Je ne m’attendais pas à un tel retournement de situation

Clémence vit avec Antoine depuis plus de vingt ans. Depuis quelque temps, elle sent le froid sinstaller entre eux, et elle ne brûle plus damour comme avant.

« On parle bien de la crise du couple », se dit-elle, en se demandant si Antoine ne se serait pas laissé séduire par une autre. « Tout peut arriver, mais je ne veux pas que ce soit le cas »

À la maison, elle sennuie. Au travail, les collègues se plaignent eux aussi de leurs maris ; certains cherchent même un échappatoire ailleurs. Elle ne cautionne rien de tout cela, cela ne lui semble pas correct.

Un matin, avant de partir, Antoine lui demande :

« Achète-moi un parfum, le flacon est vide », montre-t-il le petit flacon à moitié vide, sourit et lembrasse sur la joue.

« Daccord, je passerai en chemin », répond-elle.

Après le boulot, elle se rend au Forum des Halles, où elle trouve immédiatement le rayon des parfums et achète le parfum pour Antoine, ainsi quun rouge à lèvres pour elle. En sapprochant de la caisse, elle veut payer en espèces ; quelques pièces glissent sur le sol. Elle se penche, ramasse les pièces à la hâte.

« Encore une pièce », linterrompt une voix masculine agréable.

« Gardezvous, merci », répond Clémence sans lever les yeux.

« On dit quen offrant une pièce, on donne son bonheur », réplique lhomme.

« On ne peut prendre le bonheur à qui nen a pas », soupire-t-elle.

Elle prend la pièce malgré tout, remercie linconnu, paie et sort du magasin. En se dirigeant lentement vers larrêt de bus, la même voix linterpelle.

« Excusezmoi, vous prenez le bus ? Je peux vous conduire. »

Une pensée fuse : « Cest encore lui », et sans vraiment réfléchir, elle accepte.

« Ce nest pas loin, je peux vous déposer », dit lhomme, qui sappelle Olivier.

Elle monte à lavant de la voiture, qui est garée juste à côté.

« Votre voiture est jolie et confortable. »

« Et surtout fiable », répond Olivier. « Enchanté, je suis Olivier, et vous ? »

« Clémence. »

« Enchanté, Clémence. Si vous navez pas la presse, on peut continuer à faire connaissance autour dun café, non ? »

« Pourquoi donc ? »

« Parce que vous avez parlé de bonheur »

Clémence rougit un peu, embarrassée. Elle a tout : un foyer, un bon travail, un mari, une fille adulte qui vient de finir ses études.

Olivier la regarde attentivement.

« Vous ne pouvez pas dire que tout est parfait à la maison, nestce pas ? »

« Et vous, avezvous une épouse aimée ? Si cétait le cas, on ne serait pas ici, dans cette voiture », répond-elle tristement.

Olivier hésite, puis avoue :

« Malheureusement, cest ainsi. Cest mon deuxième mariage, ma femme a dix ans de moins que moi, mais ça na pas fonctionné avec la première, elle ne voulait pas denfants. Avec la seconde, jimaginais une vie simple, des repas maison, des petits enfants mais rien na marché. Elle ne me rend pas tout ce que jattends, dune part à cause de la paresse, dautre part je ne sais pas pourquoi, elle ne veut pas et jai déjà quarantecinq ans. »

Ils passent rapidement du « vous » au « tu », parlent de livres, de films, damis, trouvent des points communs et la conversation devient vive.

« Je dois y aller », annonce Clémence en regardant lheure, « merci pour le trajet. »

Ils échangent leurs numéros et se promettent une prochaine rencontre, sans quelle ne souhaite vraiment poursuivre.

« Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée », répond Olivier, mais il comprend son silence comme un assentiment.

Le mari dAntoine nest pas encore rentré, donc elle na pas à justifier son retard. Le lendemain, vendredi, Olivier lappelle laprèsmidi.

« Tu me manques, quand pouvonsnous nous revoir ? »

« Après cinq heures, près du centre commercial », propose-til.

« Ne sois pas en retard, jattends avec impatience. »

Clémence sait quAntoine sera tard ce soir, il a prévu un « vendredi entre collègues » au café, et il a même mentionné un « boys night ». Elle attend la fin de sa journée et se précipite vers le rendezvous, se reprochant déjà son comportement, mais dès quelle voit Olivier, le remords senvole.

Ils passent une soirée merveilleuse, elle refuse les restaurants, préférant flâner dans les rues éclairées, sarrêter dans un parc près dun étang. Sous un grand tilleul, ils sembrassent sans prêter attention aux rares promeneurs. Clémence ressent une douce ivresse et sent quOlivier partage les mêmes sentiments.

« Ça fait longtemps que je ne vivais pas de tels moments, merci, Olivier », ditelle en se séparant, mais il ne la lâche pas.

De retour chez elle, Antoine est toujours absent ; elle se démaquille devant le miroir, se convainc que ce nest pas une trahison, quAntoine ne la remarque même pas.

Les rencontres secrètes avec Olivier deviennent son échappatoire. Elles varient : cafés, escapades à la campagne, chambres dhôtel, même quelques minutes folles sur la banquette arrière dune voiture. Des rendezvous brûlants, des séparations, puis des retrouvailles.

Six mois passent. Antoine ne soupçonne rien, toujours occupé. Clémence ne cherche plus à savoir pourquoi il rentre tard, cela lui convient. Elle et Olivier se manquent et commencent à parler de mettre un terme à la situation. Alors, un jour, Olivier lappelle :

« Jai une urgence à la maison. »

« Questce qui se passe ? »

« Ma femme est enceinte »

« Mais tu mavais dit »

« Oui, mais voilà, je ne peux pas labandonner même si je ne laime pas, le bébé compte pour moi. »

Pour Clémence, cest un coup dur. Elle croyait quOlivier était libre, quil quitterait sa femme pour elle.

« Qui aimestu vraiment ? » sécrietelle, le cœur brisé. « Je ne crois plus en rien. Étaitce avec moi ou avec elle ? »

« Je taime, Clémence, et je taimerai toujours mais je ne peux pas quitter ma femme maintenant. »

« Cest banal, je le sais questce que jattendais dune aventure avec un mari ? Je ne suis ni la première ni la dernière à être blessée. »

Olivier explique que sa femme a voulu un enfant, quil navait pas prévu cette tournure. Clémence, furieuse, sort de la voiture en hurlant :

« Je te déteste, tu es comme les autres ! »

Elle court à larrêt de bus, Olivier ne tente même pas de la retenir.

Les jours qui suivent sont cauchemardesques ; elle pleure, se cloître dans la salle de bain. Antoine remarque son état.

« Ma chérie, pourquoi ne pas partir en vacances ? On a besoin de reprendre des forces. »

Ils achètent un forfait pour les Côtes dAzur et partent à Nice. Le séjour les rapproche, elle réalise que son mari est le meilleur. De retour, elle change de carte SIM.

« Pourquoi ce changement ? » demande Antoine, méfiant.

« Je suis fatiguée de certains appels insistants », répondelle, et il fait semblant de croire.

Un an plus tard, elle croise Olivier dans un supermarché, lair affaissé, les enfants qui ne laissent pas dormir. Elle sourit, se dit que sa vie est désormais sereine, que la crise du couple est derrière elle, que tout va bien avec Antoine.

Elle est heureuse.

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