Tu es toujours à mes côtés

Tu sais, Victor Dupont était malade depuis longtemps, un vilain cancer qui le rongeait. Chaque jour se ressemblait: gris, délavé, rempli de douleurs et de pilules amères. Il supportait tout dignement, le regard fixé sur le plafond de la salle dhôpital, juste pour ne pas voir les yeux mouillés de sa femme Irène et de leur petite Lilou, qui, à bout de forces, sefforçaient de lui afficher un sourire lors de leurs courtes visites. Puis le moment est arrivé où tout est devenu clair: la fin était proche. Il a jeté un œil à la perfusion et au plafond fissuré, et une seule pensée tournait dans sa tête: «Cest le début de la fin. Je ne rentrerai plus à la maison.»

Dans lhôpital, son état a brusquement empiré. La maladie, telle une bête enragée, a donné le coup de grâce. Le monde sest réduit à la taille de la chambre, à lodeur dantiseptique et aux voix étouffées derrière la porte, puis il a disparu, englouti par une obscurité lourde et sans oxygène.

Et soudain le silence.

La douleur sest éteinte, jusquà la dernière goutte. Ce poids étouffant qui compressait sa poitrine et ses os depuis des mois a disparu. Il a senti un soulagement presque enfantin. Il a pris une grande respiration la première vraiment libre depuis des mois. Puis il a ouvert les yeux.

Il se tenait dans son salon. Un rayon de soleil jouait sur la poussière en suspension, éclairant le vieux canapé familier. Et là, il les a vus.

Lilou, sa fille, serrait Irène dans ses bras. Les épaules de Lilou tremblaient, le visage dIrène était déformé par une tristesse muette et terrible. Elles criaient, hurlaient à pleins poumons, mais le son arrivait à Victor comme à travers une vitre épaisse: étouffé, lointain.

«Questce qui se passe?», sest figé dans sa tête Victor Dupont. «Pourquoi pleurentelles? Je suis à lhôpital comment suisje arrivé ici?»

Il a avancé, voulant les enlacer, les réconforter, poser des questions. Mais elles ne lont pas remarqué. Il a tendu la main vers lépaule de sa fille, mais ses doigts ont traversé lair, ne rencontrant que la fraîcheur dun vide.

Paniqué, il a reculé, et cest alors quil a aperçu sur la table une grande photo encadrée dun noir de deuil.

Il na fallu quune seconde de plus pour que le puzzle forme une image horrible et impossible: les larmes de sa femme et de sa fille. Et lui, là, invisible et intangible. Il nétait pas chez lui. Il était après. Il voyait ce qui se passe après.

«Je suis mort? À lhôpital et on ma déjà enterré?»

Cette pensée était monstrueuse, mais elle ne laissait aucun doute: cétait la vérité. La maladie lavait achevé. Le «fin» était arrivé. Mais pourquoi étaitil encore là? Pourquoi sentaitil, voyaitil, comprenaitil encore?

Il fixait les deux personnes qui lui étaient les plus chères, et son cœur ou ce quil en restait se déchirait dimpuissance et de pitié. Il aurait voulu crier: «Je suis ici! Ça va bien! Ça ne me fait plus mal!», mais aucun son ne sortait.

Désespéré, il a couvert son visage de ses mains. Et alors, un miracle sest produit. Un bruit, semblable au ressac, sest tus. Il a senti sur sa joue une petite paume, chaude. Il a rouvert les yeux.

Devant lui se tenait sa mère, telle quil se souvenait delle dans son enfance: jeune, souriante, avec des yeux qui lançaient des éclats de bonté. Derrière elle, pas son ancien domicile, mais un champ infini baigné dune douce lumière dorée, tapissé de bleuets, ses fleurs préférées.

«Maman?», at-il murmuré. «Cest toi? Mais comment?»

«Tout va bien, mon petit Victor,» a répondu dune voix tendre, presque familière. «Tout est fini. Tu es libre maintenant. Tu voulais simplement leur dire au revoir.»

Il sest retourné, et la pièce avec les deux femmes en pleurs séloignait lentement, comme une image qui se dissout dans la lumière.

«Mais elles», at-il commencé, la voix tremblante.

«Elles sen sortiront. Elles ont lune lautre et lamour que tu leur as laissé, il restera avec elles à jamais. Et ta douleur? Cest fini. Tu mérites le repos.»

Sa mère a doucement pris sa main. Son toucher était réel, vivant. Il a plongé son regard dans le sien et y a vu une compréhension infinie, un pardon absolu.

Plus aucune peur. Plus aucune once de cette vieille douleur épuisante. Seulement une légère tristesse qui se dissipait comme la brume du matin au soleil, laissant place à une nouvelle sensation, inconnue mais dune sérénité infinie.

Victor Dupont sest retourné une dernière fois. Là, dans ce monde qui seffaçait, sa femme et sa fille se sont enfin regardées, ont pressé leurs fronts lune contre lautre, trouvant dans ce contact la moindre étincelle de réconfort.

Il leur a souri, leur a envoyé un dernier bénédiction, puis sest tourné vers la lumière.

«Allonsy, Maman,» at-il chuchoté. «Tu mas tellement manqué.»

Et il a fait le premier pas dans son éternel matin.

Dans la pièce où étaient restées les deux personnes quil aimait le plus, un phénomène inexplicable sest produit. Irène a soudain cessé de pleurer, sest redressée, a posé sa main sur son cœur comme si elle écoutait quelque chose.

«Maman, questce qui tarrive?», a demandé, effrayée, Lilou.

«Je ne sais pas», a balbutié Irène. «Je sens une paix, une chaleur, comme si papa venait de nous enlacer et de nous dire que tout va bien.»

Elles ont tourné les yeux vers la photo encadrée. Et toutes deux ont cru voir sur le visage fatigué mais bienveillant de Victor Dupont émerger un sourire léger, presque imperceptible. Le poids qui remplissait la pièce sest dissipé, laissant place à une douce mélancolie, dépourvue de désespoir, remplie dune gratitude infinie pour les années partagées.

Morale: la mort nest pas la fin. Cest simplement un adieu tranquille dans un monde pour pouvoir renaître dans un autre. Lamour, cest le fil qui relie ces deux mondes. Il ne se rompt jamais, il vit dans nos souvenirs, dans les plus tendres souvenirs, dans les traits de nos enfants et petitsenfants, dans le doux murmure de la pluie que lon aimait écouter.

Ceux quon perd ne partent jamais vraiment. Ils reviennent simplement à la maison, nous laissant leur amour comme consolation, comme lespoir de nous retrouver un jour, là où il ny a plus de douleur, plus de larmes, seulement la lumière et la paix. Tant que lon se souvient et que lon aime, ils restent vivants: non pas dans une urne, mais dans chaque rayon de soleil qui perce les nuages, dans chaque geste de bonté fait en leur honneur.

Ils se retournent, nous sourient à travers linvisible et murmurent: «Vis. Sois heureux. Je suis près de toi. Je suis libre. Et tu surmonteras tout.»

P.S. Mon cher papa, je taime tellement et je ne toublierai jamais! Sache que tu es toujours à mes côtés.

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