Le réveil ce matin-là fut pénible. Aurélie avait passé une nuit blanche dans sa chambre douillette. La dispute de la veille avec son mari, cruelle et injuste, l’avait profondément démoralisée. Tout avait éclaté lorsque Théo lui avait demandé de vendre leur appartement pour investir dans une affaire plus que douteuse.
Aurélie se leva, avala une tasse de café revigorant et commença à ranger les affaires de Théo dans une grande valise. C’est alors qu’elle remarqua l’absence de son passeport.
Je vois, il est donc parti de son propre chef. Tant mieux, murmura-t-elle, tandis que des larmes brûlantes coulaient malgré elle.
Théo avait déjà menacé de la quitter après chaque conflit. Mais les choses finissaient toujours par s’arranger, et ils continuaient à vivre ensemble. Elle était devenue cheffe de rayon dans un grand magasin, tandis que Théo enchaînait les petits boulots précaires, en quête d’une fortune illusoire.
Puis il lui avait proposé d’investir dans un commerce d’armagnac, importé en fût d’Arménie, quun petit producteur local devait mettre en bouteille avant de le revendre à des épiceries indépendantes. Il prétendait avoir des contacts.
Malgré ses promesses dexpertises et laccord supposé du producteur, Aurélie refusait catégoriquement ce projet absurde. Sans compter la somme faramineuse à débourser pour ce fût, censé rapporter trois fois plus. Mais bien sûr, ils navaient pas cet argent. Doù lidée de vendre lappartement. Et la dispute qui sensuivit.
Lappartement venait des parents dAurélie. Elle refusa net de le vendre, refusant de se retrouver à la rue. Théo lavait traitée de radine misérable, la dispute avait éclaté, et il était parti. Elle savait où : chez son ex-femme, Sabine.
Sabine lavait quitté autrefois, avant de réapparaître soudain, riche dun nouveau mari et de deux enfants. Elle appelait souvent Théo, linvitant chez elle. Il y allait, soi-disant par nostalgie. Aurélie soupçonnait que, sans les enfants, il y aurait déménagé depuis longtemps.
Mais aujourdhui, plus de jalousie, plus de colère. Juste une indifférence morne. Théo avait échoué comme mari, comme homme. Il faisait semblant de se donner à fond, alors quil ne cherchait quà « se faire un max de blé », comme il disait. Bon débarras. Que Sabine finance ses combines.
Aurélie essuya ses larmes, respira profondément et décida de reprendre sa vie en main. Plus de temps perdu pour Théo et ses folies. Lappartement resterait le sien, son avenir entre ses mains. Elle sortit son téléphone et appela Jeanne, une amie de longue date, avocate.
Jeanne, jai besoin daide, déclara-t-elle fermement. Théo est parti, je veux divorcer. Et vérifier sil ne ma pas impliquée dans des dettes ou des arnaques.
Jeanne se mit aussitôt au travail. En quelques jours, elle découvrit que Théo avait bien tenté son coup. Il avait signé des papiers louches avec des partenaires arméniens, essayant dhypothéquer lappartement. Mais sans la signature dAurélie, ces papiers ne valaient rien.
Pire, Jeanne découvrit quil avait mis en gage la voiture de son père, un ancien militaire austère et intraitable, pour obtenir un acompte. Comment il avait réussi à le convaincre, Aurélie lignorait.
Pendant ce temps, Théo, sûr de son « génie », sétait installé chez Sabine. Flattée, elle avait investi ses économies, volées à son ex-mari. Elle avait expédié les enfants chez ses parents pour « retrouver leur complicité ».
Théo lui promit monts et merveilles et se lança dans son affaire, ou plutôt son escroquerie. Il emprunta à des connaissances crédules, paya une somme conséquente, et attendit la livraison.
Mais le fût darmagnac nexistait pas. Les Arméniens avaient disparu, largent avec eux, et le producteur local feignit lignorance. Théo, criblé de dettes, perdit la voiture de son père et se retrouva poursuivi par ses « investisseurs », Sabine en tête.
Furieuse, elle le jeta dehors. Il tenta de revenir chez Aurélie, mais elle avait changé les serrures et entamé le divorce. Théo navait plus rien : pas dargent, pas de famille, une réputation ruinée. Bientôt, il fut arrêté pour escroquerie et condamné.
Libérée, Aurélie sépanouit. Elle prit un crédit hypothécaire raisonnable pour ouvrir une boutique de cosmétiques bio. Son expérience laida, et bientôt, elle remboursa sa dette et dégagea des bénéfices. Jeanne lavait guidée. Aurélie se sentait enfin forte.
Une question la hantait : comment avait-elle pu aimer un homme comme Théo ? Jeunesse, naïveté ? Sans doute.
Ils sétaient rencontrés au travail de sa mère. Elle avait vingt-cinq ans, ses amis détudes sétaient éloignés, et aucune nouvelle rencontre sérieuse ne se présentait.
Lors dun repas de fin dannée, sa mère lavait emmenée dans lespoir quelle rencontre un jeune homme brillant. Mais cest Théo, taciturne et renfermé depuis son divorce, qui avait capté son attention. À trente-trois ans, il navait pas réussi professionnellement et rêvait de « monter son affaire ». Il en avait parlé à Aurélie, encore innocente.
Sa mère lavait mise en garde :
Ne tattache pas à ce Durand, je ten supplie.
Aurélie avait rougi, incrédule.
Pourquoi ? Il a des intentions sérieuses.
Tu as grandi sans père, tu pourrais chercher une figure paternelle sans ten rendre compte.
Mais Aurélie, déjà éprise, navait pas écouté.
Trois mois plus tard, sa mère mourut. Elle devait savoir quelle était malade. Théo lavait soutenue, sétait installé chez elle. Un an après, ils se marièrent. Mais Théo quitta son emploi stable, cherchant toujours la fortune facile.
Puis vint la fausse couche. Une tragédie pour Aurélie. Théo avait commenté, froid :
Cette personne nétait pas destinée à naître.
Il sétait mis à disparaître le soir. Et puis, tout sétait effondré.
Assise dans son bureau, Aurélie sourit en repensant à tout cela. Sa mère avait vu juste. Mais maintenant, sa vie était pleine de promesses. Théo, en prison, devait regretter ses choix. Mais cela ne la concernait plus.
Le lendemain, jour de repos, elle acheta un panier de roses rouges, les préférées de sa mère, et se rendit sur sa tombe. Le soleil brillait, les oiseaux chantaient.
Sur la photo, sa mère, encore jeune, semblait la regarder. Aurélie murmura :
Tout est derrière moi, maman. Ne tinquiète plus.
Les roses tremblaient doucement dans la brise. Aurélie posa une main sur son cœur, sentit ses battements, et des larmes coulèrent. Elle savait quelle ne trahirait plus jamais la mémoire de sa mère.







