La Deuxième Jeunesse

Jeudi 22octobre2025

Aujourdhui, je repense à mes vingtsix années de mariage avec Vincent. Nous nous sommes rencontrés à luniversité de Lyon, avons épousé peu après la remise de nos diplômes et, deux ans plus tard, notre fils Lucas est né. Tout était très classique: une petite famille stable, des repas partagés, les vacances à la campagne.

Lorsque Lucas a grandi, sest marié et a déménagé avec sa femme à Paris, notre quotidien a basculé. Le silence sest installé entre nous comme un voile épais. Nous nous connaissions par cœur, comprenions les demiphrases, les regards, mais il ne nous restait plus rien à dire. Nous nous contentions déchanger quelques mots avant de replonger dans le mutisme.

À mes débuts au bureau, il y avait une collègue denviron quarantecinq ans, nommée Mireille. Malgré son âge, elle paraissait vieille à mes yeux, tant son visage était bronzé. Chaque hiver, elle partait en congé et revenait toujours avec un teint hâlé. Sa coupe garçonne, ses cheveux blonds très courts accentuaient son bronzage.

«Elle doit sûrement aller en cabine de bronzage,» chuchota ma jeune collègue, Élise, en riant.

Un jour, limpatience ma poussée à lui demander comment elle obtenait ce bronzage en plein hiver.

«Nous sommes allés à la station de ski de Chamonix avec mon mari,» a-t-elle répondu, un éclat de malice dans les yeux.

«À votre âge?», aije rétorqué, surprise.

Mireille a éclaté de rire.

«Quarantecinq ans, ma chère. Quand on atteint cet âge, on découvre la vraie jeunesse: pas de naïveté, mais une maturité qui rend la vie plus savoureuse. Souvienstoi, lennui est le pire ennemi du couple. Cest souvent par ennui que naissent les infidélités, les séparations. Quand les enfants grandissent, la routine sinstalle, et les hommes, parfois, perdent le fil. Nous, les femmes, navons pas le temps de nous ennuyer; nous travaillons, nous nous occupons des enfants, des tâches ménagères pendant que les hommes se prélassent sur le canapé, cherchent à dépenser leurs forces inutilisées, souvent en cherchant une nouvelle aventure.

Jétais naïve: je pensais que mon mari était simplement fatigué, quil ny avait rien de mal à le voir regarder la télévision, à ne pas boire, à ne rien faire. Pendant ce temps, je tournais la maison comme un fer à repasser. Puis, un jour, il ma annoncé quil aimait une autre femme, quil sennuyait avec moi, et il est parti. Imagine!

Quand je me suis remariée, jai changé ma façon dêtre. Jai impliqué Vincent dans les tâches domestiques, nous partions le weekend à la campagne, lhiver nous faisions du ski. Je ne le laissais jamais se reposer sur le canapé. Aujourdhui, nous vivons toujours ensemble, nos enfants sont grands, et nous traversons la France en voiture. Ce nest pas pour tout le monde, mais chaque expérience a son enseignement.

Je nai jamais oublié les paroles de Mireille. Récemment, jai remarqué que Vincent, après le souper, se dirigeait sans effort vers le canapé, le téléviseur allumé. Il devient de plus en plus difficile de le faire sortir de la maison. Avant, il partait en randonnée, descendait les rivières en kayak. Il organisait même des surprises pour mon anniversaire!

Jai essayé de le secouer: billets de théâtre, croisière sur la Côte dAzur à bord dun paquebot à trois ponts. Au théâtre, il somnolait. En navigation, il bâillait après deux verres de vin, pressé de retourner à son cher canapé. Sur le bateau, la petite cabine le faisait crouler. Le ski, plus question: un ventre qui salourdit et la réticence à leffort.

Quand je lui ai proposé daller au cinéma, il ma lancé, les yeux tristes:

«Où memmènestu? Je veux juste me reposer ce weekend, dormir. Va avec tes amies.»

Au début de notre vie commune, Vincent faisait des sorties en groupe avec des amis amateurs de rafting et de kayak sur les rivières tumultueuses. Il jouait de la guitare, chantait bien. Jamais je nai pu les rejoindre: le travail, une grossesse, le petit Lucas…

Ma mère ma souvent avertie: «Ne le laisse pas partir trop souvent, il pourrait y rencontrer une compagne.»

«Il na pas besoin de partir pour tromper», aije rétorqué. «Je lui fais confiance.»

Et jai vraiment cru en lui, même quand les expéditions se sont arrêtées parce que nos amis ont fondé des familles.

Un dimanche, je me suis glissée sur le canapé avec Vincent et un album photo. Dabord à contrecoeur, puis, à mesure quil feuilletait les images, il a commencé à sourire.

«Tu ne veux pas revivre un peu de cette jeunesse?», aije demandé.

«Non, qui voudrait? Tout le monde a ses occupations, ses petitsenfants.»

«Avec moi! Je nai jamais participé à tes randonnées. Organisetoi, invite tes anciens compagnons, peutêtre quils accepteront.»

«Nous étions jeunes et fous, maintenant nous sommes», at-il commencé.

«Plus sages?», aije répliqué avec un sourire sarcastique. «Allons au théâtre ce weekend, passons un moment culturel,» aije conclu en refermant lalbum, soulevant un nuage de poussière.

Vincent a réfléchi. Un soir, à table, il a dit:

«Jai parlé à Marc, il pourra nous préparer un itinéraire, il a encore des tentes. On peut louer un raft au club.»

Jai vu une étincelle dans ses yeux, et cela ma réjouie. Il semblait enfin intéressé par une nouvelle aventure.

Il ma toutefois prévenu:

«Tu sais, Camille, cest dur la première fois. La rivière, les rapides, les moustiques, dormir à même le sol dans des sacs de couchage, pas de douche, pas de toilettes Tu reviendras sûrement le premier jour.»

«Je nabandonnerai pas,» aije promis.

Il ma taquinée, regardant ma manucure, mes pantoufles en fourrure, mon peignoir à motifs doiseaux exotiques: «Il faut téquiper correctement, pas en talons.»

Nous sommes allés dans les magasins ensemble. Il ne laissait pas mes yeux se perdre dans les maillots et les robes dété.

«Je te connais, tu achèteras des maillots, mais pour la randonnée il faut des vêtements chauds et des chaussures solides.»

Je me suis soumise à ses conseils. En quelques jours, nos sacs à dos étaient prêts.

«Enfileles, je veux voir comment tu te débrouilles,» mat-il ordonné.

Je peine à porter le sac, je me plie sous son poids, je sens la fatigue envahir mes épaules. Il ma alors fait déposer le sac: «Montremoi ce que tu as vraiment,»

Il a sorti des bigoudis, une trousse de maquillage, un sèchecheveux, des flacons de crème, des tenues de terrasse rien dutile pour la montagne.

«Les moustiques vont rire de toi,» at-il conclu. «Peutêtre que tu préfères rester à la maison?»

Désemparée, jai observé Vincent retirer tout le superflu, ne garder que lessentiel. Le sac est devenu plus léger.

«Je peux le faire,» aije déclaré, le cœur gonflé despoir.

Je repensais à toutes les fois où javais tenté de lattirer vers le théâtre, le musée, le concert. Il avait cédé au début, puis repartait à ses vieilles habitudes. En tant que femme et compagne, je devais être à ses côtés, dans la joie comme dans ladversité.

Plus nous nous approchions du départ, plus le doute me rongeait. Nous étions à la gare de Lyon, entourés de trois autres hommes et dune femme, prêts à prendre le train vers le Massif Central.

«Tes amis sontils tous divorcés?», aije demandé à voix basse.

«Non, leurs épouses sont avec leurs petitsenfants,» at-il répondu.

Le trajet en train fut animé: les hommes racontaient des anecdotes, Vincent grattait les accords de sa guitare. Je me suis surprise à penser que je survivrais à ce périple.

Mais dès que nous avons quitté la gare, le sac a commencé à me faire mal au dos, mes jambes tremblaient, je transpirais à grosses gouttes. Javais honte de me plaindre, alors que les autres transportaient leurs sacs, leurs tentes, leurs matelas gonflés.

Le paysage était splendide, pourtant je ne voyais rien dautre que le chemin sous mes pieds, craignant de trébucher ou de me blesser. Arrivés au bord de la rivière, jai eu envie de mallonger sur lherbe et de ne plus bouger. Les hommes ont rapidement allumé le feu, dressé les tentes, comme sils navaient jamais connu la fatigue.

«Tu thabitueras,» ma encouragée Sophie, lépouse dun des hommes. «Allons chercher de leau, il faut préparer le dîner.»

Les larmes me montèrent aux yeux: je voulais rentrer chez moi, prendre une douche chaude, reprendre mon lit moelleux. Mais laventure ma prise. Vincent jouait de la guitare près du feu, chantait dune voix profonde et émouvante. Jai soudain revu le jeune homme dont je suis tombée amoureuse, plein de vie.

Le lendemain, il ma demandé:

«Tu ne comptes pas fuir?»

«Non,» aije répondu, déterminée.

Devant les rapides, le bruit de leau me faisait frissonner. Jai pensé à rester sur la berge, mais le regard complice de Vincent ma donné le courage. Je me suis agrippée aux bords du radeau, ignorant les pagaies, craignant de sombrer dans le froid.

Lorsque les rapides ont cédé, jai poussé un cri de joie, plus fort que jamais.

Une semaine plus tard, nous sommes revenus, épuisés mais le cœur rempli de souvenirs. Jai réalisé que la camaraderie, les chants autour du feu, lair pur et le silence des montagnes me manqueraient longtemps.

Après la douche et un dîner copieux, nous nous sommes assis près de lordinateur, feuilleté les photos, nous taquinant comme au premier jour. Ce trek nous a rapprochés, nous a donné des intérêts communs. Nous nous sommes endormis enlacés, comme lors de notre première nuit de noces.

«Lannée prochaine, on repart?» aije chuchoté, blottie contre le côté chaud de Vincent.

«Tu as aimé?», a ri Vincent. «Ce nest pas un théâtre ou un restaurant, cest la vraie vie.»

«Je sais maintenant comment préparer, tu ne seras pas embarrassé,» aije promis.

«Pas du tout. Pour une débutante, tu as été exceptionnelle.»

Ces mots mont fait rougir.

Quand notre fils ma appelée, je lui ai raconté laventure dun trait.

«Vous avez une vie mouvementée, je pensais que vous seriez tristes,» ma-t-il dit.

«On sennuie parfois, et vous?»

«Nous attendons notre deuxième enfant, une petite fille,» a-t-il annoncé avec joie.

De retour au travail, je suis revenue avec les yeux brillants, un bracelet en corde à perles offert par un ami chamane lors du trek.

«Vous avez fait du ski? Vous navez pas lair bronzée,» a commenté ma collègue Amélie, en pointant le bracelet. «Cest joli,» at-elle ajouté.

«Cest un talisman de protection,» aije répondu.

Alors, si vous cherchez à raviver la flamme, ne restez pas enfermés; partagez les passions de votre partenaire. Ce nest pas pour tout le monde, mais il suffit parfois dun petit défi pour retrouver létincelle. Comme le disait un auteur : «Il ne faut pas regretter les efforts quand on veut sauver lamour. Et parfois, les plus grands voyages ne mènent pas aux sommets lointains, mais au cœur même de ce quon croyait perdu.

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