doux même sous les tapis de feuilles mortes, et des taches sombres dhumidité perçaient entre les racines. Le grandpère montrait où poser le pied pour ne pas se mouiller; le petitfils suivait, scrutant partout, cherchant de nouveaux lieux où surprendre la grandmère à son retour. Il se sentait assistant, presque adulte, même sil désirait parfois saisir la main du vieil homme juste pour la certitude, quand le vent hurlait plus fort ou que lobscurité sépaississait comme si la forêt ne révélait ses secrets quà eux deux.

Un jour, entre deux sapins, Louis aperçut plusieurs taches roux parmi la mousse. Il séloigna doucement du sentier, sassit pour examiner de plus près: cétait une colonie de girolles, exactement celles que le grandpère avait louées plus tôt. La joie lenvahit, il butina champignon après champignon, remplissant son panier, oubliant de regarder autour. Lorsquil se releva, son regard ne rencontra que les troncs imposants aucun visage familier, aucun bruit, seulement le bruissement feutré des feuilles et le craquement rare dune branche au loin. Louis resta figé, le cœur battant plus vite que dhabitude. Cétait la première fois quil se retrouvait seul au milieu dune immense forêt dautomne, même si ce nétait quun instant. La peur arriva aussitôt, mais les paroles du grandpère résonnèrent: reste sur place, si tu me perds, crie fort je te répondrai. Il voulut appeler, dabord à voix basse, à peine plus fort que son souffle. Puis, plus résolu:

Grandpère, où estu? Hé, je suis là!

Le brouillard flottait entre les troncs, rendant chaque arbre semblable, les sons sétaient fait plus doux, plus lointains. Dune direction, une voix familière cria :

Hé! Je suis là, viens me chercher, guidetoi par ma voix reste calme!

Louis inspira profondément, se dirigea vers le cri, appela à nouveau, écoutant pour être entendu. Ses pas gagnèrent en assurance, le sol sous ses pieds devint plus familier, la peur céda la place à un soulagement lorsquune silhouette apparut au loin. Le grandpère, adossé à un vieux chêne, souriait, lattendant serein, comme si rien de grave ne sétait produit. Les bruits de la forêt reprirent vie, le cœur de Louis battait maintenant au même rythme, paisible. Il comprit quil pouvait faire confiance aux paroles dun adulte, comme on se fait confiance à soimême.

Voilà, tu es revenu! le grandpère tapota lépaule de son petitfils, un geste dépourvu de reproche, seulement de joie tranquille. Louis regarda le visage ridé, familier comme la chambre denfance. Le cœur battait encore, mais sa respiration se calma à côté du grandpère, il se sentait à nouveau protégé.

Tu as eu peur? demanda le grandpère doucement, soulevant le panier du sol.

Louis acquiesça, bref et sincère. Le grandpère saccroupit pour être à sa hauteur.

Moi aussi, je me suis déjà perdu dans les bois quand javais ton âge. Javais limpression de chercher toute la journée, alors que dix minutes sétaient écoulées Le plus important, cest de ne pas courir à laveugle. Mieux vaut sarrêter et appeler. Tu as bien fait.

Louis observa ses bottes en caoutchouc, couvertes de terre et de mousse. Il sentit la fierté du grandpère à son égard. Le reste de lappréhension sétait enfoui au plus profond, devenu souvenir, non plus peur.

On y va? Le crépuscule approche. Il faut rentrer avant la nuit, dit le grandpère en se relevant, ajustant son béret et reprenant son panier. Louis le suivit, presque collé à ses pas. Chaque craquement de feuille sous leurs pieds semblait familier. Ils marchaient côte à côte: Louis aimait se sentir partie intégrante dune petite aventure, même dans les décisions les plus simples.

À la sortie de la forêt, lair devint vif: le vent du soir poussait les feuilles sèches le long du sentier bordé darbres; au loin, le toit dune maison se dessinait derrière les branches de ronce. Les poignées des paniers portaient une bande sombre de terre humide; leurs mains frissonnaient légèrement après la longue marche, mais la joie du retour réchauffait plus que nimporte quel thé chaud.

La maison les accueillit dune lumière tamisée et de lodeur du pain fraîchement sorti du four. La grandmère les attendait sur le perron, une serviette drapée sur lépaule:

Oh! Quels braves petits champignons! Montrezmoi votre butin!

Elle les aida à enlever les bottes dans lentrée les semelles collées de feuilles puis prit le panier du grandpère, le posa près de son bol de nettoyage.

Dans la cuisine, la chaleur du feu crépitait, la vitre de la fenêtre sembue en fines stries; on ne distinguait que les lueurs vacillantes du réverbère extérieur et les silhouettes des arbres au loin. Louis sassit près de la table: la grandmère triait les champignons avec adresse les sousépines dun côté, les girolles de lautre tandis que le grandpère sortait son petit couteau pliant pour travailler les coulemelles les plus délicates.

Le soir sépaississait dehors, mais la maison était dun confort particulier. Louis racontait aux adultes sa journée, leurs écoute attentive le faisait se sentir enfin membre à part entière de cette tradition familiale. Sur la table, la bouilloire fumait, parfumée de champignons et de pâtisseries. Dehors, la nuit gagnait du terrain, mais à lintérieur, la lumière, la chaleur et le calme régnaient comme après une petite épreuve traversée ensemble.

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