«Tu nhabites plus ici, Manon. On divorce. Denis reste avec moi», a déclaré Jean dune voix sèche, en posant les valises devant la porte.
Pas de drame, Jean est du genre à passer léponge, il se calmera, elle sexcusera, et tout reviendra comme avant. En attendant, elle loge chez sa mère.
Tout allait bien pour Manon. Il y a sept ans, elle a épousé le calme dun programmeur, Jean Dupont, et a quitté le domicile de sa mère pour emménager dans son appartement à Lyon.
Deux ans plus tard, elle donne naissance à leur fils, Denis, que Jean adore, le serre dans ses bras et laisse Manon se concentrer sur sa carrière dans une société de négoce.
Sa carrière décolle aussi : les supérieurs apprécient sa rigueur, et après un voyage daffaires dune semaine à Paris, elle devait enfin obtenir le poste tant attendu de cheffe de service, avec, qui sait, peut-être un jour un poste à la direction nationale.
Elle avait aussi un petit amant discret, Michel Lefèvre, un collègue séduisant qui savait garder la langue sous la dent. Ils ne se voyaient pas très souvent, mais ça suffisait à Manon pour épicer son quotidien et se sentir désirée.
«Tu vas trop jouer, ma petite!», lui reprochait sa mère, Madame Lefèvre, qui était au courant de tout, y compris de lamant. «Jean ne te pardonnera pas sil apprend. Denis sera sans père.»
«Maman, ne panique pas!» répliquait Manon. «Je suis prudente, et Jean maime, il me fait confiance.»
Un jour, Jean commence à douter des retards de Manman au travail, et napprécie pas son envie de sinstaller à Paris. Ils se disputent à ce sujet, mais Jean finit toujours par faire la paix.
Par précaution, Manon suspendit ses rencontres avec Michel, qui se montra très mécontent. Elle pensait que le jeune homme souffrait de ne pas pouvoir la voir plus souvent, mais la réalité était autre.
«Pourquoi tu fais la tête, Michel ?» a-t-elle entendu Michel murmurer à son collègue Vadim.
«Il a flairé un truc, ce bougre!Il se doute de quelque chose. Jai perdu une année à courir après elle!»
«Tu pensais vraiment quon était amoureux?», ricane Vadim.
«Questce que tu racontes?Cette vieille dame, ça ne me parle pas!», répliqua Michel, vexé.
Manon, brûlée par ces paroles, lui lança un «vieille» qui fit rire tout le monde. Vadim séclipsa, et le couple continua de se chamailler dans la cage descalier, sans se rendre compte que le patron, Monsieur Girard, venait darriver.
«Questce que vous fabriquez là?», sécria-t-il, les faisant sursauter. «Vous avez planté un rendezvous secret dans les couloirs?»
Michel tenta de sexpliquer, mais Girard linterrompit. «Manon, je ne mattendais pas à ça de ta part.» Il mit en doute la promotion de Manon, et même lidée dun futur à Paris.
«Cest un malentendu, Monsieur», balbutia Manon. «Je vous expliquerai tout.»
«Et toi, Michel, tu restes encore dans lentreprise?», lança Girard dun ton glacé. «Je vais réfléchir à ton avenir, voire à ton licenciement.»
Il partit, laissant le duo dans un grand embarras. Manon était une employée précieuse, elle travaillait dans la société depuis ses débuts, tandis que Michel ny était que depuis deux ans. Finalement, il fut transféré dans une antenne à Marseille.
Les insultes de Michel au moment du départ restèrent gravées, mais Manon chercha à les oublier, tout comme le souvenir de lamant.
Quelques jours plus tard, Jean la surprit en rentrant du travail, lair hostile.
«Encore en retard?» demandatil.
«Oui, je» balbutia Manon, essayant dexpliquer les problèmes avec un nouveau client. Jean, méprisant, jeta sur la table plusieurs photos.
Sur les clichés, on voyait Manon et Michel au café, dans la rue, sortant dun hôtel. Il fallait être aveugle pour ne pas voir quils sétaient «mutuellement trahis».
Fatiguée de se justifier au travail pour son «mauvais romance», elle décida finalement de tout avouer. Elle ne voulait pas mentir, juste dire quil y avait eu quelques moments dimpulsion, un instant dégarement.
À sa grande surprise, Jean ne réagit pas comme elle lattendait. Le soir même, il ne parla plus avec elle, se réfugia dans la chambre de Denis. Le lendemain, il rassembla les affaires de Manon et les déposa dans le vestibule.
«Tu nhabites plus ici, on divorce. Denis reste avec moi.», répétatil, sans ménagement.
Manon, abasourdie, ne chercha même pas à débattre. Elle se rassura en se disant que Jean finirait par se calmer, quelle demanderait pardon, et que tout redeviendrait comme avant. Elle resterait chez sa mère en attendant.
«Je tavais prévenue!», lança Madame Lefèvre, la mère de Manon, dun ton sévère, avant de cracher un sourire compatissant. «Tout se résoudra, même si Denis ne verra plus sa mère».
«Maman, je vais men sortir!», rétorqua Manon, agacée que le nom de son fils déclenchât une telle réaction.
Elle voulait se venger de celui qui avait trahi son mari, et nen voyait que Michel. Le lendemain, elle le chercha dans son nouveau bureau.
«Encore!», sexclama Michel, exaspéré. «Je nai plus rien à faire!Grâce à toi, je dois tout reprendre à zéro pour prouver ma valeur à Girard.»
«Alors qui?», balbutia Manon, désemparée.
«Aucune idée,» haussa Michel les épaules. «Ces photos, je nai même pas pu les prendre, cest du passé.»
Manon ne voulut plus chercher le coupable, car Jean refusait de la voir, même pour parler à leur fils. Il changea les serrures, lempêchant dentrer.
«Mon fils na pas besoin dune mère comme toi.», déclara-til, le visage impassible. «Si tu persistes, je te priverai de tes droits parentaux.»
«Tu as perdu la tête?», sécria Manon. «Jean, parlons comme adultes!»
Madame Lefèvre tenta aussi de raisonner le beaufils, suppliant quil rendait leur petit-fils. Jean resta sourd à ses supplications.
Manon décida alors de se replonger dans le travail, espérant que Girard reviendrait sur sa décision de lenvoyer à Paris pour un stage et le poste de cheffe. Elle se disait que si tout allait bien, il pourrait y avoir une réconciliation familiale.
«Maman, félicitemoi!», sécria-telle un soir, en entrant chez sa mère. «Dans une semaine, je pars pour la capitale, puisJe ne vais pas trop en dire.»
Madame Lefèvre, les yeux rougis, se laissa tomber sur une chaise, se couvrant le visage. «Questce qui se passe?Tu vas me laisser toute seule?Tu ne penses quà toi!»
«Maman, je je viens juste de», balbutia Manon, cherchant des mots.
«Tu me laisses tout le temps, tu ne sais même pas où je suis,» sanglota Madame Lefèvre. «Merci, vraiment, de mavoir abandonnée!Je ne sers à rien»
Manon, prise dun éclair dintuition, demanda: «Maman, estce que tu as parlé de moi à Jean?Tu as montré ces photos?»
«Questce que jai fait dautre?Je suis seule, rejetée par tous!Je pensais que vous divorceriez et que tu viendrais vivre avec Denis chez moi»
Après un moment de silence, Manon jeta son sac et sortit de lappartement. Elle passa deux nuits chez une amie, puis loua un petit studio.
Un mois plus tard, Jean accepta quelle voie Denis, et les trois passèrent de plus en plus de temps ensemble. On dirait bien que la famille pourrait se recomposer.







