Un pas vers le changement

**Un pas vers le changement**

La salle denregistrement baignait dans une lumière blanche et uniforme, comme épuisée. Les néons au plafond diffusaient une clarté froide, sans chaleur. Derrière les larges vitres, le ciel gris de la fin mars semblait indécis, strié de traces de pluie séchées sur les carreaux. La file dattente serpentait entre les rubans de guidage, lente et morne. Les voyageurs avançaient par à-coups, les yeux rivés aux écrans daffichage ou à leur montre.

Élodie se tenait au milieu de cette foule, un petit bagage à roulettes devant elle et un sac en bandoulière. Quarante-cinq ans : lâge des équilibres fragiles. Tant de choses derrière elle, et devant, linconnu. Elle avait toujours pris ses décisions seule, mais ces derniers temps, cela lui coûtait. Ce voyage nétait pas un simple déplacement : elle déménageait. Un projet mûri, mais cétait maintenant que le pas devait être franchi. À Lyon, lattendaient un studio vide et un contrat précaire ; ici, elle laissait ses rues familières et quelques visages du passé.

La file progressait par saccades. Devant, un homme discutait ferme avec lagent au comptoir à propos dun excédent de bagages. Derrière, des bribes de conversation sur les correspondances. Élodie vérifia machinalement son téléphone un message de lagence immobilière restait non lu depuis deux heures.

Une femme dune soixantaine dannées se tenait derrière elle. Veste sombre boutonnée jusquau cou, écharpe soigneusement nouée, sac de voyage étiqueté dun logo aérien. Son regard errait entre les écrans et les visages alentour, calme en apparence.

Leurs yeux se croisèrent au moment où la file simmobilisa de nouveau.

Pardon Vous prenez quel vol ? demanda la femme à voix basse, inclinant la tête vers les écrans.

Élodie baissa les yeux vers son billet :

Celui pour Lyon Vol 248, départ ce soir. Et vous ?

Le même. Je narrive jamais à mhabituer à toutes ces formalités, répondit-elle avec un sourire tendu.

Un silence suivit, suffisant pour une première rencontre entre inconnus dans ce flot anonyme. Mais la file ne bougeait pas, et autour delles, les visages trahissaient fatigue ou indifférence.

La femme derrière Élodie se rapprocha légèrement :

Je mappelle Colette Désolée de vous déranger, mais je my perds toujours dans ces files dattente

Élodie esquissa un sourire :

Ce nest rien On est tous un peu perdus ici. Moi-même, je me sens étrangère à chaque fois.

La pause fut brève, mais ce simple échange sembla les soulager toutes deux.

La file avança de quelques centimètres. Dehors, la nuit tombait plus vite quelles ne lauraient souhaité. Mars cédait déjà la place à avril sans résistance.

Un nouvel écran afficha une annonce de retard : vingt minutes. Un soupir collectif traversa la salle. Certains cherchèrent des sièges pour sasseoir.

Élodie et Colette restèrent debout. Colette ajusta son écharpe comme pour rassembler ses pensées :

Jai longtemps hésité à faire ce voyage. Mon fils nécrivait plus, et je ne savais pas comment il me recevrait. Parfois, il semble plus simple de ne rien changer que de risquer dêtre rejetée à nouveau.

Élodie sentit le besoin de la soutenir, ne serait-ce que par un regard. Elle murmura :

Parfois, le changement est la seule façon de se sentir vivante. Moi aussi, jai peur de ne pas y arriver, que tout soit vain. Mais si on nessaie pas, il ne reste que les regrets.

Un silence. Lair devenait plus frais. Certains senveloppaient dans leurs écharpes.

Colette reprit, un peu plus fort :

Jai toujours cru quil fallait être forte. Ne rien demander, ne pas simposer. Mais maintenant, je comprends : la force, cest peut-être doser faire le premier pas, même quand on a peur.

Élodie la regarda avec gratitude :

Moi, jai toujours eu peur de paraître faible. Mais la faiblesse, cest peut-être de refuser le changement. Merci davoir dit ça.

La file séclaircit, mais une tension lasse planait encore. Entre elles, le silence nétait plus pesant, mais comme un lien invisible.

Colette consulta son téléphone un message non envoyé à son fils : *« Jarrive bientôt »*. Elle ajouta : *« Si tu veux me retrouver à la sortie, je serai heureuse. »* Elle hésita une seconde, puis appuya sur « envoyer ». Son visage sembla salléger.

Lembarquement fut annoncé. La foule sébranla vers la porte numéro neuf.

Peut-être quon se reverra ? demanda Colette, la voix tremblant légèrement.

Élodie sourit :

Pourquoi pas ? Si vous voulez écrire ou appeler

Elle griffonna son numéro sur un ticket de pub aérienne. Colette le nota dans son téléphone, puis létreignit brièvement :

Merci pour cette soirée

Elles se séparèrent au contrôle de sécurité. Devant la porte dembarquement, Élodie sarrêta un instant, regardant à travers les vitres les lumières des pistes. Elle respira profondément.

Elle sortit son téléphone, écrivit à un ami : *« Je pars. »* Un point final, sans hésitation. Puis un message au propriétaire de son nouveau logement pour confirmer son arrivée.

Colette, près de la passerelle, reçut une réponse de son fils : *« Je tattends. »* Elle redressa les épaules et avança sans se retourner.

Derrière elles, la salle se vidait peu à peu. Les voix séteignaient, ne laissant que le bourdonnement lointain des moteurs.

Chacune emportait son soulagement vers linconnu, au-delà de ces lumières artificielles, vers ce nouveau jour qui commençait derrière les vitres nocturnes de laéroport.

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