**Journal dun Homme Une Leçon sur les Limites**
Ce midi, encore cette question qui me glace le sang. *« Quest-ce quon mange aujourdhui ? »* Cette voix, je la reconnais aussitôt. Cest Louis, le neveu de ma femme, douze ans, planté dans lencadrement de la porte avec ce regard mi-suppliant, mi-exigeant. Depuis un mois, cest devenu notre rituel.
Je pose le pull de Théo que je pliais et lentraîne vers la cuisine. Le frigo souvre sur un vide désolant. Comme dhabitude, ma belle-sœur, Élodie, na rien laissé pour son fils. Je sors le reste de la soupe dhier celle que javais préparée pour nous , la réchauffe et la pose devant Louis avec une purée et une escalope froide.
*« Merci, tonton »*, marmonne-t-il sans lever les yeux.
Je retourne plier le linge, mais mon esprit est ailleurs. Comment en suis-je arrivé là ? Il y a deux mois, tout était différent
Je me souviens de ce soir où Théo est rentré, lair sombre. Il sest assis près de moi, ma pris les mains. *« Julien, jai une demande Élodie et Marc, avec Louis, nont plus de logement. Le propriétaire les a mis dehors, sans même rendre la caution. Ils traversent une passe difficile. Et nous, on a cette grande maison »*
*« Nous avons cette maison, oui »*, avais-je coupé sec. *« Mais je ne veux pas vivre avec dautres. Ce nest pas leur place ici. »*
Il avait insisté, parlé de famille, de stabilité pour Louis avant la rentrée. *« Ce ne sera que quelques mois, le temps quils économisent. »* Javais cédé, voyant lespoir dans ses yeux.
Les premiers jours avaient été paisibles. Élodie aidait en cuisine, Marc se faisait discret. Puis elle a repris le travail. Et tout a basculé.
Désormais, elle ne cuisine que le soir juste assez pour eux. Son fils, rentrant du collège, vient chaque midi me réclamer à manger. Cette phrase me brûle les oreilles. Jai envie de hurler, mais ce nest pas sa faute.
Ce soir-là, jai tenté den parler à Théo. *« Ce nest pas normal. Louis na rien à midi. »*
Il a haussé les épaules. *« Tu es là, ce nest pas compliqué de le nourrir. »*
*« Ce nest pas mon fils ! Et mon salaire ne suffit pas à entretenir un enfant qui nest pas le mien. »*
*« Mais on est une famille »,* a-t-il répondu, incrédule.
Il ne comprenait pas. Pour lui, cétait naturel que je moccupe des siens.
Puis, une bouée de sauvetage : mon ami Antoine ma proposé de passer quinze jours dans sa maison en Provence. *« Du calme, du bon vin, et internet marche très bien. »*
Jai sauté sur loccasion. Enfin, respirer !
Théo na pas bronché quand je lui ai annoncé mon départ. Mais à peine installé à la campagne, le téléphone a sonné. Élodie, hystérique. *« Comment oses-tu laisser Louis sans manger ?! »*
*« Ce nest pas mon problème »,* ai-je répondu calmement avant de raccrocher.
De retour à Paris, laccueil fut glacial. Élodie, le visage dur, ma accusé de trahison. *« Mon fils a mangé des surgelés pendant deux semaines ! »*
Je les ai regardés, Théo honteux, elle furieuse. *« Louis est ton neveu, pas le mien. Je ne suis pas votre cuisinier. »*
Silence tendu.
Dès le lendemain, jai acheté uniquement pour nous. Théo mangeait au bureau. Louis me fixait avec ses grands yeux, mais je nai pas cédé.
Au troisième jour, Élodie a cédé. Elle sest levée plus tôt, a préparé des plats. Avant de partir, elle a craché : *« Réchauffe-lui le pot-au-feu à midi. »*
Jai souri. *« Ce nétait pas si difficile, non ? »*
La paix est revenue fragile, mais réelle. Une leçon : on ne profite pas indéfiniment de la gentillesse des autres. Et surtout, on ne me prendra plus pour acquis.







