«Il faut que tu viennes chez moi avec ton mari,» dit sérieusement Madame Sophie André, «pour laver les fenêtres et balayer les tapis!»
«Quelle proposition intéressante,» répond Clémence avec un sourire en coin, «mais je vais décliner!»
«Clémence, questce que tu fais?» demande Victor, visiblement désemparé. «Il faut aider ta mère!»
«Non, pas du tout!» affirme Clémence, balayant le sourire de son visage.
«Comment ça, pas du tout?» sembrouille Victor. «Cest ta mère, après tout!»
«Victor, ça fait neuf ans que nous sommes mariés! Tu doutes vraiment de ma lucidité?» lance Clémence, les yeux dans les yeux.
«Pas du tout,» répond Victor en désignant maladroitement la bellemaman. «Il ny a rien à expliquer, une mère cest une mère!»
«Pourquoi ne pas aider ta mère si elle demande de laide?» interroge Victor.
«Tu as entendu la moindre requête dans ses paroles?» demande Clémence. «Elle a clairement indiqué ce quon doit faire! Nous lui devons cela!»
«Oui, nous devons!» sexclame Sophie André. «Tu es ma fille, il est mon gendre! Mais le gendre paiera moins! Quant à ma fille je tai mise au monde, ça implique que tu ne peux pas abandonner ta mère dans le besoin!»
«Mmm,» réfléchit Clémence. «Je peux!»
«Et alors, quelle sorte de fille estu?» sécrie Sophie André.
«Exactement comme toi, maman!» rétorque Clémence.
«Clémence, quel honte!» sindigne Victor. «Comment osestu répondre si brutalement à ta mère?»
«Jai tout mon droit moral!Si tu ne sais pas tout, je ne soulèverais pas la voix contre mon épouse!»
«Clémence,» fait Victor une tête sérieuse. «Je ne sais peutêtre pas tout, mais il faut respecter sa mère! Aider ses parents, cest obligatoire! Linsolence, cest inadmissible!» Il tourne son regard vers la bellemaman. «Sophie, pardonnezmoi pour son attitude! Nous passerons ce weekend chez vous et ferons le travail!»
«Non, nous ny allons pas!» frappe Clémence du poing sur la table.
«Très bien, jirai seul!» répond Victor, prenant les rênes comme chef de famille.
«Si tu vas chez elle, tu ne reviendras peutêtre plus!» lance Clémence, puis se détourne.
«Exactement,» hoche la tête Sophie. «Ma fille est vraiment exceptionnelle!»
«Cest bien moi!» réplique Clémence en se tournant vers sa mère. «Pourquoi nastu pas demandé à Thérèse de laver les fenêtres et de balayer les tapis?»
«Qui est Thérèse?» interroge Victor.
«On ta dit que tu ne sais rien!» ricane Clémence. «Et voilà, Thérèse, cest ma sœur aînée, ma vraie sœur!»
«Maman, pourquoi ne pas demander à Thérèse?Elle ne doit pas le faire parce que je te pique le nez?» senfle Clémence.
Victor regarde sa bellemaman, qui rougit sans répondre.
«Quoi, ma petite?» souffle Clémence, moqueuse. «Tu nas plus de mots?Je vais taider à en trouver, sinon Victor reste dans le doute!»
«Ma mère ne sadresse pas à Thérèse, parce que Thérèse la rejetée il y a six ans, lorsquelle sest mariée!»
«Cétait à ce moment, Victor,» insiste Clémence, soulignant le nom du mari, «que ma mère a voulu revenir dans la vie de son autre enfant! Cest à ce moment que tu las rencontrée!»
«Ah, oui,» ricane Victor. «Personne na parlé delle jusquà ce quelle revienne il y a six ans! Je pensais même que tu navais pas de mère, ni de beaupère.»
«Ton attention déchire!» éclate Clémence. «Je navais pas de mère, puis elle apparaît. Tu nas même pas demandé comment cest arrivé!»
«Je comptais le faire, mais jai été distrait,» bafouille Victor. «Puis la communication a repris, mais je ny ai pas prêté attention.»
«Veuxtu que je texplique tout?» propose Clémence avec enthousiasme.
«Non, pas besoin!» crie Sophie André.
«Questce qui se passe, maman?Tu as honte?Ta conscience sest réveillée?»
«Il na pas besoin de savoir!Et ça ne le regarde pas!»
«Comment ça ne le regarde pas, sil veut laver les fenêtres et balayer les tapis?Ça le regarde!» réplique fermement Clémence. «Je veux quil comprenne pourquoi je refuse!»
Quand les parents divorcent, ce sont dabord les enfants qui en souffrent. Le traumatisme existe, mais seuls des parents raisonnables peuvent latténuer. On peut convenir de rencontres sans ressasser le passé ni raviver danciens conflits. Les enfants gardent limage de leurs parents aimés, même si celuici ne vit plus sous le même toit. Comprendre, à leur âge, pourquoi les parents ne vivent plus ensemble reste parfois difficile, mais il faut préserver leurs relations humaines.
Les parents de Clémence et de Thérèse ne se posent jamais ces questions. Leur seul souci est de se séparer.
«Je ne paierai pas de pension alimentaire!», déclare Sophie.
«Ce nest pas ma volonté, mais la loi lexige,» réplique Sébastien.
«Peu importe!Si on me prélève sur mon salaire, tu me rendras tout!»
«Exactement, cest pour les enfants!»
«Alors nourris tes propres enfants!», hurle Sophie.
«Mais ce sont aussi tes enfants!La responsabilité parentale se partage!»
«Je ne veux rien entendre!Pas à propos de toi, des enfants, de la pension!», gesticule Sophie, furieuse.
«Expliquele au juge!»
Le divorce doit commencer dans deux jours, mais la situation est loin dêtre ordinaire. Sophie quitte non seulement son mari mais aussi leurs deux enfants : deux filles de quatre et dix ans. Elle se soucie surtout du montant de la pension à payer.
Sébastien, bien quayant un bon revenu, aurait pu se passer de ces paiements. Il naime pas quon lui impose des obligations, surtout de la part dune exépouse. Il veut simplement libérer ses filles de linfluence hystérique de leur mère.
Sophie ne donne aucune explication, elle joue la carte du renversement. Elle persuade la fille de dix ans, Thérèse, de dire quelle veut vivre avec sa mère, alors quelle ne supporte plus aucune sœur.
Le juge confie la plus jeune à Sébastien, laînée à Sophie. Ainsi se clôt le jugement.
Sébastien repart avec une phrase :
«Jai bien dit que je ne te paierai rien!»
Il ne se dispute pas, même sil aurait aimé garder les deux filles. Thérèse, sous linfluence de sa mère, a lancé des accusations à son père et à sa sœur pendant laudience.
Il est clair que la petite nest pas responsable ; elle ne répète que ce que sa mère lui a inculqué. Sa mère, Sonia, lentraînera bientôt à faire de même.
Sébastien perd une fille, mais il en garde une autre, dont il nest jamais déchargé de la responsabilité. La perte de Thérèse le pèse.
Plus tard, il tente de retrouver Thérèse, mais Sophie len empêche. Lorsquil la surprend près de lentrée, elle léloigne tellement quil ne veut plus croiser le regard dun passant.
Depuis le divorce, Clémence nentend plus parler de sa mère ou de sa sœur depuis vingt ans. Étrangement, elle ne pleure pas.
Sébastien, père aimant, a toujours mis tout son cœur dans léducation de sa fille. Clémence peut dire quelle a eu une enfance heureuse, une jeunesse magnifique, et quaujourdhui elle vit une vie épanouie.
Elle na jamais imaginé que sa mère reviendrait à sa porte. La conversation se déroule comme si elles ne sétaient séparées que la semaine dernière, et cela la décourage tellement que Clémence linvite chez elle, présente son mari, même son petitenfant à la grandmère. Elle écoute calmement les histoires de sa mère, qui ne raconte que les nouvelles du moment et les petites difficultés.
Après leur échange, elles se séparent. Ce nest qualors que labsurdité de la situation frappe Clémence, qui téléphone immédiatement à son père.
«Je ne tai jamais parlé delle, ni du bon, ni du mauvais. Je ne dirai rien de plus,» dit Sébastien. «Je tai élevée comme une fille intelligente. Jespère que tu comprendras pourquoi elle est revenue et ce quelle veut réellement.»
«Je ne mattendais pas à une autre réponse,» répond Clémence. «Merci, papa.»
«Et si besoin, appelle!», conseille Sébastien. Il doute que Sophie ait pu changer pour le mieux, mais ne veut pas en parler.
Après la conversation, Clémence se calme. Son père a toujours eu cet effet apaisant. Apaisée, elle réfléchit. Les recherches dil y a vingt ou trente ans pouvaient être pénibles ; aujourdhui, il suffit de quelques clics. Elle travaille comme développeuse informatique, capable de fouiller les archives comme personne.
Elle ne trouve rien de particulier sur sa mère : deux mariages, un divorce, deux enfants elle et Thérèse. Pour en savoir plus, elle interroge son père, qui ne donne que son âge. Sophie possède plus dinformations, mais les livre comme lors dun interrogatoire : quelques faits découverts, mais rien de plus.
«Études, travail, mariage, déménagement chez le mari»
Clémence découvre que Thérèse a étudié la géographie. Deux universités de la région proposent ce cursus. Elle cherche le profil de Thérèse sur les réseaux, la contacte, propose une rencontre.
«Tu viens donc me voir!» affirme Thérèse. «Pas surprise, elle ne peut pas se débrouiller toute seule, elle a besoin dune victime!»
«Qui?» demande Clémence, perplexe.
«Une victime!Cest la personne sur laquelle elle sappuie pour faire pousser son agenda!Je ne suis pas simplement mariée, jai fugué de chez elle!»
«Celui qui était prêt à mépouser, puis à me reprendre, voilà qui est parti!»
«Envoiela loin, oubliela, elle mentira tellement que tu ny arriveras jamais!Et à la fin, tu seras coupable!»
Clémence quitte la rencontre pensive, tirant la leçon suivante :
«Mieux prévenir que guérir!»
Si une mère veut communiquer, elle obtiendra ce quelle veut. Si elle se montre arrogante, elle recevra une réponse digne.
Il faut dire que pendant six ans, Sophie se contentait de simples conversations. Elle faisait de petites faveurs, comme le voisinage le fait parfois. Thérèse, de son côté, prévient :
«Si tu flanches ne seraitce quune fois, tu entres dans son réseau! Elle se moquera de toi jusquà ce que tu en perdes la raison. Elle a déjà poussé deux beauxpères à la folie pour sapproprier leurs biens.»
Clémence attend, mais finit par obtenir ce quelle voulait.
Clémence finit par obtenir du père le récit complet, quil ne raconte que lorsquelle lui parle de Thérèse. Une fois lhistoire rassemblée, elle attend le bon moment.
Victor reste bouche bée, observant la bellemaman. Il ne comprend pas, mais le visage de Sophie indique que Clémence dit la vérité. La femme devient pâle, le rouge du visage et les perles de sueur trahissent quelle nest plus une statue.
«Tu es encore prêt à aller chez elle pour travailler?» demande Clémence.
Victor secoue la tête.
«Très bien,» acquiesce Clémence, se tournant vers sa mère. «Maman, si tu veux une vraie relation humaine, même si tu ne le mérites pas, je ne ten priverai pas. Mais je ne tolérerai plus aucune exigence de ta part!»
«Comment osestu!» hurle Sophie. «Je suis ta mère!»
«Cest clair!» ouvre les bras Clémence. «Personne ne ta tiré la langue!Allezvousen!Et si tu reviens, jappellerai la police pour plainte de harcèlement!»
Sophie ouvre grand les yeux.
«Questce quon fait, les pieds sont déjà partis?Je peux aider?Des coups de pied magiques jusquà la porte!»
Sophie se redresse, le dos droit, et se dirige vers la sortie. Clémence, ne pouvant plus se retenir, crie derrière elle :
«Cours, espèce de»
Sophie semble prête à tout.
«Tu es vraiment douée avec elle!» lance Victor après la fuite de la bellemaman.
«Et questce quelle voulait?» hausse les épaules Clémence. «Vingt ans dabsence, puis elle surgit en criant que je lui dois quelque chose!Elle veut même un merci pour les coups de pied imaginaires!»
«Eh bien, maman,»
«Sur le papier, je suis ta mère, mais en réalité, je ne suis quune étrangère,» conclut Clémence, mettant fin à ce chapitre pour toujours.







