Voulant faire une surprise à son mari, la femme est rentrée de chez sa famille trois heures plus tôt et n’a pu retenir ses larmes en entrant dans l’appartement

Avec lintention de faire une surprise à son mari, Jeanne rentra de chez sa mère trois heures plus tôt. En entrant dans lappartement, elle ne put retenir ses larmes.

Jeanne regardait par la fenêtre du train en pensant à sa maman. Elle avait passé trois jours à soccuper delle, lui préparant des bouillons et lui donnant ses médicaments. La fièvre nétait tombée quhier.

« Tu devrais rester encore un jour », avait dit sa mère ce matin-là.

« Jean est tout seul à la maison, maman. Il doit déjà mourir de faim. »

Maintenant, dans le train, elle regrettait de ne pas lavoir écoutée. Mais Jean lavait appelée chaque soir pour prendre des nouvelles, se plaindre du frigo vide. Il avait une voix bizarre, comme fatiguée.

« Tu me manques », avait-il murmuré hier avant de dormir.

Jeanne avait souri. Trente-deux ans de mariage, et il lui manquait encore. Un mec bien, finalement.

Le train tanguait. La voyageuse en face delle grignotait des graines en lisant un polar. Sur la couverture, une belle femme étreignait un homme en costume. Jeanne jeta un coup dœil à son reflet dans la vitre. Des rides, des racines grises. Quand avait-elle vieilli comme ça ?

« Vous rentrez chez votre mari ? » demanda sa voisine.

« Oui, je rentre à la maison. »

« Moi, je vais voir mon amant », rigola-t-elle. « Mon mari croit que je suis chez ma sœur. »

Jeanne rougit et détourna le regard. Comment pouvait-on dire ça si facilement ?

Son téléphone vibra.

« Tout va bien ? Tu arrives quand ? » écrivit Jean.

Jeanne vérifia lheure. Quatre heures de trajet encore. Elle allait répondre honnêtement, mais changea davis. Ce serait une surprise. Elle préparerait un bon dîner. Il serait content.

« Demain matin. Tu me manques aussi. »

Jean répondit aussitôt avec un cœur.

Dehors, les champs et les villages défilaient. Jeanne sortit son thermos de thé. Sa mère lavait forcée à prendre des sandwichs. Elle lavait nourrie comme une enfant.

« Tu as maigri, ma fille. Ce Jean ne doit pas faire attention à ce que tu manges. »

« Maman, jai cinquante-sept ans. »

« Et alors ? Tu resteras toujours ma petite fille. »

Jeanne mordit dans son sandwich en repensant à sa mère. Elle vivait toujours seule dans lappartement où Jeanne avait grandi. Son père était mort il y a cinq ans. Sa mère refusait de venir sinstaller en ville.

« Vous avez votre vie. Je ne veux pas vous déranger. »

Comme si elle dérangeait. Jeanne aimait prendre soin des autres. Dabord ses parents, puis Jean, les enfants. Elle avait été professeure, mais quand Nicolas était né, elle avait arrêté. Puis ce fut Claire. Et sans vraiment sen rendre compte, elle était devenue femme au foyer.

« Pourquoi travailler ? disait Jean. Je gagne assez. Occupe-toi de la maison. »

Alors elle sen était occupée. Pendant trente ans. À cuisiner, laver, ranger. Élever les enfants, les emmener à leurs activités. Repasser les chemises de Jean, recoudre ses chaussettes.

Les enfants avaient grandi, étaient partis. Nicolas travaillait dans une autre ville, sa propre famille maintenant. Claire sétait mariée, avait eu un petit. Jeanne était grand-mère à présent.

Et après ?

Le train ralentissait. Jeanne rassembla ses affaires, dit au revoir à sa voisine. Le quai était bruyant, bondé. Le bus jusquà chez elle prit une demi-heure.

Elle imaginait déjà la tête de Jean. Il croyait quelle rentrerait demain. Mais non, ce soir. Peut-être quelle ferait un saut au supermarché pour acheter de quoi cuisiner. De la bonne viande, des pommes de terre nouvelles. Elle préparerait un bon repas, dresserait une belle table.

Au magasin, elle prit tout ce dont elle avait besoin. La caissière sourit :

« Vous préparez une fête ? »

« Juste un dîner pour mon mari. »

Les sacs étaient lourds. Elle arriva à peine jusquà limmeuble. Dans lascenseur, elle reprit son souffle. Elle fouilla longtemps dans son sac avant de trouver ses clés.

Enfin, elle ouvrit la porte.

« Jean, cest moi ! cria-t-elle. Je suis rentrée ! »

Silence. Il devait dormir. Il était tard, presque minuit.

Jeanne posa les sacs, enleva son manteau. La lumière était allumée. Bizarre. Jean ne dormait jamais avec la lumière.

Elle se dirigea vers le placard pour ranger son manteau et sarrêta net. Des chaussures en cuir noir, à talons, traînaient près de la porte. Des escarpins élégants, vernis.

« Jean ? » appela-t-elle plus doucement.

Son cœur battait plus vite. Peut-être que cétait ceux de Claire. Sa fille avait les clés. Mais pourquoi ne laurait-elle pas prévenue ?

Un rire féminin étouffé venait de la cuisine.

Jeanne se figea. Ce nétait pas Claire. Une voix inconnue.

« Jean, tu es trop drôle », disait la voix.

« Jeanne ne rentre que demain. On a le temps. »

Jeanne sappuya contre le mur. Ses jambes flageolaient. Quest-ce qui se passait ? Qui était cette femme ?

« Et si elle rentrait plus tôt ? » demanda linconnue.

« Elle ne rentrera pas. Elle est toujours ponctuelle. Si elle a dit demain matin, cest demain matin. »

Ils rirent. Jeanne ferma les yeux. Elle avait du mal à respirer.

Elle avança sans bruit jusquà la cuisine. La porte était entrouverte. Elle jeta un coup dœil.

Jean était assis à table, en pyjama, les cheveux en bataille. En face de lui, une jeune femme dune trentaine dannées. Une blonde, belle. Qui portait sa robe de chambre.

Sur la table, deux tasses de café, une part de gâteau, des gâteaux. Jean lui tenait la main.

« Sophie, tu es incroyable », murmura-t-il.

Sophie ? Qui était cette Sophie ?

« Et ta femme ? Tu dis toujours que tu laimes. »

« Je laime. Mais cest différent. Avec toi, je me sens vivant. »

Jeanne sagrippa au chambranle. Le monde tournait autour delle. Trente-deux ans de mariage. Trente-deux ans à croire en lui, à soccuper de lui. Et lui

« Jean » chuchota-t-elle.

Ils sursautèrent. Jean devint livide, bouche bée. La femme se leva dun bond, rajustant la robe de chambre.

« Jeanne ? Mais tu devais rentrer demain »

« Cest qui ? » Jeanne pointa la blonde du doigt.

« Cest Sophie. La voisine. De lappartement 52. »

« La voisine ? » Jeanne fixa la femme dans sa robe de chambre. « Ma voisine porte ma robe de chambre ? »

« Écoute, je devrais y aller », bredouilla Sophie. « Jean, appelle-moi plus tard. »

« Attends ! » Jeanne éclata. « Où tu vas ? Explique-moi ce qui se passe ! »

Sophie sarrêta. Elle avait lair coupable, mais pas trop.

« On discutait, cest tout. Jean ma aidée. Ma fuite deau. »

« Une fuite ? » Jeanne ricana, hystérique. « Tu réparais une fuite dans ma robe de chambre ? »

« Jeanne, calme-toi, dit Jean en se levant. Il ne sest rien passé. Sophie a demandé de laide, je suis allé chez elle. Elle ma proposé un café. On a parlé »

« Parlé ? En vous tenant la main ? Dans ma robe de chambre ? »

« Javais lavé mes affaires, murmura Sophie. Jean ma prêté ça pour pas que jattrape froid. »

« Il ta prêté MA robe de chambre ! » Jeanne tremblait de rage. « Dans MON appartement ! À MA table ! Pendant que je soignais ma mère ! »

Jean sapprocha.

« Jeanne, ne crie pas. Les voisins vont entendre. »

« Les voisins ? » Elle recula. « Tu penses aux voisins ? Et à moi, tu pensais, quand tu »

« Il ne sest RIEN passé ! » Jean lui agrippa les épaules. « Je te jure ! »

Jeanne plongea son regard dans le sien. Elle y vit la panique, la peur. Et le mensonge. Après trente-deux ans, elle savait lire sur son visage.

« Lâche-moi », dit-elle calmement.

« Jeanne »

« LÂCHE-MOI ! »

Il obéit. Ses mains tremblaient.

« Je vais y aller », balbutia Sophie en se dirigeant vers la porte.

« Attends ! » rugit Jeanne. « Enlève ma robe dabord ! »

« Jeanne, devant moi ? » Jean essaya de sinterposer.

« Tu as honte maintenant ? » Jeanne le poussa. « Mais pas quand tu buvais le café avec elle chez moi ! »

Sophie enleva la robe de chambre et la jeta sur une chaise. En dessous, elle portait un jean et un pull.

« Désolée », murmura-t-elle avant de filer.

La porte dentrée claqua.

Jeanne sassit, le visage entre les mains. Pas de larmes. Juste un vide immense là où battait son cœur.

« Jeanne, parlons calmement, dit Jean en sasseyant. Je vais tout texpliquer. »

« Alors explique. »

« Sophie avait vraiment besoin daide. Sa fuite. Je suis allé chez elle, jai réparé. Elle ma proposé un café pour me remercier. »

« À deux heures du matin ? »

« Pas à deux heures ! Cétait vers neuf heures. »

« Il est minuit ! » Jeanne releva brusquement la tête. « Quatre heures de café ? »

Jean resta silencieux. Son visage était rouge, en sueur.

« Jean, je ne suis pas stupide, dit-elle doucement. Trente-deux ans de mariage. Je sais quand tu mens. »

« Il ne sest RIEN passé ! On a juste parlé ! Elle est seule, elle na personne »

« Et toi ? Tu nas personne ? Moi, peut-être ? »

« Avec toi, on parle des courses, de ta mère, du petit. Avec elle on parle de la vie. »

Jeanne se leva. Sa poitrine brûlait.

« De la vie ? Et moi, je ne suis pas la vie ? Je suis un meuble ? »

« Ce nest pas ce que je voulais dire »

« Alors cest quoi ? » Jeanne frappa la table du poing. « Trente ans à la maison ! Pour toi ! Pour les enfants ! Jai tout lâché ! Et toi, tu me dis que je suis chiante ? »

« Jeanne, calme-toi »

« Je ne me calmerai pas ! » Elle arpentait la cuisine comme une lionne en cage. « Je repasse tes chemises, je lave tes chaussettes, je fais la bouffe ! Et toi, tu papotes avec les voisines ! »

« Une seule voisine »

« Une seule ? Juste elle ? » Jeanne sarrêta net. « Et avant elle ? Combien ? »

« Personne ! »

« Menteur ! » Elle savança vers lui. « Combien de fois tu es resté tard au bureau ? Combien de déplacements ? De réunions ? »

« Cétait le travail ! »

« Le travail ? Comme Sophie, cétait le travail ? »

Jean baissa la tête.

« Jeanne, je taime. Vraiment. Tu es la plus importante pour moi. »

« Importante ? » Elle éclata de rire. « Comme un objet ? Comme un vieux canapé ? »

« Ne dis pas ça »

« Alors quoi ? Dis-moi ! » Les larmes jaillirent enfin. « Je tai tout donné ! TOUT ! Et toi ? Tu cours après les jeunettes ? »

« Je ne cours pas ! Sophie est venue »

« Venue quoi ? Venue mettre ma robe ? Venue te tenir la main ? »

Jean ne répondit pas.

« Réponds ! » hurla Jeanne. « Cest elle qui a commencé ? »

« On est adultes Cétait mutuel »

« Mutuel ! » Jeanne se prit la tête. « Donc tu voulais ! Donc tu y pensais ! »

« Jeanne, arrête »

« Non ! Ça fait combien de temps ? Combien ? »

« Six mois »

« Six mois ! » Jeanne seffondra par terre. « Six mois que tu me mens ! Que tu membrasses le soir en disant que tu maimes ! Pendant que tu courais chez elle ! »

« Je ne courais pas ! On se voyait rarement ! »

« Rarement ? Donc vous vous voyiez ! » Jeanne rampa vers la porte. « Cest fini ! FINI ! »

« Où tu vas ? »

« Je ne sais pas ! Nimporte où ! Mais pas ici ! »

Elle se releva, marcha vers lentrée. Jean la suivit.

« Jeanne, reste ! On en reparle demain ! Avec la tête froide ! »

« La tête froide ? » Elle enfilait son manteau. « Je vais devoir vivre le reste de ma vie avec la tête froide ! »

« Ne pars pas, je ten supplie ! »

Elle se retourna. Jean était là, en caleçon et chemise. Chauve, bedonnant. Pathétique.

« Tu sais quoi ? » dit-elle. « Va chez ta Sophie. Parlez de la vie. »

Jeanne claqua la porte, dévala les escaliers. Pas lascenseur. Elle avait peur quil la suive.

Dehors, il faisait froid. Où aller ? Chez Claire, cétait trop tard, elle réveillerait le petit. Chez sa mère, trop loin, le dernier train était parti.

Elle pensa à Marie. Son amie habitait à côté. Elle lappela.

« Jeanne ? Quest-ce qui se passe ? » une voix ensommeillée.

« Marie, je peux venir ? Cest urgent. »

« Bien sûr. Mais quest-ce qui tarrive ? »

« Je texpliquerai. »

Dans le bus, elle réfléchissait. Trente-deux ans. Toute une vie. Et il ne restait quoi ? Du vide. Et de la douleur.

Marie laccueillit en robe de chambre, les cheveux en désordre.

« Assieds-toi, je fais du thé. Raconte. »

Jeanne raconta tout. Marie écouta, hochant la tête.

« Salaud, dit-elle simplement. Tous les mêmes. »

« Marie, je ne sais pas quoi faire. »

« Quoi faire ? Divorce, un point cest tout. »

« Mais on est mariés depuis si longtemps »

« Justement. Il croit que tu toléreras tout. »

Elle ne dormit pas de la nuit. Allongée sur le canapé de Marie, elle repensait à tout. Leur rencontre, leur mariage. Les enfants. Les années où Jean travaillait tard, pendant quelle tenait la maison.

Quand avait-il commencé à séloigner ? Elle avait remarqué un changement il y a deux ans. Plus froid, distrait. Elle avait mis ça sur le compte de la crise de la cinquantaine.

En fait, il était tombé amoureux.

Le matin, elle appela Claire.

« Maman, quest-ce qui se passe ? Papa a appelé, il te cherche. »

« Dis-lui que je suis chez tante Marie. Et que je réfléchis. »

« Tu réfléchis à quoi ? »

« Je texpliquerai plus tard. »

Jean appela toute la journée. Jeanne ne décrocha pas. Le soir, il vint chez Marie.

« Jeanne est là ? » demanda-t-il à la porte.

« Je suis là, dit Jeanne en apparaissant. Quest-ce que tu veux ? »

« Parler. Vraiment parler. »

« Alors parle. »

« Jeanne, cest fini avec Sophie. Terminé. Plus jamais. »

« Ouais. Jusquà la prochaine Sophie. »

« Il ny en aura pas ! Je te le jure ! »

Jeanne le regarda. Son visage fatigué, sa chemise froissée. Il était sincère, probablement. Pour linstant.

« Jean, jai réfléchi, dit-elle doucement. Jai cinquante-sept ans. Peut-être que je vais vivre un peu pour moi. »

« Comment ça ? »

« Comme ça. Trouver un travail. Voir du pays. Penser à ce que JE veux. Pas seulement ce que TU veux. »

« Jeanne, on est une famille »

« Une famille ? » Elle ricana. « Une famille, cest quand on se respecte. Pas quand lun vit sa vie et lautre la sienne. »

« Je te respecterai ! Vraiment ! »

« Tu sais quoi, Jean ? Vivons séparés un temps. Réfléchissons chacun de notre côté. »

« Cest une rupture ? »

« Une pause. Si tu réalises que cest moi que tu veux, pas une bonne à tout faire, reviens. Sinon » Elle haussa les épaules. « Ce ne sera pas meant to be. »

Jean resta silencieux. Puis il hocha la tête.

« Daccord. Mais je me battrai pour toi. »

« On verra. »

Il partit. Marie étreignit Jeanne.

« Bien joué. Tu as bien fait. »

« Jai peur, Marie. »

« Bien sûr. Mais au moins, cest honnête. Jeanne regarda par la fenêtre. Dehors, la pluie fine glissait sur les vitres comme des larmes contenues. Elle but une gorgée de thé, les mains encore tremblantes. Pour la première fois depuis des années, elle se sentait vide, mais libre. Demain, elle appellerait lécole de théâtre. Celle où elle avait autrefois rêvé de sinscrire. Elle posa la tête contre le dossier du canapé, ferma les yeux. Un souffle léger, presque imperceptible, passa sur son visage comme un début de vent.

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