**Un Itinéraire Inconnu**
Quand la notification dune amende apparut sur lécran de son téléphone, Matthieu ne comprit pas immédiatement de quoi il sagissait. Il était assis à la table de la cuisine, les coudes posés sur le plastique froid. Lappartement senfonçait déjà dans les ombres du crépuscule, et dehors, les dernières neiges fondaient lentement, laissant sur lasphalte des taches humides et irrégulières. Routine du soir : vérifier les messages, parcourir les actualités. Puis vint cet e-mail du service dautopartage, avec pour sujet : *«Amende pour excès de vitesse.»*
Dabord, Matthieu crut à une erreur. La dernière fois quil avait utilisé une voiture en location remontait au début du mois un aller-retour vers un hypermarché en périphérie, et il avait bien fermé la session dans lapplication. Depuis, aucune réservation, aucun besoin de conduire : le télétravail était sa norme, et pour ses déplacements, il préférait la marche ou le bus. Son manteau, encore humide dune averse passagère, pendait près de la porte. Il navait même pas approché une voiture.
Il relut la notification trois fois. Lamende lui était bien adressée, avec une date et une heure précises : la veille au soir. Le message mentionnait une plaque dimmatriculation et un tronçon de route près de la gare, un quartier quil navait pas fréquenté depuis des semaines.
Lirritation remplaça la suspicion. Il ouvrit lapplication dautopartage. Lécran clignota, affichant le logo avant de charger péniblement la connexion, chez lui, était capricieuse le soir. Lhistorique des trajets indiquait une location la veille : début vers vingt heures, fin quarante minutes plus tard à lautre bout de la ville.
Matthieu étudia les détails. Lheure de départ coïncidait avec son dîner devant le journal télévisé, où lon parlait dune exposition internationale de technologie. Il cliqua sur *«En savoir plus»* le trajet se dessina sur la carte, les rues familières apparaissant en gris sous la ligne rouge.
Les hypothèses se bousculaient : un bug ? Un piratage de son compte ? Mais son mot de passe était complexe, et son téléphone ne quittait jamais sa poche ou sa table de nuit.
Il retourna à le-mail et repéra le lien habituel pour contester lamende le support promettait une réponse sous quarante-huit heures, sous réserve de preuves.
Ses doigts tremblaient légèrement de colère. Il rédigea un message dans le chat du support :
*«Bonsoir. Jai reçu une amende pour excès de vitesse liée à une location (n°), or je nai pas utilisé de voiture hier et étais chez moi. Merci de vérifier.»*
Une réponse automatique safficha, confirmant lenregistrement de sa demande.
Si lerreur persistait, cest lui qui paierait les règles du service engageaient lutilisateur. Il sen souvenait vaguement après une mise à jour des conditions lannée dernière.
Dans la pièce voisine, une latte de parquet craqua. Le chauffage avait été coupé la semaine précédente, malgré les soirées encore fraîches. Matthieu écouta machinalement les bruits de limmeuble : le ronronnement du réfrigérateur, des voix étouffées dans lescalier.
Lattente était angoissante. Pour soccuper, il parcourut à nouveau lhistorique et remarqua une anomalie : la location sétait terminée sans les photos habituelles de lintérieur du véhicule, normalement obligatoires.
Un sentiment dimpuissance grandissait face à ces algorithmes impersonnels. Aucun contact humain nétait possible seulement des formulaires et des réponses automatisées.
Matthieu nota les détails suspects sur un morceau de papier : lheure du trajet correspondait aux infos quil regardait, et le point de départ était un centre commercial à trois arrêts de bus de chez lui.
Il songea à appeler un ami avocat, qui lui avait parlé des difficultés à contester ce genre damendes sans preuves solides. Mais il préféra dabord rassembler lui-même les éléments.
Le lendemain, il se réveilla tôt, la nuit ayant été agitée. Aucune réponse du support. Il vérifia lheure du trajet fantôme et la croisa avec ses propres activités : son relevé bancaire montrait un paiement pour un repas vers dix-neuf heures, puis des échanges professionnels entre vingt heures trente et vingt et une heures pile pendant la prétendue location.
Il prit des captures décran et les envoya au support.
Lattente devenait plus supportable, mais Matthieu se sentait désormais comme un suspect devant prouver son innocence.
Le soir, un e-mail standard arriva : *«Votre demande est en cours Nous vous conseillons de porter plainte et de nous transmettre une copie pour accélérer lannulation de lamende.»*
Nouvelle étape bureaucratique.
Il se rendit au commissariat le plus proche. Peu dattente. Lagent écouta son récit et laida à rédiger une plainte pour utilisation frauduleuse de son compte.
De retour chez lui, Matthieu envoya les preuves au support, ainsi quune copie de la plainte.
Reste une question : qui avait utilisé son compte ?
Le matin suivant, la sécurité du service le contacta enfin et lui proposa de visionner une vidéo du début de la location.
Lenregistrement souvrit dans lapplication. Une caméra de surveillance près du centre commercial montrait une silhouette moyenne. Lindividu déverrouilla la voiture avec un téléphone, sinstalla au volant, ajusta sa capuche. Le visage restait caché, mais une chose était claire : ce nétait pas Matthieu.
Lattente reprit, pesante. Aucune nouvelle. Le support confirma la réception des documents et promit une réponse avant la fin de la journée.
Vers quatorze heures, le-mail tant attendu : *«Votre amende a été annulée suite à la confirmation dun accès non autorisé à votre compte. Merci pour votre vigilance.»* Une notice sur la sécurité numérique était jointe.
Matthieu relut le message, soulagé. La location litigieuse avait disparu de son historique.
Un conseiller lappela peu après :
*«Nous vous recommandons dactiver la double authentification. Des instructions suivront.»*
Il suivit le conseil immédiatement, choisissant un mot de passe plus long. Un SMS confirma la modification.
Le soulagement se mêlait à une irritation persistante. Le problème était réglé, mais la vulnérabilité face aux systèmes restait.
Ce soir-là, il retrouva deux collègues dans un café près du bureau.
*«Jai failli payer une amende pour un trajet que je nai pas fait Heureusement, les caméras ont tout prouvé. Maintenant, je ne me connecte plus quavec double vérification»,* expliqua-t-il.
Lun deux sourcilla : *«Je vais vérifier mes paramètres, alors.»*
Une inquiétude subtile flottait désormais.
Matthieu rentra sous une bruine fine, les réverbères se reflétant dans les flaques. Lescalier était silencieux. Il vérifia encore son téléphone rien danormal.
Devant la fenêtre de la cuisine, il repensa à lincident. Moins de peur, désormais, que de prudence face à sa propre négligence.
Le lendemain, il partagea la notice de sécurité avec quelques contacts. Deux répondirent aussitôt, lun demandant des détails, lautre le remerciant.
La semaine sacheva calmement. Aucune alerte supplémentaire. Mais chaque soir, Matthieu vérifiait ses paramètres de sécurité, intégrant cette habitude à sa routine, comme un réflexe contre linvisible.







