Quelqu’un a déterré ses pommes de terre en les secouant, et il a récolté la plus grande…

Quelquun arrachait les pommes de terre, les épluchait méticuleusement, et rassemblait la plus grosse dentre elles
Manon resta figée, le cœur battant la chamade. En avançant un peu plus, elle découvrit que les choux manquaient également de leurs plus gros boutons. Près de la moitié de la récolte de choux avait disparu

Élise Marchand savourait enfin son acquisition. Ce nétait pas un simple achat, cétait son rêve davoir une maison à la campagne pour ses vieux jours.

Depuis plusieurs mois, elle préparait ce projet avec soin, choisissant un petit hameau pittoresque près de Lyon, où les habitants sont peu nombreux, afin de profiter du calme, de la nature, et dun jardin intime à cultiver pour le plaisir du cœur.

Tout sétait aligné quand, dans ce hameau, une vieille bâtisse solide avec un jardin apparut, située à la lisière du village, borderline entre champs et forêt. Cette situation la séduisit : dun côté les voisins, de lautre un vaste pré, puis les bois, offrant une vue à couper le souffle.

Cest sur ce sentier doux quÉlise se promenait chaque soir, le soleil se couchant derrière les cimes de sapins et de hêtres, les crépuscules teintés dune lumière dor qui la remplissait démotion.

Au printemps précoce, alors que la terre était encore tiède, elle répara elle-même une partie du grillage en bois et en fil de fer qui sétait affaibli.

« Il faudrait un nouveau grillage, ma chère Élise, » lui suggéra sa voisine Marguerite, de son âge.

« Laisse-le tel quel pour linstant, je le changerai quand il tombera vraiment, » répondit Élise en enfonçant un poteau de fer qui venait de se casser, la hache à la main.

Marguerite sourit.

« Vous êtes une vraie maîtresse de la campagne, Élise! On ne manquerait pas de profiter de vous. Hélas, il manque des hommes dans le village beaucoup sont partis, dautres ont vieilli, dautres encore se sont éteints moi, je suis veuve depuis dix ans. »

« Moi aussi, mon destin est similaire, sauf que je ne suis pas veuve, jai divorcé quand mon mari et moi avons compris que notre union ne servait plus quà garder notre fille. Une fois quelle a grandi, étudié, marié, il était impossible de continuer sous le même toit cest ainsi que les choses se passent. »

« Au moins, on ne sinflige plus de souffrances, et cela a son avantage, » conclut Marguerite, « mais je mettrai le grillage à lautomne, plus solide. »

Toute la saison printanière et lété, Élise passa ses journées dans le potager et les bois.

« Je nai jamais passé autant de temps à lair libre de toute ma vie, » déclarait Manon, pointant du doigt les ifs devant la maison et le bois de sapins où lon cueillait toujours des cèpes, même les morilles. Les myrtilles et les fraises étaient abondantes à lété.

« Cest bon de voir les gens heureux de leur déménagement, » senthousiasma Marguerite, « pour moi, tout cela est normal. »

Elles devinrent amies. Lautomne arriva ; le potager regorgeait de gros choux, la terre était parsemée de pommes de terre qui commençaient à former leurs tubercules, et la récolte sannonçait généreuse.

Élise commença à déterrer les pommes de terre pour les cuisiner, se délectant de ces légumes parfumés.

« Marguerite, ne mattends pas, je pars en ville quelques jours, » annonça-t-elle, « nous avons le rendezvous avec nos anciens camarades de classe, lanniversaire de notre chère Solange, la doyenne de notre promotion. Je reviendrai, puis je récolterai. »

Marguerite fit un signe de la main, acquiesçant.

La soirée du rassemblement fut un succès. Manon vantait les mérites de son hameau, montrait des photos de la maison, parlait du bon rendement.

« Cette terre a reposé, » expliquat-elle à son vieil ami Valère, « deux ans sans semence, mais lan prochain jachèterai un engrais pour notre tracteur. »

« Ne te précipite pas, fais attention, » le conseilla Valère, « appellemoi si tu as besoin daide, ne sois pas timide. »

« Je compte sur mes forces, mais merci pour loffre, » répondit Manon avec un sourire.

Autrefois, Valère et Manon sétaient fréquentés au lycée, un petit flirt qui séteignit lorsque leurs études les menèrent dans des villes différentes. Le temps les avait séparés, comme leurs camarades.

Depuis, chaque année, ils se retrouvaient chez Solange avec chaleur. Valère, veuf, ne cherchait plus à refaire une famille, tout comme Élise, et ils ne cachaient rien à personne. Leur liberté était un baume pour les deux, car aucun devoir ne pesait sur leurs épaules, et ils pouvaient parler comme de vieux amis.

Un soir, Valère raccompagna Manon jusquà la porte, ils conversèrent jusquà deux heures du matin.

« Oh, il est tard, il faut que tu rentres, » dit Manon, en regardant sa montre.

« Peutêtre pourraisje rester ici un instant ? » proposa Valère.

« Non, je pars à laube pour le village, prends un taxi, ce sera mieux. »

Manon le vit partir, rassasiée davoir partagé le repas et le gâteau quelle avait préparé pour Marguerite.

Le lendemain, Manon arriva en premier bus, parcourant les prairies rosées, respirant lair frais sous le chant des coqs. Elle entra dans la maison, prit un thé, revêtit ses habits de travail, sortit dans le jardin pour examiner le début de sa journée, puis se rendit à la cour.

Le village était paisible, les habitants sortaient rarement, et Manon attendit près de neuf heures pour prendre le thé chez Marguerite.

En entrant dans le jardin, elle aperçut les buttes de pommes de terre jonchées de tubercules égarés : des tas de terre où lon avait arraché les patates, en emportant la plus grosse

Manon se figea, le cœur battant à nouveau. Elle marcha plus loin et constata que les plus gros choux manquaient également ; presque la moitié de la récolte était volée.

Un cri séchappa de ses lèvres ; elle remarqua alors le grillage brisé. Le poteau quelle avait tant travaillé au printemps était à terre, les traces de bottes lourdes marquaient le sol.

Élise courut vers Marguerite, frappa à la fenêtre ; la voisine sortit aussitôt :

« Que se passetil, Élise ? »

« On ma pillée, Marguerite, viens, allons voir que faire maintenant ? » sanglota Manon.

Marguerite, enfilant rapidement son manteau, répliqua :

« Bon sang cest parce que la maison est à la lisière, sans chien, et que tu es seule »

Elles examinèrent la scène du vol. Il était évident que des cyclistes sétaient glissés derrière le grillage, brisé le poteau, passé le filet, et avaient emporté tout ce qui était à portée de main. La petite pomme de terre était jetée, les gros choux, probablement, mis dans des sacs et emmenés à bicyclette.

« Jen avais tant, mais cest la taille qui compte, » soupira Manon.

« Exactement, et sur les légumes il ny a pas de nom; on ne pourra jamais prouver le vol. Tous les jardins ont leurs mystères. Je soupçonne les cyclistes du village voisin, des hommes qui ne travaillent plus, qui errent sans but. Mais rien à prouver, ne les cherche pas. »

« Que faire alors ? » sassit Manon sur le porche, le visage tremblant. « Jétais si heureuse, comme une enfant aux lunettes roses. Tout le monde me semblait bon. »

« Ce ne sont pas nos problèmes, Élise, ce nest pas ici, » répondit Marguerite. « Les villages voisins sont pleins de gens sans argent, ils ont besoin de boire Dieu voit tout. Ne te laisse pas abattre. Jappelle Pierre, il viendra réparer le grillage. »

Pierre arriva avant le déjeuner, posant un nouveau poteau en bois robuste et comblant louverture avec des planches solides.

« Voilà, maîtresse, prends le travail, ne sois pas découragée. De telles choses arrivent souvent dans les campagnes, il ne faut jamais laisser la maison sans surveillance, cest une leçon, » déclara Pierre.

« Et le deuxième? » demanda Manon, sans sourire.

« Deuxième, il faut changer la serrure de la porte dentrée, la remplacer par une bonne clé, sinon on devine tout de suite quon nest pas chez soi, » répondit Pierre.

« Il faudrait aussi un petit chien, même un petit, qui aboie aussitôt, » ajouta Marguerite. « Vivre à la lisière sans chien, cest impensable. »

« Trois! » répéta Manon, les doigts sagitant.

« Quatre, le grillage solide, » rappela Marguerite.

« Et un bon homme fort, » conclut Pierre.

Tous rirent, Manon essuya ses larmes.

« Ce nest pas tant les pommes de terre ou les choux qui me peine, cest tout le travail perdu, » confia-t-elle.

« Ne tinquiète pas, je te donnerai autant de choux que tu voudras, mon jardin est plein, nous les garderons pour lhiver, » lenlaça Marguerite.

Ils allèrent tous dîner chez Manon. Après le repas, elle raconta son voyage en ville, et promit de renforcer la sécurité dès que la récolte serait terminée.

Une semaine plus tard, Élise se rendit en ville, appela Valère. Il laida à acheter une bonne serrure, et ils se renseignèrent sur le prix du matériel pour le grillage.

« Je taiderai, ne refuse pas, il faut mesurer sur place, nous irons au village ensemble. Je resterai quelques jours pour examiner ton exploitation et planifier les travaux, » déclara Valère.

« Tu comptes vraiment maider? Alors je paierai » sapprêtait à dire Manon.

« Nen parle pas, je suis en congé, jai du temps et cette affaire me touche, » répondit Valère, la prenant dans ses bras.

Les villageois furent surpris de les voir travailler de concert.

« Quand le menuisier de Pierre est venu, ils ont surpris les voleurs au détour du jardin, » racontaient les voisins.

Valère invita un ami, ils posèrent un nouveau grillage en une semaine, apportant des lattes et des poteaux métalliques depuis la ville.

Élise préparait le repas aux ouvriers, heureuse que son potager soit désormais entouré dun mur solide.

« Un voleur ne pourra rien faire, » disait Valère, « mais la vraie richesse, cest toi, Élise. »

Pierre offrit à Élise un petit chiot, nommé Baron, provenant de sa chienne Julie. Le petit animal courait dans la cour, ressemblant plus à une peluche quà un gardechien, mais il apportait de la joie. Une niche renforcée fut construite pour lui, à côté du jardin, afin quil puisse surveiller.

« Tout semble en ordre, » sourit Manon un aprèsmidi, lorsque les voisins partageaient le thé.

« Comment ça se passe? Le nouveau garde estil solide? » demanda Pierre, « Valère resteratil ici durablement? »

« Bien sûr, » acquiesça Marguerite, « on voit bien laffection entre vous deux. »

« Il ne prend pas dargent, mais je ne limiterai pas sa liberté, il fera ce quil veut, » répliqua Valère, détournant la question.

Après son congé, Valère revint chez Élise avec des provisions.

« Tu acceptes un assistant permanent? » plaisanta-til à lentrée, « je ne demande que des soupes, du pain, et peutêtre des tartes. Le potager nest pas à court. »

« Exactement, il faut y mettre les mains, » rit Élise, « passe, tu garderas la maison pendant que Baron grandit. »

Valère continuait de travailler en ville, ne revenant que rarement à son appartement pour régler les factures. Manon loua son appartement à des locataires, attendait le retour de Valère, qui revenait avec des sacs dachats, le trajet villevillage étant devenu habituel.

Tous appréciaient leur compagnie, le manque de chaleur familiale les rattrapait, mais le confort du foyer les réconfortait.

Un an sétait écoulé, un mois après, le couple était respecté dans le village, sans jamais oublier la ville, où ils passaient le printemps au sanatorium préféré. Là, Pierre gardait la maison, nourrissait Baron, le chat, et rendait compte de la situation par téléphone.

« Reposezvous au sanatorium, ne vous inquiétez de rien, la maison, le chat, le chien, tout est sous contrôle, » disaitil à Manon.

« Je suis convaincue que le meilleur repos, cest chez nous, dans notre village. Je ne peux plus attendre de rentrer, » répondaitelle.

Ainsi, Valère et Manon vécurent ensemble, de moins en moins attirés par les contrées lointaines, car leurs champs offraient des couchers de soleil inoubliables.

Ils aimaient flâner aux abords du bois, escortant le soleil vers le repos. Le fidèle Baron courait à leurs côtés, joie de la promenade, chassant les corbeaux qui se posaient sur le bord de la route.

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