– Démissionne en douceur, je prends ma nièce étudiante à ta place, a déclaré ma responsable après mon déplacement professionnel. –

Je me souviens encore, comme si cela faisait des siècles, du jour où ma directrice, Madame Camille Lefèvre, mavait lancé, dun ton glacial : « Démissionne à lamiable, je prends ma nièceétudiante à ta place. » Elle me regardait, les yeux dacier, comme si elle venait dénoncer la chose la plus banale du monde. « Rédige ta démission, je te fournirai de belles recommandations, ce sera plus simple pour tout le monde. »

Je venais à peine dentrer dans son bureau, à peine une minute auparavant. À peine avaisje eu le temps de masseoir. Je revenais tout juste dun déplacement dune semaine à Lyon, où javais sauvé un projet crucial pour la société, et voilà quon me demandait « démissionne à lamiable ».

« Pardon, je ne comprends pas, » bafouillaije, la voix étouffée comme si elle venait dun lointain écho. « Quentendezvous par démission ? Pour quelle raison ? »

Madame Lefèvre soupira, comme si elle expliquait lévidence à un enfant.

« AnneSophie, calmonsnous. Rien de personnel, juste du business. Ma nièce Christelle termine ses études déconomie, elle veut un poste avec un bel avenir. Votre poste est parfait pour elle. »

« Mais je suis ici depuis six ans ! » méchappèrentles mots dune traite. « Jai à peine terminé le projet à Lyon, le client a signé un contrat de trois ans »

« Je connais vos succès, » répliquaelle, tapotant la table du bout des doigts. « Doù ma proposition de partir en bons termes, avec des recommandations. Je ne veux pas nuire à votre carrière. »

Cette phrase me sembla une menace voilée. Je sentis mes doigts sengourdir.

« Vous ne pouvez pas me licencier sans motif, » balbutiaije, la voix tremblante mais essayant de rester ferme. « Cest illégal. »

« Il y aura toujours un prétexte, » rétorqua Madame Lefèvre, se reclinant dans son fauteuil. « On peut lancer un audit surprise, relever des petites erreurs tout le monde en a. On peut réduire le poste, puis créer un nouveau avec dautres fonctions. Les options sont infinies. Mais pourquoi compliquer ? Rédigez votre démission, prenez vos indemnités de congés non pris et vos recommandations. »

Je restai muette, tentant dassimiler linjustice. Six ans de travail irréprochable, deux promotions, des heures supplémentaires régulières, et voilà quon me proposait dêtre remplacée comme on change de chemise.

« Il faut que je réfléchisse, » finitje.

« Bien sûr, » souritelle, comme si elle nétait pas en train de briser ma vie. « Vous avez trois jours. Vendredi, je veux votre décision. »

Je sortis du bureau, les jambes fléchissantes. Les collègues jetaient des regards curieux, certainement frappés par mon état. Dans notre service marketing, nous étions cinq, sans compter Madame Lefèvre. Nous nous connaissions depuis des années.

« Anne, tout va bien ? » demanda doucement Olivia, en me voyant sinstaller à mon poste. « Tu as lair pâle. »

« Ça va, » répondisje machinalement, allumant mon ordinateur. « Fatiguée après le déplacement. »

La journée sécoula comme dans un brouillard. Je répondais aux emails, rédigeais le rapport de mission, dialoguais avec les clients, le tout en pilote automatique. Mes pensées tournaient autour de la conversation avec ma patronne. Comment étaitce possible ? Pour quoi ? Où iraisje si je partais ? Commencer à quarantedeux ans, cétait loin dêtre séduisant.

Le soir, chez moi, je craquai enfin. Assise à la cuisine, la tasse de thé refroidie à la main, je pleurais comme la dernière fois que mon divorce sétait soldé en larmes il y a dix ans. Je composai le numéro de ma sœur aînée, Nathalie.

« Elle a vraiment dit ça? » sindignat-elle dès le premier mot. « Directement? Cest du harcèlement! »

« Direct», répliquaije, les yeux pleins de larmes. « Jai dabord cru que javais mal entendu. »

« Vous avez déjà eu des conflits? »

« Jamais, » secouaije la tête, bien que Nathalie ne le voyât pas. « Elle ma toujours estimée ou du moins, je le pensais. Peutêtre quelle voulait se débarrasser de moi depuis longtemps, et ma nièce était lexcuse. »

« Allez, on va pas se perdre en introspections, » coupaelle dun ton ferme. « Premièrement, nenvoyez pas de démission volontaire. Deuxièmement, commencez à consigner chaque conversation. Si elle vous presse, enregistrezle. Troisièmement, lisez le Code du travail et votre contrat, regardez quels sont vos droits. »

« Tu penses que je devrais me battre? » soupiraije. « Ou partir plus simplement? Je nai plus envie de travailler où je ne suis pas valorisée. »

« Bien sûr quil faut se battre! » sexclama Nathalie. « Ne la laisse pas técraser. Aujourdhui elle cède, demain on la jette ailleurs. Défendstoi. »

Je promis dy réfléchir, mais le poids du dilemme restait. Nathalie était toujours combattante, déterminée, prête à défendre ses intérêts. Moi, jessayais toujours déviter les conflits, de chercher des compromis. Peutêtre étaitcela la raison pour laquelle Camille Lefèvre mavait ciblée.

Le lendemain, je me présentai tôt, avant que quiconque narrive. Jouvris mon ordinateur et passai en revue tous mes rapports, cherchant les éventuelles fautes qui pourraient être exploitées. Je relis mon contrat, rappelant mes fonctions.

Les collègues affluèrent à neuf heures, et je faisais semblant dêtre sereine, souriante, évoquant les résultats de ma mission à Lyon, même en plaisantant. Mais à lintérieur, langoisse me serrait le cœur.

Vers midi, une jeune femme blonde, dune vingtaine dannées, arborait un costume à la mode et un sac de créateur, entra dans le service.

« Bonjour, je viens voir Madame Lefèvre, » annonçat-elle à la réception, scrutant les lieux avec curiosité.

« Christelle! » sexclama Madame Lefèvre, sortant de son bureau. « Entre, ma chère. »

Mon souffle se coupa. Voilà la nièce. Elle venait inspecter mon espace de travail. Une vague dindignation monta en moi.

Elles restèrent presque une heure dans le bureau. À leur sortie, Camille Lefèvre fit le tour du service, présentant la jeune femme aux employés.

« Voici AnneSophie, notre cheffe de projet marketing, » annonçat-elle avec un sourire, comme si notre conversation navait jamais eu lieu.

« Enchantée, » tendit la main Christelle, affichant un manucure impeccable et une montre luxueuse. « Jai entendu parler de vos succès. »

Je serrai son poignet, la main ferme mais polie. « De même, » murmuraije.

Olivia sapprocha ensuite, poussant sa chaise.

« Questce qui se passe, Anne ? » demandat-elle discrètement. « Cest la deuxième fois que cette fille vient. La première, tu étais en déplacement, elle a traîné deux heures avec vous, puis vous avez déjeuné ensemble. »

« Une nièce, » rétorquaije sèchement. « Elle aura un poste chez nous, apparemment. »

« Mais on na pas de poste vacant, » fronça Olivia. « Encore un élargissement du personnel? Jespère quon ne va pas licencier quelquun. »

Je gardai le silence, ne voulant pas révéler la menace qui pesait sur moi.

Le soir, je réfléchis longuement. Démissionner à lamiable? Cela serait injuste. Résister? Camille Lefèvre avait clairement indiqué quelle trouverait un moyen de me pousser hors du poste.

Le matin suivant, jappelai Nathalie, demandant un bon avocat en droit du travail.

« Enfin! » sexclama ma sœur. « Ma connaissance, Élise Moreau, est parfaite. Je tenvoie son numéro. »

Élise Moreau, quinquagénaire au regard perçant et à la démarche assurée, mécouta, posa quelques questions précises, puis passa à laction.

« La situation est délicate, mais courante, » constatatelle. « Vous avez raison de ne pas déposer immédiatement votre démission. Voici mon plan: installez une appli denregistrement sur votre téléphone, allez voir Madame Lefèvre, demandez les raisons de votre licenciement, faitesle enregistrement. »

« Cest légal? » doutaije.

« Vous pouvez enregistrer vos propres conversations sans informer linterlocuteur, » acquiesça la juriste. « Cela pourra servir de preuve en cas de contentieux. Mais espérons que cela narrive pas. »

Je rentrai chez moi, déterminée, téléchargeai lapplication, préparai mes questions, même répétées devant le miroir.

Le mercredi, au tiers du délai que Nathalie mavait accordé, je frappai à la porte du bureau de Camille Lefèvre.

« Entrez, » résonna une voix derrière.

Elle était absorbée par son ordinateur, sans même me regarder.

« Madame Lefèvre, puisje parler? » lançaije, le téléphone en main, lenregistrement activé.

« Si cest rapide, jai une réunion, » levatelle enfin les yeux. « Vous avez pris une décision? »

« Je veux savoir pourquoi vous avez choisi ma nièce pour me remplacer, » demandaije sans détour. « Mes performances sont bonnes, les clients satisfaits, les collègues aussi. Pourquoi moi ? »

Camille Lefèvre se pencha en arrière, me scrutant attentivement.

« AnneSophie, cest du business. Rien de personnel, comme je lai déjà dit. Christelle est une jeune professionnelle prometteuse, elle a besoin dun départ. Vous » fit une pause. « Disons que vous avez atteint votre plafond. »

« Un plafond? » tentaije de rester calme. « Au sens propre? »

« Au sens figuré. Vous faites votre travail correctement, mais sans éclat, sans innovation. Tout est dans le moule. Nous avons besoin de nouvelles idées. »

« Mais ma dernière campagne pour Technostyle a augmenté les ventes de trente pour cent, » rétorquaije. « Ce nest pas « sans éclat »! »

« Un seul projet ne suffit pas, » balayatelle. « Globalement, vous avez stagné. »

« Donc le motif officiel du licenciement serait linadéquation professionnelle? Alors pourquoi proposer une démission volontaire? »

Elle tapota le bureau, irritée.

« Parce que nous travaillons ensemble depuis six ans, je voulais que tout se passe proprement. Mais si vous insistez pour les termes légaux, nous les ajusterons. »

« Madame Lefèvre, soyons honnêtes. Ce nest pas mon manque de compétences, cest votre volonté de placer votre nièce et de se débarrasser de moi. Cest illégal. »

« Illégal? Vous me menacez? »

« Non, je constate simplement les faits. Je ne déposerai pas de démission volontaire. Si vous voulez me licencier, trouvez une base légale. »

Son regard devint furieux, un visage que je navais jamais vu.

« Très bien, » conclutelle enfin. « Vous choisissez ce chemin. Dès demain, vous serez sous contrôle strict. Chaque retard, chaque rapport en retard, chaque erreur sera noté. Nous verrons combien de temps vous tiendrez. »

« Jai six ans dancienneté, je travaillerai comme toujours, » répliquaije, le cœur battant. « Et je nai rien à craindre. »

« Vous vous trompez, » rétorquat-elle, se replongeant dans son ordinateur. « Vous êtes libre. »

Je sortis du bureau, les jambes tremblantes. Dun côté, la peur de la première confrontation de ma carrière. De lautre, une étrange énergie, une fierté nouvelle davoir osé défendre mes droits.

Dans le couloir, Olivia me lança un regard.

« Vous vous êtes disputée avec elle? » murmurat-elle. « Vous avez lair décidée. »

« Pas de dispute, juste des faits posés, » répondisje. « Elle veut me virer pour mettre sa nièce à ma place. »

« Quoi? » sexclamaelle, les yeux écarquillés. « Cest du grand nimporte quoi. »

À ce moment, Camille Lefèvre sortit, lança un regard irrité sur nous deux, et se dirigea vers lascenseur. Nous regagnâmes nos postes.

« Vous ne pouvez pas la renvoyer comme ça, Anne, » dit doucement Olivia. « Cest du banditisme. »

« Exactement, » acquiesçaije. « Cest pourquoi je refuse de partir « à lamiable ». Je la forcerai à justifier légalement. »

Ce jour-là, je travaillai avec une minutie accrue, revérifiant chaque rapport, chaque email. Je quittai le bureau exactement à six heures, ni plus ni moins. Sur le trajet, jenvoyai lenregistrement à Élise.

Une heure plus tard, la juriste rappela.

« Excellent travail, » louaelle. « Vous avez une confession claire: le licenciement nest pas motivé par linadéquation, mais par le désir de placer votre nièce. Le fait que vous exigeriez une procédure officielle constitue aussi une preuve. Préparezvous, elle cherchera à vous faire échouer. »

« Comment doisje réagir? »

« Restez impeccablement professionnelle. Respectez chaque consigne, arrivez à lheure, ne donnez aucune raison de critique. Enregistrez chaque interaction avec elle. Et surtout, ne vous laissez pas déstabiliser. »

Ce conseil fut le plus difficile à appliquer. Cette nuit, je fus éveillée, le cerveau tournant sur les scénarios possibles.

Le matin suivant, Camille Lefèvre mattendait à lentrée.

« AnneSophie, entrez quand vous êtes libre, » ditelle sèchement, puis séloigna.

Je pris mon café, allumai mon ordinateur, puis me dirigeai vers son bureau, lenregistrement déjà lancé.

« Vous vouliez me voir ? »

« Oui, » lui tenditelle un dossier. « Voici la liste des remarques sur votre rapport de mission à Lyon. Vingttrois points. Corrigezles aujourdhui. »

Je pris le dossier, louvris. De petites critiques, des coquilles, des formulations à ajuster.

« Je men occupe, » répondisje calmement.

« Et aussi, » ajoutaelle en sortant un second dossier, « vous passez au projet « Métalinvest ». Tous les documents ici. »

Le cœur se serra. « Métalinvest » était le client le plus difficile de la société, toujours en pleine remise en cause, toujours en retard de validation, et qui se plaignait ensuite des délais. Ce fut clairement un piège : un projet impossible pour me pousser à léchec.

« Mais ce projet était mené par Sébastien, » protestaije.

« Vous le prendrez désormais, » répliquat-elle. « Vous avez lexpérience, vous y arriverez. »

Je demandai la date de remise.

« Dans deux semaines, » souritelle. « Un problème? »

« Non, je prendrai connaissance du dossier, » acquiesçaije.

De retour à mon poste, je découvris le chaos du dossier : le client changeait de brief toutes les heures, exigeait limpossible, et les délais étaient à deux semaines pour ce quil fallait deux mois à Sébastien.

« Il ta donné ça? » demandat-il en passant.

Finalement, grâce à la justice, à la persévérance et au soutien de ma sœur, jai conservé mon poste, été promue et prouvé que lintégrité triomphe toujours.

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