«– Tatu, tu t’es vraiment acheté un chat ? – s’étonna Ludmila, la fille qui était venue passer le week-end. »

28mai2025

Aujourdhui, Léontine, ma fille, est revenue à la campagne pour le weekend. En ouvrant la porte du jardin, elle a éclaté: «Papa, tas adopté un chat?». Je lai regardée dun œil irrité, le regard collé à la fenêtre. Encore ce roux qui squatte mes platesbaines depuis trois jours daffilée. Dabord il a piqué mes tomates, hier il sest glissé entre les concombres, et ce matin il sest installé tout simplement sur le chou frais.

«Va donc voir tes maîtres,» aije marmonné en frappant le verre.

Le matou a levé la tête, ma fixé de ses yeux jaunes, puis sest contenté de rester là, impertinent comme toujours.

Jai enfilé mes bottes en caoutchouc et suis sorti dans le potager. Le chat ne sest pas enfui; il a reculé dun pas, puis sest assis près de la clôture, maigre, écorché, loreille déchirée, la queue en bouts.

«Alors, petit voleur?», aije dit en me penchant sur le chou, en examinant les dégâts. «Tu as dû te perdre, non?»

Il a poussé un petit miaulement plaintif. Cest alors que jai compris: il a faim, ses yeux brillent dune lueur désespérée.

«Tes propriétaires, où sontils?», aije demandé, en masseyant à genoux.

Le chat sest approché, sest frotté contre ma botte, ronronnant doucement, comme pour dire merci de ne pas lavoir chassé.

«Grandpère, pourquoi un chat vitil dans notre cour?», a lancé Sébastien, mon petitfils, qui vient nous aider à la ferme chaque été.

«Cest du voisinage. Il sest perdu ou on la jeté, je ne sais pas.»

«Et à qui appartenaitil?»

Jai soupiré. Je savais. Madame Jeanne, voisine du bout de la rue, était décédée le mois dernier. Sa famille nest venue que pour les funérailles, la maison a été vidée, les affaires enlevées, et le chat a été oublié.

«Cétait le chat dAnne, ma voisine. Elle est partie.»

«Et le chat?»

«Il est resté tout seul.»

Sébastien a baissé les yeux, le regard plein de pitié: «Grandpère, on le garde chez nous?»

«Jamais!», aije rétorqué. «Je navais même pas de chat. Jai à peine assez pour me nourrir, et voilà»

Mais le soir, quand Sébastien est reparti en ville, jai finalement posé un bol de restes de soupe près du porche. Le chat sest approché prudemment, a commencé à manger avec avidité.

«Très bien,» aije grogné, «une fois, ça suffit»

Ce «une fois» est devenu quotidien. Chaque matin, le félin mattendait à la porte, patient, sans un miaulement, simplement là. Dabord je le nourrissais de restes, puis jai commencé à préparer de la bouillie, à acheter des boîtes de conserve pas chères. Je me répétais que ce nétait que temporaire, le temps quil trouve de nouveaux maîtres.

«Rouquin, viens ici,» lappelaisje. «Comment Jeanne tappelaitelle?»

Il répondait à nimporte quel nom, du moment quon lappelait.

Peu à peu, il sest installé. Le jour, il se prélasse au soleil du potager, le soir il vient sur le porche, dort dans la petite cabane qui servait autrefois au chien.

«Temporaire,» me répétaisje. «Toujours temporaire.»

Les semaines ont passé, et le chat ne partait toujours pas. Jai compris quil sétait habitué à ma petite porte, à mon ronronnement du soir, à la chaleur de mes genoux quand je regarde la télé.

«Papa, tas vraiment adopté un chat?», a de nouveau demandé Léontine, en arrivant.

«Non, il est venu de son plein gré. Cest le chat de la voisine décédée»

«Alors pourquoi le nourrir?Le mettre quelque part?»

«Et alors, qui aurait besoin dun vieux chat?», aije caressé son oreille. «Quil vive.»

«Cest une dépense inutile. La nourriture, le vétérinaire Tu nas même plus que ta petite retraite.»

«Je me débrouillerai,» aije répondu brièvement.

Léontine a haussé les épaules. Depuis la mort de ma femme, je suis devenu renfermé, je parle à mes plantes, je parle même aux chats qui passent.

«Tu ne veux pas venir vivre en ville, chez nous?Tu ne devrais pas rester tout seul.»

«Pas seul, jai le rouquin.»

«Vraiment?»

«Je parle sérieusement. Jaime notre vie ici : le potager, le chat.»

Lautomne a apporté la fatigue au félin. Il a cessé de manger, sest couché dans la cabane, haletait. Jétais aussi inquiet que pour un fils.

«Questce qui ne va pas, mon ami?» me suisje assis à côté de lui. «Tu es malade?»

Le chat a poussé un faible miaulement. Jai décidé de le conduire au vétérinaire du centre communal. Jai dépensé presque toute ma retraite, mais je nai aucun regret.

«Il est bon,» a déclaré le jeune vétérinaire. «Intelligent, doux, mais son âge et son immunité sont faibles.»

«Il survivra?»

«Avec de bons soins, il ira longtemps. Il faudra le protéger et le soigner.»

De retour à la maison, jai installé un petit hôpital sur la véranda : vieilles couvertures, bols deau et de nourriture, pilules chaque jour, prise de température.

«Rétablistoi,» lui aije murmuré. «Sans toi, la vie est ennuyeuse.»

Cest vrai. En quelques mois, le chat nest plus seulement un animal de compagnie, il est mon ami, la seule créature qui accueille mon retour du potager avec joie.

«Grandpère, le rouquin va bien?» a demandé Sébastien, revenu pour les vacances dhiver.

«Il va très bien. Regarde, il dort sur son coussin.»

Le félin était effectivement couché, en boule, le pelage brillant, les yeux clairs. En bonne santé.

«Il restera toujours ici?»

«Où iraitil?» laije caressé. «Nous sommes ensemble. Il me tient compagnie, je lui offre un toit.»

«Tu ne tes jamais senti seul?»

Jai soupiré. Depuis la perte de ma femme, la maison était vide, le silence pesant. Je faisais de la soupe pour une seule personne, je regardais la télé en silence, je mendormais dans une chambre vide.

«Oui, très seul.»

«Et maintenant?»

«Plus maintenant. Le rouquin mattend quand je rentre du potager, ronronne pendant que je prépare le dîner, dort sur mes genoux devant la télé.»

Sébastien a acquiescé. Il aime aussi les animaux, il sait combien ils peuvent combler la solitude.

«Et maman, questce quelle en pense?»

«Elle dirait que cest une dépense inutile, un souci de trop.»

«Et toi?»

«Je pense que ce nest pas du tout inutile. Le rouquin mapporte de la joie. La joie nest jamais superflue.»

Au printemps, la nièce de la défunte, une jeune femme nommée Sophie, est venue avec son petit garçon.

«Grandpère, excusez le dérangement,» atelle dit. «Je suis Sophie, la nièce dAnne. Jai entendu que votre chat vit encore?»

Mon cœur a bondi. Allaiton reprendre le rouquin?

«Il vit toujours,» aije répondu prudemment. «Quy atil?»

«Nous voulions le récupérer. Après les funérailles, nous navions pas pensé au chat. Maintenant, on se sent coupable, on aimerait le prendre avec nous.»

Jai senti un nœud à la poitrine.

«Vous êtes fatigués de lui?Beaucoup de tracas»

«Non, pas du tout. Cest un beau chat.»

Sophie a jeté un regard sur le jardin où le rouquin se prélassait au soleil, près des platesbaines.

«Il a tellement changé! Avant il était maigre, malade. Maintenant, il est splendide!»

«Je lai soigné, bien nourri.»

«Merci infiniment!Nous le prendrons, bien sûr, et couvrirons tous les frais»

Jai gardé le silence. Légalement, le chat nétait plus à moi; la propriétaire était décédée, sa famille avait le droit de le réclamer. Mais comment expliquer que ces quelques mois ont fait de ce rouquin une partie de ma vie?

«Pouvonsnous le voir?» a demandé Sophie.

Nous nous sommes approchés du chat. Le rouquin a levé la tête, a scruté les nouveaux visages, puis sest dirigé vers moi, sest frotté contre mes jambes.

«Étrange,» sest étonnée Sophie. «Il ne me reconnaît pas. Jallais souvent chez ma tante Anne»

«Le temps a passé,» aije répondu. «Il a sûrement oublié.»

En réalité, ce nétait pas loubli: le chat avait simplement choisi son nouveau maître, celui qui le nourrissait, le soignait, laimait.

«Et si on vous le laissait?Il sest habitué à vous, vous vous êtes attaché à lui»

«Comment ça?» aije demandé, perplexe.

«Nous vivons en appartement, nous avons un petit enfant. Le chat est vieux, il aime la liberté. Le déplacer serait cruel.»

«Mais il est à vous»

«Il était à ma tante. Maintenant il est à vous. Vous lavez sauvé deux fois: dabord de la faim, puis de la maladie. Il vous appartient.»

Je nen croyais pas mes oreilles.

«Vraiment?On peut le garder?»

«Oui. Si jamais il vous faut de la nourriture ou des soins, ditesle nous, on vous aidera.»

Après le départ de Sophie, je suis resté longtemps assis sur le porche, caressant le rouquin.

«Tu entends, mon ami?Tu restes avec moi, pour toujours.»

Il a ronronné, les yeux à moitié clos, satisfait.

Le soir, Léontine ma appelé :

«Papa, comment va le chat?Estil vivant?»

«Il est vivant. Et il est officiellement à moi. Les propriétaires sont venus, ont laissé le chat.»

«Alors tout va bien.»

«Tu sais ce que jai compris?»

«Quoi?»

«Un homme solitaire et un chat solitaire se sauvent mutuellement. Je lai sauvé de la faim, il ma sauvé de la solitude.»

«Arrête tes philosophies,»

«Ce nest pas une philosophie, cest la vérité. Jai maintenant une raison de me lever le matin, de préparer la bouffe, de donner ses médicaments. Et la joie dentendre un ronronnement à la porte.»

Léontine est restée muette, peutêtre atelle compris que ce chat était vraiment essentiel pour moi.

«Tu ne vas plus jamais déménager chez nous?»

«Jamais. Jai tout ici: la maison, le potager, le rouquin. Pourquoi quitter le calme de la campagne?»

«Très bien, alors tu restes.»

«Je reste. Nous restons.»

Un an plus tard, le rouquin et moi menons une vie rythmée. Le matin, petitdéjeuner et promenade parmi les rangées de carottes. Le jour, les corvées de la ferme, le chat sommeille à lombre. Le soir, dîner devant la télé, le félin est lové sur mes genoux. Les voisins le connaissent désormais:

«Pierre, votre chat est devenu tout à fait docile!»

«Il ne mappartient pas, nous ne faisons quun.»

Cest le cœur qui compte. Nous nous sommes sauvés lun lautre, le vieil homme solitaire et le vieux chat sans maître. Nous avons trouvé dans lautre ce que nous cherchions: chaleur, compréhension, sens de lexistence.

Et finalement, questce qui rend heureux? Un ronronnement sur les genoux, le souvenir davoir écouté son cœur plutôt que sa raison.

Оцените статью
«– Tatu, tu t’es vraiment acheté un chat ? – s’étonna Ludmila, la fille qui était venue passer le week-end. »
« Invitée fantôme : Mon introspection après avoir été oubliée pour un mariage en Provence »