Après l’amour, après la douleur : l’histoire d’une renaissance

*Lamour sest éteint, la douleur sest estompée*

«On ne ta donc jamais dit, petite, que le bonheur ne se bâtit pas sur le malheur dautrui ?» demanda Anaïs avec un léger reproche dans le regard.

«Si, bien sûr. Dans les livres, dans les contes. Mais quand on est enfant, ces mots glissent comme leau sur les plumes dun canard. Comment comprendre ce quest le bonheur, le malheur ? Comment imaginer construire quelque chose daussi abstrait sur la souffrance des autres ? À cet âge-là, on rêve de bonbons, de glace, de dessins animés, de séances de cinéma»

Dailleurs, toutes mes tantes et oncles en étaient à leurs deuxièmes, troisièmes mariages Où aurais-je pu trouver la moindre leçon de morale ?

Anaïs, mon amie, toujours droite, incorruptible. Jamais elle ne me jugeait. Au contraire, elle écoutait mes histoires damour tortueuses avec un sourire, un verre de vin à la main.

Elle, cependant, ne se permettait aucune frivolités. Professeure à luniversité, elle devait tenir son rang. Tout chez elle respirait la stabilité, linaltérable.

Pourtant, dans leur jeunesse, son mari, Victor, se laissait souvent emporter par Bacchus, faisait des scènes, flirtait avec dautres. Mais Anaïs lavait dompté, lavait « guéri » à jamais. Aux repas de famille, il grognait parfois :

«Il faut bien que je mamuse un peu, non ?»

Et Anaïs, imperturbable, répondait :

«Si tu ne sais pas te tenir en société, Victor, abstiens-toi.»

Il se taisait alors. Avec les années, il avait appris à se contenter du rôle de sommelier officiel, versant scrupuleusement le vin, surveillant les verres, présentant les fromages avec empressement.

Parfois, Anaïs lemmenait en vacancesMarrakech, Majorque. Mais même là-bas, il se comportait mal.

«Figure-toi, me raconta-t-elle à son retour, pendant que je nageais, ce bougre a lié conversation avec une créature disons entreprenante, au bar. Je les vois rire, siroter des cocktails. Et cette femelle le dévorait des yeux. Bon, me dis-je, une fois rentrés à lhôtel, je lui montrerai de quel bois je me chauffe !»

«Il a nié, bien sûr ?» demandai-je en riant.

«Évidemment ! Il a prétendu que jexagérais, que je fantasmais.»

«Et toi ?»

«Bah Quil rêve. Où irait-il, mon Victor ? Avec son salaire de misère, qui le voudrait ? Même si quelque veuve esseulée le ramassait, elle le jetterait dehors au bout dun mois. Il na rien à offrir, à part ce regard de chien affamé.»

Quand Serge entra dans ma vie mariée, je sentis aussitôt que quelque chose clochait. Il était lui-même époux, père de deux garçons. Je résistai de toutes mes forces. Mais lamour déferla comme une avalanche. Un amour déchirant, brûlant.

Ma conscience me chuchotait à loreille :

«Arrête-toi. Ne touche pas au fer rouge. Quelle folie ! Tu as ton foyer, pourquoi te jeter dans les bras dun homme pris ? Tu ne verras que larmes et désolation.»

Mais javançai, aveugle, sourde. Un jour sans Serge était un jour perdu. Nous nous noyâmes lun dans lautre, un couteau à la gorgeimpossible de fuir.

Et puis, tous les obstacles tombèrent.

Nous voilà seuls, enchaînés par cette passion vénéneuse. Et le cercle vicieux commença.

Six mois plus tard, il apparut que nous navions rien en commun. Pourtant, nous nous accrochions à lillusion dun amour encore vivant. Combien de fois lai-je ranimé, sauvé de justesse ?

Serge buvait sans retenue, mentait effrontément, levait même la main sur moi. Nous étions de deux mondes opposés. Je le chassais, confisquais ses clés, coupais son téléphone, imposais des silences lourds. Il disparaissait une semaine, un mois. Puis revenait, fleurs et désir brûlant à la main.

Je cédais. Car je laimais malgré tout, incapable de leffacer. Mais jaurais dû. Il me vida, me retourna comme un gant, me piétina. Alors, pour me sauver, je me jetai dans une nouvelle relation. Par vengeance. Pour lui faire mal, à mon tour.

Un jour, après une énième dispute, Serge sévanouit dans la nature. Je téléphonai à un ancien admirateur. Certaines femmes gardent toujours un atout dans leur manche

Vincent était lantithèse de Sergecalme, poli, sobre. Dabord, il me plut. Mais un mois plus tard, lennui sinstalla. Terne, plat, sans étincelle. Moi qui ne rêvais que de montagnes russes. Je regrettai vite de lavoir laissé entrer dans ma vie. Pas mon genre. Il continua pourtant à mappeler, jusquà comprendre quil était définitivement congédié.

Me voilà seule. Enfin libre. Soulagée. Un mois passa, paisible, solitaire.

Puis Serge demanda à me voir. Je courus, le cœur battant. Je laimais encore, espérais encore.

«Laure, séparons-nous. Sinon, nous nous détruirons. Cette passion est trop violente», murmura-t-il, évitant mon regard.

«Daccord. Tu as raison, Serge. Nous ne savons pas vivre ensemble. Tout est tranchant comme une lame.» Mon cœur se brisa, mais je gardai mon calme.

Nous partîmes dans des directions opposées. Pour trois jours Puis on sonna à ma porte. Serge était là, champagne, fleurs, regard enflammé.

La nuit brûla. Nos corps ne firent plus quun. Nous tombâmes dans le ciel, étouffés par lamour.

Je savais que laube napporterait rien de bon. Cette nuit avait été trop parfaite, trop douce, trop intense

Et je ne me trompais pas. Tous mes tourments passés nétaient que préambule. Serge mapprit quil devait une somme colossale à des hommes peu recommandables. Une dette de jeu. Sil ne payait pas, les conséquences seraient graves.

Nous mîmes des mois à rembourser. Il vendit son appartement, sa voiture Et après cela, mon amour pour lui séteignit brusquement. Cette dette fut la goutte deau qui fit déborder le vase.

Aujourdhui, plus rien. Nous vivons comme de vieux amis, comme des cousins éloignés. Nous parlons, rions, dormons dans des lits séparés. La vie continue, tiède, sans éclat. Jai épuisé la coupe jusquà la lie. Le bonheur ne sest pas bâti.

Lamour sest éteint. Et la paix, lentement, est revenue.

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