**Journal dun Homme**
…Je tai couronnée… Et jamais je ne tai donnée à personne… Et comme jai pu, je tai rendue heureuse… Et je tai embrassée… Embrassée… Embrassée… Embrassée…
Antoine volait sur les ailes de lamour, au volant de sa « hirondelle » bien-aimée, rentrant chez lui après trois mois de travail en mer. Les billets réchauffaient doucement la poche intérieure de sa veste. Son cœur chantait, impatient de retrouver sa chérie, Élodie. Lair sentait déjà le printemps, une brise légère caressant son visage. « Je tai couronnée… »
En traversant un petit pont, du coin de lœil, il aperçut un chien, tombé sous la glace. Lanimal se débattait, épuisé, visiblement prisonnier depuis longtemps. « Et je tai embrassée… » la chanson préférée dAntoine lappelait vers son amour. « Pauvre toutou… » songea-t-il avant de continuer sa route.
Le visage dÉlodie… Le printemps… Lamour… Et ce pauvre chien, piégé dans leau glacée. « Merde ! » jura Antoine en faisant demi-tour.
Il sarrêta près du pont, se déshabilla et avança vers la rivière. Il nagea, brisant la glace avec ses mains, se coupant au passage, mais parvint jusquau chien. Il le poussa vers la berge, laidant à sortir. Lanimal était imposant, et la glace trop fragile. Il naurait pas survécu seul.
Du sang coulait de ses mains et de ses jambes. Le froid était mordant. Antoine shabilla en vitesse et observa son sauveteur : un grand chien beige, maigre, qui le fixait sans bouger.
« Hé, mon gars ! Tu es un pur race, toi ! Un labrador égaré ? Où est ton maître ? » Le chien tremblait de tout son corps.
Antoine ouvrit la portière : « Monte, mon ami ! On rentre à la maison. » Le chien sauta sur la banquette arrière et sallongea. Il rentrait chez lui !
La nuit tombait. En approchant de Lyon, Antoine remarqua un embouteillage. Un accident impliquant un poids lourd et deux voitures. Police, ambulances… Un frisson lui parcourut léchine. Il se retourna : sur la banquette, le chien ronflait doucement, presque sec et réchauffé. « Et si ce nétait pas pour lui… » lui traversa lesprit.
« Élodie, mon soleil !!! » Antoine la souleva dans ses bras, lembrassant fougueusement sur le seuil. Le chien, assis sagement, souriait. Une nouvelle maison. Une nouvelle vie. Il aimait déjà cette frêle jeune femme en peignoir coloré, lodeur du pot-au-feu et des escalopes. Antoine, lui, lavait adopté dès quil lavait sauvé.
« Oh, qui est-ce ? » Élodie remarqua enfin leur invité. « Cest notre ange… Archibald. Notre nouveau membre de la famille. » Elle saccroupit, tendant la main. Le chien la renifla, la lécha, puis, dans un élan, couvrit son visage de baisers.
Ainsi entra Archibald dans leur vie. Archi… alias Bébert… alias « Espèce de salaud, tu as encore bouffé mes pantoufles ! »… alias « Ce foutu cabot a bavé sur le chat »… mais surtout, leur trésor, leur amour, leur ange.
Ils vivaient dans une maison héritée des parents dAntoine, spacieuse et solide, près du centre-ville. Un grand enclos avec une niche chauffée fut construit pour Archi, même sil dormait souvent sur son matelas dans lentrée en hiver.
La vie suivait son cours. Antoine partait en mer faute de travail décent à Lyon. Élodie restait, désormais avec Archi… et plus encore. Son ventre rond annonçait une prochaine paternité. Elle préparait la surprise.
Une soirée dété étouffante. Élodie promenait Archi dans la forêt voisine, profitant de lair frais. Une bande de jeunes, bruyante, les dérangea.
« Hé, la miss ! On manque de compagnie féminine ! » Deux hommes ivres sapprochèrent. Lun lui souffla une haleine de vin au visage. Archi, muselé, grognait, tirant sur sa laisse. Impuissant. Quand lun des hommes la saisit, elle lâcha la laisse.
Ils avaient un couteau. Archi bondit. Ils le poignardèrent. Encore. Et encore. Le sang coulait. Élodie hurlait, suppliait. Ils ne sarrêtèrent que lorsque Archi seffondra. Puis ils senfuirent.
« Je tai couronnée… » Antoine arrivait chez lui quand Élodie appela : « À la clinique vétérinaire ! Archi… Il meurt… »
Il se précipita. Archi, si petit sur la table, sous perfusion. Les vétérinaires saffairaient. Antoine sapprocha, au bord des larmes. « Archi… Mon petit… Ne nous quitte pas. » Il embrassa son museau brûlant. Et Archi ouvrit les yeux. Juste un peu. Cétait un signe.
Il voulait vivre. Revenir auprès des siens. Il se battit, guérit, et vécut encore cinq ans, assez pour connaître le petit Lucas et leur donner tout son amour.
Ils laccompagnèrent ensemble jusquau bout. Élodie et Antoine pleuraient. Lucas, sérieux, déclara : « Maintenant, il nous faut un nouveau Archi. Je veux plus vivre sans lui. »
Lamour fait des miracles. Aimez. Aidez ceux qui nont rien. La vie est un cycle. Peut-être quun jour, ce sera vous, perdu dans le froid, attendant un sauveur. Ou peut-être que cet animal que vous sauvez sera votre ange gardien.
Antoine.







