Ma chérie, ne pense pas du mal de moi ! Je ne suis pas sans-abri. Je m’appelle Michel Sébastien. Je suis venu voir ma fille. C’est difficile à raconter…

Écoute, ma petite, jai une histoire à te raconter, comme si on était assis à la terrasse dun café à Paris, le soir du Nouvel An qui approche à grands pas.

«Ma fille, ne te méprends pas! Je ne suis pas sans-abri, » me lance Michel Sébastien, un vieil homme un peu cabossé mais au regard franc. «Je mappelle Michel Sébastien. Je suis venu voir ma fille. Cest difficile à dire»

Il ne reste que quelques heures avant le réveillon. Tous les collègues sont déjà rentrés chez eux, mais Irène, elle, nattendait personne…

Pour ne pas reprendre le travail le premier janvier, elle a décidé de tout préparer davance. Elle est rentrée chez elle en vitesse, deux salades, des fruits et du champagne déjà dans le frigo, tout prêt. Elle navait plus envie de se faire belle pour qui que ce soit ; elle aurait préféré enlever ses talons et enfiler son peignoir tout doux.

Cela fait plusieurs mois quIrène et André se sont séparés, une rupture si douloureuse quelle na plus envie de se lancer dans une nouvelle relation. Elle se sentait bien seule, sans pression. André essayait de la reconquérir, lappelait à plusieurs reprises, mais Irène nen voulait plus. «Rien ne marchera, on nest plus compatibles, cest trop compliqué.» Elle ne voulait même plus parler de lui, cétait du passé, pas la peine de gâcher la fête.

Irène descend du bus, à deux pas de chez elle. En passant devant limmeuble, elle remarque sur un banc un vieux monsieur qui tient une petite sapinette. «Peut-être quil attend quelquun?» se dit-elle.

Elle le salue, il hoche la tête sans croiser le regard. Elle a limpression que des larmes lui brillent dans les yeux, ou bien que cest le reflet des lumières, mais elle ny prête pas attention et se précipite vers son appartement.

Le soir commence à se rafraîchir, Irène frissonne. Elle prend une douche, enfile son pyjama en peluche préféré, se prépare un café et regarde par la fenêtre.

Étrangement, le vieil homme est toujours assis sur le banc. «Ça fait plus dune heure que je suis rentrée, il reste deux heures avant le Réveillon sil est venu rendre visite, pourquoi restetil dehors?Et ce regard brillant!», se demande-t-elle.

Elle dresse la table, allume les guirlandes autour de son sapin, mais ses pensées reviennent sans cesse à ce solitaire. Après une demiheure, elle regarde à nouveau par la fenêtre : lhomme est toujours immobile.

«Peutêtre quil a froid?», pense-telle. Elle enfile rapidement son manteau et sort.

En sapprochant du banc, elle sassied à côté de lui. Lhomme la regarde, puis se tourne.

«Excusezmoi, tout va bien?Je nai pas pu mempêcher de remarquer que vous restez là tout seul. Il fait froid dehors. Vous avez besoin daide?», lance Irène.

Le vieux soupire. «Rien du tout, ma petite! Tout va bien, je reste juste un moment, puis je partirai.»

«Où?»

«À la gare, pour rentrer chez moi.»

«Ce nest pas la peine. Je ne veux pas vous voir revenir demain sur ce banc gelé. Levezvous, sil vous plaît! Venez chez moi, vous vous réchaufferez, puis vous irez où vous devez.»

«Mais»

«Pas de «mais»! Allonsy!»

Irène sait que si sa copine Sylvie était là, elle ferait de grands yeux, mais Sylvie nest pas là, et elle ne pouvait pas laisser ce monsieur tout seul. Le vieil homme se lève, prend la petite sapinette.

«Je peux la prendre?»

«Allezy, pourquoi pas.»

Ils rentrent dans lappartement, il pose la sapinette dans le couloir, se déshabille doucement, chaque pas semble lourd, on voit quil a vraiment froid. Il sassoit à la cuisine, Irène lui sert du thé. Il réchauffe ses mains autour de la tasse, boit quelques gorgées, puis lève les yeux.

«Ma fille, ne te méprends pas! Je ne suis pas sansabri. Je mappelle Michel Sébastien. Je suis venu voir ma fille. Cest difficile à raconter»

Il explique que, depuis quil a rompu avec sa femme Lucie il y a une dizaine dannées, il a tout perdu. Il a aimé une nouvelle femme, mais les choses se sont compliquées, il a fini par abandonner. Leur fille, Claire, navait que cinq ans quand il a commencé à être absent. Il essayait daider, mais Lucie était très fière, refusait toute aide, même la pension alimentaire. Elle a même refusé les allocations, voulant élever Claire toute seule. Il a tenté dintervenir par les parents, par elle, mais rien na fonctionné. Elle a fini par retourner contre lui.

Un jour, au jardin denfants, il voulait offrir un jouet à Claire, mais elle a couru, refusant de parler, disant quil nétait personne pour elle. Il a alors décidé de ne plus apparaître. Avec son exfemme, ils ont quitté la ville, il a essayé denvoyer de largent, qui revenait toujours, alors il a arrêté. Dix ans plus tard, ils sont revenus, les parents disparus, il a habité lappartement familial, puis la vendu pour acheter une petite maison à la campagne, près de Paris. Aucun enfant na suivi. Il a perdu sa compagne il y a deux ans, il est resté seul.

«Aujourdhui, je suis venu voir ma fille je nattendais pas de pardon. Cela fait des années que je ne lai pas vue. Elle vit toujours dans le même appartement que nous.»

Il a acheté un sapin, est allé chez Claire, mais elle ne la même pas laissé entrer. Il comprend tout. «Pourquoi suisje venu? Questce que jespérais? Je ne veux rien Jai une maison, une bonne retraite, je pourrais laider.»

Il se souvient que tout aurait pu être différent si Lucie lavait laissé être présent dans la vie de Claire. Il sort de lappartement, erre sans but, sassoit sur un banc, comme figé. Le destin la mené ici, mais il pense quil a encore une raison dêtre.

«Merci, ma fille, je suis réchauffé, je vais prendre le bus pour rentrer.»

«Mais où allezvous la nuit? Le bus ne passe que le matin, et il reste une demiheure avant le Nouvel An. Restez, je vous mets le canapé, et vous partirez demain,» propose Michel.

Irène regarde le vieil homme, un peu surprise. «Cest vraiment gênant, ma petite! Aujourdhui presque personne laisserait entrer un inconnu comme ça. Honnêtement, je nai plus envie dêtre seule ce soir, si tu acceptes, je reste un moment et je partirai demain matin.»

«Entendu,» répond Michel, en se levant.

Le matin, il se prépare à partir. «Merci, Irène, pour tout. Tu es un ange, tu mas évité une mauvaise décision, jallais rester ici sur ce banc.»

«Si tu veux, viens me rendre visite! Ce nest pas loin, jai une petite ferme avec une petite ruche, cinq ruches derrière la maison, lété est magnifique.»

Il raconte que sa fille Marie adore le jardin, les pommes, les poires, tout y pousse. «En hiver cest aussi agréable, la rivière est près, tu peux venir te reposer.»

Irène le regarde par la fenêtre jusquà ce que Michel disparaisse au coin de la rue. «Cest comme ça que la vie fonctionne! On ne veut pas connaître les proches, mais parfois les étrangers deviennent comme des proches.»

Irène a perdu ses parents très jeune, et en entendant le récit mélancolique du vieil homme, elle a décidé quelle le rendrait visite. Alors, voilà, mon amie, cest lhistoire. Fais attention à ceux qui croisent ton chemin, ils peuvent parfois devenir des trésors inattendus.

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