Lumière au Grenier

Lumière dans le grenier
Élodie, où vastu comme ça ? demande GrandMère en plissant les yeux, le tricot abandonné. Encore au grenier ?

Élodie, la main déjà sur la poignée, sarrête net. On voit quelle ne sattendait pas à la question.

Non, mamie, juste prendre lair.

De lair ? souffle GrandPère sans lâcher son journal. Il ny a que de la poussière, pas dair. Et il fait froid. Tu vas encore traîner tes vieux bricolages ? Le coin est déjà plein de ces ferrailles.

Ce ne sont pas des ferrailles, marmonne Élodie, vexée. Ce sont des pièces.

Des pièces de quoi ? insiste le vieil homme, posant le papier. Expliquenous enfin, vous deux. Que fabriquestu ? Un engin volant ?

Élodie rougit et baisse les yeux, cherchant les mots qui ne paraissent pas ridicules.

Euh presque.

GrandPère échange un regard avec GrandMère, qui secoue la tête.

Ma fille, tu ne crois pas quil est temps darrêter ? Tu devrais plutôt aller à tes cours ou sortir comme les autres enfants. Tout ton temps, cest le fer à souder et commentça les transistors.

Un coup sec retentit à la porte. Un jeune homme aux lunettes, le visage grave, se tient sur le seuil.

Bonjour. Estce que la petite Marie Dupont habite ici ?

GrandMère se méfie.

Questce que vous voulez ? Cest notre petitefille.

Le jeune homme soupire, soulagé.

Pardon de vous déranger. Je mappelle Alexandre, je suis de lUniversité de Paris, département de robotique. Nous organisons le concours «Technologie du futur» pour les lycéens. Votre petitefille a soumis un projet.

Le silence sinstalle. GrandPère se lève lentement.

Quel projet ? demande GrandMère, désemparée.

Vous nétiez pas au courant ? répond linvité. Elle a conçu un prototype de bracelet de navigation pour les aveugles, qui, grâce aux ultrasons, avertit des obstacles. Pour son âge, cest une idée brillante. Nous voulons linviter à la finale, avec les parents. Elle a indiqué que vous seriez ses tuteurs pendant votre voyage.

GrandMère sassied, les mains serrées. GrandPère regarde tour à tour le visiteur et la petite porte menant au grenier.

Elle était toujours au grenier, murmure le vieil homme. Elle restait collée à son ordinateur. On pensait que cétait de la paresse.

Rien de cela, sourit Alexandre. Elle nous écrivait des questions sur les circuits, on la aidée à distance. Elle est très persévérante. Puisje peux la saluer ?

La porte souvre doucement et Élodie apparaît, couverte de soudure, une petite pièce à la main, les yeux grands ouverts.

Après que le jeune homme soit parti, le calme reprend. GrandMère, la première à rompre le silence, sapproche dÉlodie et la serre.

Pardonnez nos vieux, daccord? Montez au grenier autant que vous voulez, mais noubliez pas votre bonnet, il fait froid.

Puis GrandPère et GrandMère se tiennent près de la fenêtre, regardant la petite fille, presque minuscule à leurs yeux, cliquer la souris, envoyer les pièces jointes du dossier. Lécran séteint, reflétant son visage concentré, éclairé dune lumière intérieure. Sa sérénité déclenche un souffle de fierté chez le grandpère qui lâche un rire :

Eh bien! On ne voit pas toujours ce qui grandit. Elle deviendra une ingénieure, pas une simple ménagère.

GrandMère essuie une larme, relève la tête, fière, tandis quÉlodie parcourt des schémas complexes, perdue dans ses pensées.

Elle se tourne alors vers le grandpère, une étincelle de jeunesse retrouvée dans le regard.

Henri, ditelle fermement. On nétait pas mal à notre âge, tu te souviens quand on rédigeait des rapports à lusine ? Quand tu me montrais le tour?

Le vieil homme hoche la tête, des rides se dessinant comme des rayons de soleil.

Je men souviens, Anne. Mais le temps passe nous ne sommes plus les mêmes.

Le temps ne doit pas nous mettre à lécart, rétorque GrandMère, décidée, et se dirige vers la commode. Elle est là, seule, à souder, et nous on se plaint. Cest inacceptable.

Elle fouille le tiroir du bas et sort une boîte en bois, robuste mais vieillie. GrandPère sexclame :

Tu ne vas pas vraiment

Mais oui, répond Anne en ouvrant le couvercle. À lintérieur, soigneusement rangés dans du velours, reposent des tournevis minuscules, des pinces à bouts fins, des pinces, même un petit fer à souder à piles. Mon père, quil repose en paix, était horloger. Cétait son outil. Jai pensé le garder pour Élodie quand elle grandirait. Maintenant, il est temps.

Le soir même, lorsque Élodie redescend du grenier pour dîner, elle sarrête sur le pas de la cuisine. Au centre de la table, à côté dune assiette de soupe, repose la boîte. En face, ses grandsparents lobservent.

Cest quoi ça ? soufflet-elle.

Cest notre contribution à ton projet, déclare GrandPère avec gravité. Tu auras besoin dune bonne lumière. Je linstallerai au grenier.

Élodie sempare dune petite vis de nacre et la tient comme si elle pouvait la briser dun seul geste.

Vous vous nêtes plus contre, nestce pas ? soufflet-elle. Avant vous disiez que je perdais mon temps

GrandMère agite la main, chassant la culpabilité.

Ah, les bêtises de la vieillesse. On se rattrape. Disnous tout sur ce bracelet. Peutêtre quon pourra aider. Nos mains sont encore agiles.

Les semaines suivantes voient la maison des Dupont animée dune joyeuse agitation. Des voix sélèvent du grenier, GrandPère, armé dun escabeau, couche de nouveaux fils, grognant que «sans lumière adéquate, on ne voit pas le microcircuit». GrandMère, coiffée dun vieux béret, aide avec une précision de bijoutière, ses doigts fins manipulant les soudures. Ensemble, ils forment une équipe : GrandPère propose des solutions dingénierie, GrandMaman assure la précision, et Élodie relie le tout aux dernières technologies quelle puise sur Internet et dans les manuels.

Le jour de la finale, Élodie se tient devant le jury, entourée de ses deux plus grands conseillers : GrandPère en costume repassé et GrandMère dans sa plus belle robe. Quand les professeurs posent une question pointue, elle se tourne vers eux, ils échangent un regard, hochent la tête, et elle répond avec assurance, fruit de leurs débats dans le grenier.

Ils ne remportent pas la première place, mais le second, derrière un élève de terminale qui présentait un robot complet. Lorsque Alexandre remet le diplôme, il sourit au micro et déclare :

Le prix spécial de la meilleure équipe inspirante revient, sans hésiter, à la famille Dupont! Félicitations!

GrandPère, habituellement impassible, essuie les larmes avec un mouchoir. GrandMère rayonne comme mille ampoules quils ont installées sur le lustre du grenier.

Le soir, ils rangent le diplôme sur létagère la plus visible du buffet et sinstallent pour le thé avec un gâteau.

Tu sais, mamie, réfléchit Élodie, ton fer à souder est meilleur que nimporte quel modèle moderne. Il tient parfaitement dans la main.

Ce nest pas un fer à souder, ma petite, corrige GrandMaman. Cest un héritage. Et maintenant il est à toi.

Et tu sais ce que je veux faire maintenant ? ses yeux brillent à nouveau. Construire un prototype de machine intelligente pour GrandPère, afin que ses mains ne se fatiguent plus. Et pour toi, un dispositif qui tricote tout seul selon un schéma que tu dictes.

GrandPère et GrandMaman se regardent, leurs yeux illuminés par la flamme du rêve. La maison sent à nouveau le soufre, les rêves et le bonheur. Cest le parfum le plus précieux qui soit.

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