15mai2025
Aujourdhui, je regarde Lucie et je ne peux mempêcher denvier son bonheur. On la retirée de lorphelinat, ses nouveaux parents ont déjà entamé les démarches administratives et elle va enfin avoir une vraie famille. Elle me raconte les sorties quelle fait avec eux : une visite au zoo de Vincennes, un spectacle de marionnettes où elle a vu la sorcière du théâtre, et la confiture dabricots aux noyaux que sa mère prépare.
Je nai que cinq ans. Depuis que je suis né, je vis à lorphelinat. De temps à autre, des enfants arrivent, puis repartent. Quand Alphonse a disparu, jai demandé à Madame Martin :
«MadameMartin, où est passé Alphonse?»
«Il est parti vivre avec une famille,» ma-t-elle répondu.
«Cest quoi, une famille?» ai-je insisté.
«Cest lendroit où lon tattend toujours et où lon taime», a-t-elle dit.
«Et moi, où est ma famille?» ai-je demandé.
Madame Martin a simplement soupiré, ma regardé tristement et na rien dit de plus. Depuis ce jour, je nai plus posé la question. Jai compris que la famille, cest quelque chose de précieux et indispensable.
Quand Lucie a disparu deux jours, puis est revenue vêtue dune belle robe, coiffée et avec une nouvelle poupée, je me suis mis à pleurer. Personne ne ma jamais pris, alors je pensais que je nétais bon à rien.
Madame Martin est alors entrée, ma apporté un pull et un pantalon et ma dit :
«Sébastien, change de vêtements, des invités arrivent bientôt.»
«Des invités? Qui?» ai-je demandé.
«Ils veulent te rencontrer.»
Je me suis habillé, me suis assis sur le banc et ai attendu. Madame Martin est revenue, ma pris la main et ma conduit dans la salle dattente où se trouvaient un oncle et une tante. Loncle était grand, barbu, avec une moustache imposante. La tante était petite, mince et dune beauté qui, à mes yeux, rappelait une rose ; elle sentait les fleurs et avait de grands yeux encadrés de cils épais.
«Bonjour, je mappelle Alice, et vous?», a-t-elle dit.
«Sébastien,» ai-je répondu.
«Nous voulons être tes amis, et surtout, nous avons besoin de ton aide,» a ajouté la tante.
«Comment ça?» ai-je demandé, en regardant loncle.
Il sest approché, sest agenouillé et a murmuré :
«Salut, je mappelle Dima. On ma dit que tu dessinais très bien et que tu pourrais faire un robot. On a besoin dun dessin de robot, tu peux nous aider?»
«Oui,» ai-je affirmé. «Quel type de robot?Je sais en dessiner de tous les styles.»
Dima a pris un sac, en a sorti un grand cahier à dessin, des crayons et un immense robot emballé dans un papier brillant. Le robot était flamboyant, ses pièces étincelaient sous le rayon du soleil qui entrait par la fenêtre. Jamais je navais vu une telle merveille.
«Cest Optimus Prime,» ai-je exclamé. «Tu le connais, cest le chef des Transformers.»
«Tu laimes?» a demandé Dima.
«Très!» ai-je répondu avec enthousiasme.
«Prends le robot, les crayons, et dessinele pour nous. En même temps, on pourra bavarder comme de vieux amis.»
Nous avons parlé pendant une heure de tout ce qui me plaisait ou me déplaisait. Jai raconté mes jouets, mon lit, mes bottes qui gèlent mes pieds. Alice tenait toujours ma main, tandis que Dima me caressait la tête. Madame Martin est alors entrée.
«Sébastien, il est lheure du dîner,» a-t-elle annoncé.
Dima ma serré la main et a dit :
«Nous reviendrons dans une semaine, tu auras fini le dessin?»
«Oui, vous êtes sûrs de revenir?» ai-je demandé.
«Bien sûr,» a répondu Alice, membrassant si fort que mes os ont craqué, les larmes perlant dans ses yeux.
«Pourquoi tu pleures?» ai-je demandé.
«Je ne pleure pas, cest juste une poussière dans lœil,» a-t-elle rétorqué.
Après le dîner, je me suis précipité vers la pièce où le robot était posé. Je lai sorti, admiré ses bras et ses jambes mobiles, sa tête qui tournait dans toutes les directions, et jai commencé à le dessiner. Soudain, les grands de la classe supérieure sont entrés, menés par Dimka.
«Hé, donnemoi ça,» a crié Dimka en semparant du robot et en le lançant en lair.
«Rendsle, ce nest pas à moi,» ai-je protesté.
«Ce nest pas ton robot,» a ri Dimka. «Cest à tout le monde.»
Jai saisi le robot et lai tiré vers moi. Dimka a tiré de lautre côté, le bruit a retenti, et il ne me restait plus quune jambe du robot. Les larmes ont coulé, mon visage était couvert de sang quand Dimka ma jeté les restes du robot en plein visage. Madame Martin est arrivée, ma conduit aux toilettes, ma lavé le nez avec de leau et la tamponné avec du coton.
«Ce nest pas ton robot,» a-t-elle dit. «Nous partageons les jouets, tu le sais. Mais maintenant, il est cassé.»
«Ce nest pas mon robot,» ai-je sangloté. «Il ne ma pas été offert, on me la prêté pour le dessiner.»
Madame Martin ma souri et ma dit :
«Allez, dessine.»
Comment dessiner un robot brisé? Jai appuyé le robot contre le mur, fixé la jambe avec un vieux carton et jai commencé à le copier. Au moment du coucher, javais déjà un dessin fini. Le lendemain, deux autres, puis trois, et bientôt tout le cahier était rempli de robots.
Je suis allé voir Madame Martin et lui ai demandé :
«La semaine seratelle bientôt terminée? Quand Alice et Dima arriverontils?»
Elle, la mine triste, ma répondu :
«La semaine est déjà passée, et probablement quAlice et Dima ne viendront pas.»
Jai éclaté en sanglots, convaincu que cétait à cause du robot cassé. Je nai presque pas dormi, je nai fermé les yeux que à laube, repensant sans cesse à ce robot, à Dima, à Alice.
Le lendemain, Madame Martin est entrée, rayonnante :
«Habilletoi, des invités sont là.»
«Qui?» aije demandé.
«Tu verras.»
Jai ouvert la porte et jai vu Dima et Alice.
«Bonjour,» a dit Alice, «nous sommes venus pour toi.»
«Où?» aije, dérouté, demandé.
«Tu as parlé du zoo, tu veux y aller?»
«Oui, mais» jai commencé à pleurer.
Dima et Alice se sont précipités vers moi :
«Questce qui ne va pas?» a demandé Dima, inquiet.
«Jarrive,» aije répondu, prenant le cahier et le robot cassé.
«Voici,» aije tendu le robot et la jambe. «Pardon, voici votre robot.»
«Cest ton robot,» a ri Dima. «Nous te loffrons.»
Je lui ai remis le cahier.
«Parfait,» a dit Dima en regardant les dessins. «Cest exactement ce quil nous faut, tu dessines vraiment bien. Merci. Et ne tinquiète pas pour le robot, je le réparerai.»
«Allons au zoo,» a ajouté Alice, en maidant à mhabiller.
Au zoo, jai été émerveillé par tant danimaux et doiseaux, je ne savais plus où poser les yeux. Les singes espiègles qui sautaient de branche en branche, mangeant des bananes, mont fait rire aux éclats.
«Sébastien,» ont-ils dit, «veuttu venir chez nous, un jour?»
«Oui,» aije répondu.
En arrivant chez eux, jai pénétré prudemment lappartement.
«Entre, ne sois pas timide,» ma lancé Dima.
Alice ma pris la main et ma conduit dans une pièce où les murs étaient décorés de planètes, un lit en forme de voiture, des jouets rangés dans un grand placard.
«Qui vit ici?» aije demandé.
Dima et Alice se sont assis à côté de moi, mont pris par chaque main et ont dit :
«Nous voulons que tu vives avec nous. Voilà ta chambre, tes jouets, ton lit. Reste avec nous pour toujours.»
«Toujours?Ça veut dire que vous madoptez?» aije demandé.
«Oui,» a confirmé Alice. «Tu ne seras plus un étranger, tu seras notre fils.»
«Je ne suis quun garçon qui a cassé un robot, pourquoi vous voudriez de moi?»
«Tu nes pas un étranger, tu es notre fils,» a murmuré Alice.
Je me suis mis à pleurer, à hocher la tête. Jaimais Alice, Dima, la nouvelle chambre. Je ne voulais plus retourner à lorphelinat.
«Tu acceptes?» a demandé Dima.
«Oui, je me comporterai bien,» aije promis.
Ils mont enlacé, mont embrassé et jai senti une joie profonde.
Ce jourlà, jai compris que la famille ne dépend pas du sang, mais de lamour, du partage et de la volonté de sentraider. Cest la leçon que je garderai à jamais.







