**Le Cœur dune Mère**
« Maman, qui est Fifine ? Est-ce notre maîtresse ? Pourquoi nous nourrit-elle si mal ? » Les petits yeux curieux de Roux fixaient Simone, attendant une réponse. « Non, mon chéri, elle nest pas notre maîtresse. Cest juste une vieille dame malade Elle ne sait pas ce quelle fait. » « Maman, est-ce que les gros chats vont me manger, comme ma petite sœur ? » murmura Roux en tremblant de peur. Simone soupira, le cœur lourd. « Non, mon chéri, ils ne te mangeront pas ! Je te le promets. » Elle se mit à lécher tendrement son petit, son dernier enfant, et Roux sapaisa peu à peu, sendormant dun sommeil paisible.
Simone était née dans la cave dun immeuble parisien. Ils étaient quatre chatons. Leur mère, une jeune chatte inexpérimentée, avait eu sa première portée. Dès quun nouveau prétendant sétait présenté, elle avait oublié ses petits, courant après lamour. Pourtant, Simone lui en était reconnaissante. Malgré son caractère volage, sa mère leur avait offert beaucoup de tendresse avant de disparaître. Elle les avait allaités, leur avait appris à manger seuls. Après son départ, les chatons avaient dû quitter la cave pour errer dans les rues. Au début, ils étaient restés ensemble dans la cour de limmeuble, où quelques âmes charitables leur donnaient à manger. Le temps passa Le frère gris fut écrasé par une voiture, Tigrette déchirée par des chiens. Simone les avait veillés, pleurant leurs petits corps inanimés, jusquà ce que le concierge la chasse à coups de balai. Elle lavait vu ramasser leurs dépouilles avec une pelle pour les jeter dans la poubelle. Le sort de sa sœur lui était inconnu.
En grandissant, Simone apprit les lois de la rue. Elle vivait discrète, solitaire, fuyant les regards.
Puis vint lenfer Fifine Elle lavait croisée près des poubelles, où la vieille femme fouillait avec avidité, entassant des trésors douteux dans son immense sac. Ses yeux fous sétaient posés sur Simone : « Minette, viens ici, viens ! » Personne ne lui avait appris à craindre les vieilles femmes édentées. Elle sétait approchée, espérant une miette. Soudain, Fifine lavait attrapée sous le bras, emportée dans son antre.
« Tu tappelleras Simone, » avait-elle déclaré en la jetant au sol avant de loublier aussitôt. Des dizaines de paires dyeux affamés sétaient tournés vers elle « Minou-minou ! » avait crié Fifine depuis la cuisine, où elle déballait ses « trésors ». Les chats, perdant tout intérêt pour Simone, sétaient rués vers elle.
Lhorreur. Simone naurait jamais imaginé quun humain puisse vivre ainsi. Des montagnes de vêtements sales, de vaisselle crasseuse, des flaques durine et dexcréments, des nuées de mouches et de cafards. Et des chats tant de chats. Malingres, malades, terrorisés. Quelques-uns, plus forts, agressifs, étaient les favoris de Fifine. Pourquoi gardait-elle les autres ? Même elle nen savait rien.
Commencèrent alors des jours de faim, de peur, où la maladie et la mort étaient monnaie courante, où les chats affamés dévoraient les nouveau-nés que Fifine navait pas noyés à temps. Simone trouva un recoin sombre où se cacher.
Un mois plus tard, elle comprit avec terreur quelle serait mère. Sur les pavés, un ami de cœur lavait courtisée avec élégance, mais brièvement. Et maintenant, dans cet enfer, ses petits allaient naître
Elle mit bas en silence. Deux merveilles : une petite noire, semblable à son père, et un garçon roux, son portrait craché. Perlette et Roux
Elle les protégea comme elle put. Mais les autres chats, affamés, rôdaient de plus en plus près. Un jour tragique, alors quelle sétait assoupie une minute, un cri perçant la réveilla puis le bruit sec des os de Perlette broyés. Folle de douleur, Simone avait rugi, prête à bondir sur le meurtrier, quand la voix de Roux lavait arrêtée : « Maman ils ont mangé Perlette ? » Elle avait vu ses yeux emplis deffroi. Sil lui arrivait malheur, qui protégerait son fils ? Les larmes aux yeux, elle murmura : « Nous fuirons dici. Je te sauverai. »
« Police, ouvrez ! » Des coups violents ébranlèrent la porte. Fifine sagita, paniquée. « Ouvrez, vos voisins ont porté plainte ! » Résignée, elle tourna la clé. À ce moment, une chatte rousse jaillit, son petit entre les dents, et fila comme une flèche dans lescalier
Baptiste regarda ses yeux voilés de douleur, les larmes coulant sur ses joues. Il savait ce quelle voulait dire. « Ne tinquiète pas je moccuperai de lui. » Roux, inhabituellement calme, léchait le visage de sa mère. Simone mourut ce jour-là. Son petit cœur navait pas supporté la perte de sa fille. Elle la voyait en rêve, lappelant vers larc-en-ciel Et Simone sétait laissée aller.
Il pleuvait le jour de sa mort. Baptiste lenterra dans un bosquet de bouleaux, puis resta longtemps avec Roux près de sa tombe. Il se souvenait Une période sombre. Il venait de perdre ses parents dans un accident. Puis cette vieille folle, cette puanteur, cette chatte rousse fuyant avec son petit, incapable douvrir la porte, le suppliant du regard. Lui, le gendarme qui, par hasard, avait aidé leur évasion. « Tu tes enfuie ? Je comprends Viens chez moi. Je ne te ferai pas de mal. »
Il lappelait « ma beauté ». Roux garda son nom. Baptiste leur offrit tout : un arbre à chat, les meilleures croquettes, des friandises. Quand elle tomba malade, il consulta les meilleurs vétérinaires, la portant dans ses bras, la suppliant de rester. Mais son regard était déjà ailleurs
Simone courait sur larc-en-ciel, Perlette trottinant à ses côtés. « Maman, et Roux ? Il est seul » Simone sourit. « Regarde il nest pas seul. »
La pluie cessa. Un arc-en-ciel sétira au-dessus des bouleaux. Baptiste prit Roux dans ses bras, embrassa son nez humide. « Ça ira, petit on sen sortira. » Ils marchèrent vers la voiture. Deux cœurs blessés, mais plus jamais seuls. Un homme robuste et un petit chat roux Roux.







