Le bonheur est possible

**Journal intime : Le bonheur est possible**

Mon père, Julien, est si gentil, si joyeux, si bon. Le meilleur papa du monde.

Moi, Amélie, jattends toujours son retour avec impatience quand il part en voyage daffaires. Il ramène des cadeaux, mais surtout des histoires incroyables.

Maman, Élodie, devient toute gaie à son arrivée. Mamie, en revanche, sassombrit. Elle ne vient plus nous voir ces jours-là.

Je rêve quils sentendent, mamie et papa.

Ah, ses histoires ! Elles me font tellement rire que jen ai mal au ventre.

Cette fois, il ma offert une grande poupée et un lapin en peluche, tout blanc.

Ce lapin, cest une fille, hein, papa ?

Oui, Amélie Sais-tu comment elle sappelle ?

Non

Sophie.

Sophie ? Comme maman ?

Oui, pour que tu aies toujours une petite Sophie près de toi.

Papa sourit, maman aussi. Il lui offre aussi des cadeaux, elle rougit et dit quil nous gâte trop.

Comment ne pas vous gâter ? Vous êtes mes filles adorées.

On dîne ensemble, puis papa me raconte ses drôles danecdotes.

À larmée, il y avait un soldat, tu sais comment il sappelait ?

Comment ? dis-je, curieuse.

Tonnerre. Un colosse, épaules larges comme ça ! Il écarte les bras. Fort, puissant, et son meilleur ami sappelait Souriceau, petit comme une souris. Inséparables.

Et il y avait un troisième, un certain Chat. Imagine : Chat, Souriceau et Tonnerre, toujours ensemble.

Je ris aux éclats jusquà mendormir, heureuse.

Le lendemain, on passe la journée au parc, on mange des glaces, on fait des tours de manège. Je mendors sur son épaule, épuisée.

Mais au réveil papa avait disparu. Peut-être dans la salle de bains ?

Maman, pensive, est assise à table.

Maman, papa va bientôt sortir ? Je dois me brosser les dents.

Ma chérie Elle sourit, mais ses yeux brillent de larmes. Papa est reparti.

Pour le travail ? Cest urgent ?

Oui, ma puce. Très urgent.

Les années passent. Papa revient par intermittence. Mamie, elle, refuse den parler.

Il ne dit même pas bonjour correctement. Travail par-ci, travail par-là Pourquoi il ne se marie pas, hein ? Il cache quelque chose. Je parie quil est déjà marié ailleurs.

Élodie, écoute-moi, la prochaine fois, vérifie son passeport !

Maman, arrête !

Papa revient, je suis heureuse. Mais maman Je remarque quils parlent de plus en plus fort. Papa sassombrit quand elle lui chuchote des choses, exigeante. Sans doute à propos de son travail.

Un jour, il repart, épaules voûtées, sans même rester dormir.

Je te lavais dit, Élodie ! Un menteur ! Tu le savais, avoue !

Je lai découvert trop tard, maman. Il ma suppliée de garder lenfant Il laime, tu comprends ?

Sil taimait, il vivrait avec toi !

Maman pleure en silence.

Papa finit par revenir. Ils senferment, discutent longtemps. Les choses semblent rentrer dans lordre, mais une tension persiste. Maman menvoie tôt au lit, lair triste.

Puis, plus rien. Un jour, je demande quand il reviendra. Mamie grogne :

À quoi bon un père pareil ?

Pourtant, jattends.

Je ne savais pas quune autre fille, quelque part, lappelait aussi « papa ».

Je serre mon lapin blanc et murmure :

Sophie, toi, tu comprends, nest-ce pas ? Papa nous aime

Il ne revient jamais. Puis un jour, je le vois. Avec une femme, une fille de mon âge, un garçon. Ils rient, main dans la main. Une vraie famille.

Je veux lappeler, mais les mots me restent en gorge. Il ne me voit même pas.

Cette nuit-là, je ne dors pas. Les mots de mamie résonnent : il a une autre famille.

Le matin, je vais voir maman.

Maman il a une autre famille, cest vrai ?

Elle baisse les yeux.

Oui, ma chérie. Depuis toujours.

Et nous, alors ?

Nous étions sa famille aussi. Mais pas celle « officielle ».

Je regarde par la fenêtre, les larmes aux yeux.

Pourquoi tu ne mas jamais rien dit ?

Parce que tu laimais. Et moi aussi. Et il taimait, crois-moi.

Je me souviens des rires, des cadeaux, de sa main sur ma tête. Cétait réel.

À douze ans, maman épouse Bertrand. Il ne me maltraite pas, mais mignore.

Je grandis, jétudie, je travaille. Jévite de penser à lui.

Puis, un appel. Après des années de silence.

Ma puce, comment vas-tu ? Tu as trouvé un travail ?

Je réponds froidement. Mais il insiste pour quon se voie.

Dans un café, je le retrouve vieilli, les tempes grises. Son sourire reste le même.

Tu es magnifique, dit-il.

Je le regarde. Ce nest plus seulement « mon papa parfait ». Cest un homme qui nous a menti.

Je sais tout, papa. Ta famille. Tes autres enfants.

Il soupire.

Pardonne-moi. Je nai jamais voulu te faire souffrir. Jai été lâche.

Je me tais. Jai envie de le frapper, de le serrer contre moi.

Tu sais quoi ? Sois là. Sans mensonges. Sois mon papa, cest tout.

Il hoche la tête, les yeux humides.

Je tends la main. À cet instant, je lui pardonne. Pas pour ses actes, mais parce quil reste mon père.

Des années plus tard, jai une fille : Anaïs.

Un jour, papa vient nous voir. Sans cachotteries. Anaïs court vers lui.

Papi est là !

Le soir, il raconte des histoires.

À larmée, il y avait un soldat Tu sais comment il sappelait ?

Comment ? dit Anaïs, les yeux brillants.

Tonnerre !

Elle rit, comme moi autrefois. Mon cœur se réchauffe.

Il nest pas parfait. Mais il est là, honnêtement.

En couchant Anaïs, je repense à mon lapin blanc, Sophie.

La vie est plus compliquée que mes rêves denfant. Mais ce soir, en les entendant rire ensemble, je sais une chose : le bonheur est possible.

Simplement, il arrive autrement quon ne limagine.

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