Dans la pièce voisine, une sonnerie retentit. Renversant sa casserole, Justine se précipita. Le garçon regardait, éberlué, le vase brisé.

Dans la pièce dà côté, un tintement retentit. Renversant une casserole, Justine se précipita. Un garçonnet regardait, éberlué, le vase brisé.

« Quest-ce que tu as fait ? » hurla la maîtresse de maison en lui assénant une serviette mouillée.

« Mémé, je vais nettoyer ! » Il se jeta sur les éclats.

« Je vais ten donner, moi, du nettoyage ! » La serviette sabattit de nouveau sur son dos. « Assis-toi sur le lit et ne bouge plus ! »

Elle ramassa les morceaux, retourna à la cuisine. Une flaque par terre, des pommes de terre éparpilléesau moins, elles étaient crues. Elle les lava, les remit au four. Puis elle sassit et pleura, maudissant sa fille mentalement :

« Pourquoi, pourquoi tout le monde a une famille normale, sauf moi ? Pas de mari pour moi, ni pour ma fille. Et si ça pouvait rester ainsi Mais non, elle est allée à la gare en ville, elle va me ramener un nouveau gendre, un gardien de prison. Tu parles dun bon parti ! Trois ans de correspondance, de lamour sans même lavoir vu. Et maintenant, il va vivre ici. Comme si ce nétait pas assez de nourrir ma fille et son gamin, il faudra le nourrir, lui aussi. Eh bien, je vais le faire déguerpir, ce gendre ! Il filera comme un lapin. »

« Mémé, je peux sortir ? »

« Va, va ! Mais habille-toi bien. Et ne va pas près de la rivière, la débâcle peut commencer dun jour à lautre. »

« Daccord, mémé ! »

On aurait dit quils étaient arrivés. Justine regarda par la fenêtre. De là, elle voyait que son visage était criblé de cicatrices. Quest-ce quelle fabriquait, cette idiote ? Un gardien de prison, en plus dêtre un épouvantail

La porte souvrit. Ils entrèrent.

Fantine avait ramené son prétendant.

« Tiens, justement, je venais pour lui », ricana le gendarme. « Je vais vérifier son certificat de libération. Et voir quel homme est ton futur mari. »

« Vas-y ! Ils sont en train de déjeuner. Mais il nest pas mon gendre, et ne le sera jamais. »

***

Justine partit chercher son petit-fils. Pas besoin de le chercher bien loinle voilà qui courait avec les gamins. Mais elle navait pas envie de rentrer. Elle bavarda un moment avec les voisines. Quelle le veuille ou non, il fallait bien rentrer.

Elle regarda les énormes bûches. Comment les fendre ? Elle entra dans le hangar, prit une hache, et commença à tailler des copeaux du plus petit rondin. Elle leva de nouveau le brasune main forte intercepta la hache.

« Tante Justine, laissez-moi essayer ! »

« Essaie ! » Elle le toisa, renfrognée.

Il passa un doigt sur le tranchant, secoua la tête :

« Vous avez une pierre à aiguiser ? »

« Va dans lappentis, cétait latelier de mon mari. »

***

Gaspard entra dans latelier, les yeux écarquillés. Il y avait de tout ! Il alluma la meule. Elle fonctionnait ! Il aiguisa la hache. Puis il prit le merlin posé à côté.

Dehors, il se mit à fendre les bûches en deux, puis à les débiter en bûchettes. Avant le soir, il avait tout coupé et entassé dans le hangar.

Sa belle-mère sortit, hocha la tête. Un sourire fugace glissa sur son visage.

« Tante Justine », dit-il, « il y a des troncs près de la clôture. »

« Non ! Ils ne marcheront plus. »

« Venez chez moi, jen ai une pareille. Elle ne marche pas non plus. Peut-être quavec deux, on en fera une. »

Ils allèrent chez le vieux. Sa tronçonneuse était complètement morte, mais le pignon tenait bon, et la chaîne était encore bonne.

« Prenez tout ! » sourit Anselme.

« Si elle marche, vous pourrez scier mes troncs. »

***

Le voisin lui dit alors :

« Écoute ! Tu me fends ça et tu le ranges dans le hangar ! » Il lui tendit deux billets de cinquante euros.

Gaspard sexécuta. De retour à la maison, il posa largent sur la table :

« Tante Justine, prenez ça. »

Elle hocha la tête, un sourire satisfait traversant son visage. À la campagne, on paye rarement en argent. Une autre monnaie a cours.

***

Le lendemain, Gaspard sattaqua à la motobineuse. Il était temps de labourer les potagers. Il triait des pièces dans la cour quand un gamin arriva en courant, les yeux écarquillés. Il hurla :

« On glissait sur les glaçons, et votre Thibault sest fait emporter ! Il peut pas sauter ! »

Justine et Fantine sortirent en trombe, tous courant vers la rivière.

Le glaçon, avec le garçon debout, séloignait lentement vers le milieu du cours deau. En aval, dénormes plaques de glace approchaientun embâcle sétait rompu quelque part en amont.

Fantine poussa un cri.

Mais Gaspard avait déjà plongé dans leau glacée et nageait vers le glaçon. Il grimpa dessus. Une énorme plaque fonçait droit sur eux. Elle allait les broyer.

« Écoute, Thibault », se pencha Gaspard. « Tes un vrai homme. Quand la grosse glace arrivera, il faudra sauter dessus, sinon on est finis. On aura deux secondes. Tu peux ? Donne-moi ta main ! Prêt ? Saute ! »

Gaspard saisit le garçon et le projeta sur la plaque. Il sauta à son tour, se cognant violemment le pied contre le bord. Son pantalon se teinta de rouge. Le gamin contemplait, terrifié, ses mains écorchées.

Et le glaçon dérivait vers le courant puissant du milieu. Ils furent emportés vers linconnu.

***

Du rivage, tous regardaient, horrifiés, le glaçon séloigner.

« Ils sont perdus ! » fit une voix.

« Peut-être pas », réfléchit tout haut le gendarme. « La rivière fait un virage plus loin, et Gaspard a lair malin. »

Et Yves courut vers sa 4L garée près de la berge.

Gaspard serra le garçon, essayant de le réchauffer un peu :

« Écoute, fiston. On a passé une épreuve. Là, cen est une autre. Le glaçon va percuter la rive là-bas, très fort. Allons de lautre côté. »

La rive approchait. Limpact ! Ils traversèrent toute la glace dun bond et atterrirent sur les galets.

« Vivants ! » Gaspard souleva le garçon.

« Ma main fait mal et ma jambe aussi. »

« Des broutilles ! » sourit lhomme. « Ça sera guéri avant ton mariage. »

« Ouais ! Mais ça saigne. »

« Tiens bon ! Faut remonter sur la route. »

« Ça fait mal », gémit le garçon en frottant son coude.

« Arrête de te plaindre. Tes un homme. »

***

Quelques minutes plus tard, ils atteignirent la route. La 4L apparut dans un virage. Le gendarme en sortit :

« On dirait que vous vivez ! » fit Gaspard, hochant la tête.

« Vous navez pas bonne mine ! Montez vite ! On va à lhôpital en ville ! »

***

Fantine sanglotait sur le lit. Justine ne quittait pas la fenêtre. La sonnerie du portable les fit sursauter. Fantine saisit le téléphone. À lécran : « Gendarme Yves ».

« Quoi, quoi, ils vont bien ? » cria-t-elle, collant lappareil à son oreille.

« Thibault est là, tout bandé et pansé. Je lui passe lappareil. »

« Maman », entendit-elle.

« Mon chéri, mon chéri, tu vas bien ? »

« Oui, maman ! Je suis un homme, non ? »

« Tu vois, Fantine, tout va bien ! » reprit la voix du gendarme.

Justine arracha le téléphone des mains de sa fille :

« Yves, Yves, et mon gendre ? »

« On le recoud. Attends, le voilà. »

« Gaspard ? » entendit-elle.

« Tout va bien. »

« Tante Justine, tout va bien ! » reprit le gendarme. « Je te ramène ton petit-fils et ton gendre. »

Justine soupira, soulagée, et fit signe à sa fille :

« Arrête de pleurnicher. Elle alla chercher la soupe du soir, en remplit deux bols bien pleins, et les posa sur la table en murmurant : « Ceux qui reviennent de leau ne méritent pas de manger froid. » Puis elle sassit, les mains croisées, et attendit quon frappe à la porte.

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Dans la pièce voisine, une sonnerie retentit. Renversant sa casserole, Justine se précipita. Le garçon regardait, éberlué, le vase brisé.
T’as mordu à l’hameçon, mon gars…