Pourquoi il lui faut une grand-mère comme ça ?

Cher journal,

Aujourdhui jai repris mon téléphone, encore secoué par la colère de ma bellefille.Je tenais le smartphone à peine à quelques centimètres de mon oreille, afin de saisir chaque mot sans avoir à monter le volume. «Aline, vos projets sont vos problèmes», ma-tandis lancé André, mon fils, en me regardant dun air dubitatif. «Vous ne mavez même pas demandé mon avis, et maintenant»

«Cest vous qui nous avez poussés à vous amener Sébastien, le petit!» a répliqué Aline, les dents serrées. «Je ne comprends pas, quelle sorte de grandmère êtesvous? Vous ne pouvez pas garder votre petitfils, ni le conduire à la maison de campagne. Jamais une seule fraise ne nous est venue, vous ne faites que venir les mains pleines de caisses! Pourquoi un tel «grandmère» quand il y a déjà une autre, plus normale?»

Je me suis crispée, la main pressée contre mon cœur, et jai exhalé un souffle saccadé. Je sentais bien le soustexte: «soit vous mapportez mon petitfils, soit je ne le verrai jamais». Un chantage sournois, pourtant, je ne voulais pas me laisser intimider.

Il y avait du vrai dans les propos dAline, si lon se cantonne aux faits. Mais elle retournait chaque situation à lenvers.

Je commence par rappeler que la maison de campagne que je rêvais doffrir à Sébastien était rustique. Les toilettes étaient à lextérieur, la douche seulement en été. Javais un petit barbecue où, autrefois, mon premier époux faisait griller la viande, des chaises et une table en plastique. Modeste, certes, mais à mes yeux chaleureux, à la française.

Lorsque André ma annoncé quil voulait venir avec sa compagne pour le weekend, une inquiétude ma saisie. Javais déjà aperçu Aline: jolie, soignée, sûre delle, mais avec un brin darrogance, comme si elle évaluait tout le monde dun regard de haut. Dès la première visite, elle sest promenée dans ma demeure comme une inspectrice, mobservant du coin de lœil. Jai dû improviser une petite visite guidée, lui montrant mes statuettes et mes albums de famille.

«André, cest une bonne idée mais tu es sûr quAline aimera ça?», avaisje murmuré, craignant que mon petitfils ne convienne pas à leurs habitudes citadines. «Tu as grandi ici, toi. Aline, elle, nest pas habituée à ce genre de choses», aije ajouté, essayant de rester douce.

André ma rassurée en promettant dexpliquer tout à Aline. Moi, je nai pas voulu contester; je ne voulais pas quon dise que je refusais de les recevoir.

Je me suis préparée pendant deux jours, nettoyant, cuisinant des tartes, ressortant du soussol les provisions réservées aux occasions spéciales. Mon cœur battait la chamade, mais lanticipation dun moment heureux masquait mes angoisses.

Dès larrivée, tout a dérapé. Aline est sortie de la voiture en robe blanche et talons aiguilles, a scruté les lieux, puis a froncé le nez, le visage sassombrissant.

«Cest un toilettes, ça?», a-t-elle demandé avec dédain, pointant du doigt. «Oui dehors, mais propre, comme chez les gens», aije répondu, forcée de sourire. «Une vraie communion avec la nature, dans tous les sens du terme», a-t-elle raillé.

Le pire était encore à venir.

«Cest horrible on dirait lâge de pierre», sest plainteelle à André. «Tu tes lavé à la cuve toute ta vie? Il y a tellement de moustiques quon ne sort même pas du véhicule! Et lodeur» André a haussé les épaules, prétextant que les poules des voisins étaient responsables.

Sa voix haute me submergeait. Jétais la mauvaise hôte, malgré tous mes efforts. «Peutêtre quelle sy habituera», me suisje dite, sachant que la distance entre eux et moi était de plusieurs heures de route, suffisante pour envisager un weekend complet.

Mais Aline na pas tenu plus dune journée. Après une nouvelle piqûre de moustique, elle, exaspérée, est retournée à la voiture.

«Cest fini! Tu me ramènes chez moi ou jappelle un taxi! On ne peut pas vivre ici!», a-t-elle lancé à André. Il a quitté rapidement, ma embrassée dun baiser maladroit et est reparti.

Jai essayé de justifier leurs réticences par linconfort du cadre. Ce nétait pas facile, même pour moi qui peinais à madapter à ce mode de vie. Mais je nai pas claqué de portières, je nai pas fait de scène; cétait à André de décider.

Six ans ont passé. Aline et André se sont mariés, ont eu un petit garçon nommé Sébastien. Le lien entre ma bellefille et moi reste tendu, mais jespère encore toucher le cœur de mon petitfils, même si nous vivons dans des villes différentes. Un jour, jai proposé :

«Aline, amenez Sébastien chez moi. Jai un potager, la rivière à côté, lair pur»

«Où? Dans ce taudis? Mieux vaut le garder à la maison,», a rétorqué Aline, condescendante. Elle a même suggéré de menvoyer les fruits une fois par été, se rappelant mon orgueil de «ne plus avoir de cerises à offrir».

Ces mots mont blessée jusquaux larmes, mais je ne me suis pas disputée. Faire transporter des cerises sous le soleil brûlant, ce nétait pas raisonnable. Jai simplement voulu partager un moment avec mon petitfils.

Lannée suivante, ma santé a basculé. Mes journées sont désormais partagées entre hôpitaux, perfusions et longues files dattente à la polyclinique. Une opération récente minterdit de sortir sous le soleil et de soulever des charges.

«Prenez cela au sérieux», ma conseillé le chirurgien. «Avec votre cœur, vous devez rester à labri, pas de grands efforts, juste de petites promenades.»

Le plus douloureux, cest que mon fils nest jamais venu me rendre visite, même quand jétais à lhôpital. Nous nous appelons, mais cest tout. Je passe plus de temps avec mon amie Valérie, qui ma même aidée financièrement. Lorsque Valérie a appris que la maison de campagne nétait plus adaptée à mon état, elle a proposé :

«Écoute, je peux parler à leurs parents. Ils veulent partir cet été, mais leurs vacances sont maigres, et la mer costée nest plus bon marché. Ce nest pas un plaisir gratuit, mais je peux les aider.»

Jai accepté avec gratitude ; chaque centime compte.

Quand jai enfin pu me lever, Aline a finalement changé davis. Elle a dit que les projets de vacances navaient plus dimportance.

«Je tai proposé cela il y a un an, Aline. Deux mois plus tard, les gens commencent les marathons! Vous avez la chance de rester à la maison, pendant que dautres doivent travailler,», a-t-elle insisté. «Prenez Sébastien chez vous, sinon à lappartement!»

«Dans un autre immeuble citadin? Quel sens?», aije rétorqué, épuisée. Elle a répliqué que cela nous permettrait de profiter ensemble, alors que jamais depuis la naissance de Sébastien nous navions été seuls.

«Aline, tu mentends? Le petitenfant demande une attention constante, et moi je rampe à peine dans la maison.», aije implosé. «Vous avez simplement la flemme, admettezle», a-t-elle rétorqué.

Jai raccroché. Le dialogue était devenu inutile, épuisant. Je suis seule, et si je devais meffondrer, Aline ne viendrait pas pour maider.

Le soir, André ma appelé, sexcusant pour le comportement dAline, et ma demandé sil était possible de prendre Sébastien chez lui. Les larmes ont monté, comme une petite fille blessée.

«André dismoi la vérité, tu as dit à Aline que jai été opérée?», aije exigé. «Comment astu pu»

«Maman je tai juste dit que tu étais malade. Je ne savais pas que cétait si grave.», a balbutié André, son silence me serrant le cœur.

«Je vois», aije murmuré.

Trois jours de silence lourds ont suivi. Le temps semblait sarrêter. Même mon fils ne ma plus écrit le soir pour demander comment sétait passée ma journée.

Le quatrième jour, Valérie ma appelée :

«Et si on venait à ta maison de campagne? Personne ne viendra avant le weekend, il fera frais, on pourra discuter autour dun thé.»

«Oui, sil te plaît,», aije répondu, le cœur griffé, désireuse davoir la moindre compagnie.

Nous avons préparé du thé, ouvert la boîte de pâtisseries que Valérie avait apportée. Nous avons parlé, et jai tout raconté à mon amie.

«Tu sais, ils ont leur vie maintenant. Ne te déchire pas le cœur, vis comme tu le sens. Jai toujours été là, au moins. Peutêtre que tu rencontreras un petit homme pour partager tes soirées, ou que tu te consacreras enfin à toi-même. La santé, cest précieux, ne la sacrifie pas pour des rancœurs.», ma consolée Valérie.

Jai respiré profondément, rapprochant la boîte de gâteaux. Au fond de moi, la douleur persiste, mais je sais que je fais ce qui est juste. Je ne me plie pas aux exigences des autres au détriment de ma santé. La vie, avec ses hauts et ses bas, continue, même sans eux.

Geneviève.

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