L’AMITIÉ ÉTERNELLE

ON SE SOUVIENNE DE CETTE AMITIÉ QUI DURE VAILENT DE CÔTÉ DE DIX ANS. Un jour, Pierre Dupont se tenait devant son vieil ami et le supplia dun coup de main.

Jacques, je comprends tout, mais réfléchis: tu nes plus tout jeune. Où vaisje temmener? Tu as été directeur, et je te propose un poste de chargé de manutention? ricana Pierre en observant le vieil homme aux cheveux argentés.

Jacques Duval hocha la tête, le regard résigné.

Tiens bon, Jacques Je tappellerai si une opportunité raisonnable se présente. Ne te laisse pas abattre, mon ami! Nous nous en sortirons! sécria Pierre en partant.

Ce nétait pas le premier refus de ces deux dernières semaines. Jacques sétait habitué à la façon dont on le laissait tomber, apprenant à garder son sangfroid, même si au début la déception le submergeait.

Comme le dit le proverbe, «lamitié se voit dans ladversité». Jacques Duval avait passé toute sa vie à occuper des postes de direction. Il comptait de nombreux compagnons, mais quand les difficultés surgirent, il se retrouva seul.

Comme souvent, le nouveau chef arriva avec son équipe. On demanda poliment mais fermement à Jacques de remettre sa démission. La retraite approchait, mais cela nintéressait personne.

Il se retrouva donc, du jour au lendemain, sans un poste prestigieux ni revenu. Mais il décida de ne pas sombrer. Dans la petite ville de Limoges, il connaissait bien des gens à qui il avait déjà tendu la main pour un emploi, des études ou dautres soucis.

Kirill ne va pas me refuser! Je lai tant aidé autrefois, disaitil à son épouse Éléonore, avant de se rendre à un entretien.

Il revint, le front sombre, le silence pesant :

Même mon ami ma tourné le dos, soupirat-il.

Éléonore comprit dun regard son désarroi :

Allez, Jacques, assiedstoi et mange. Tout ce qui arrive finit toujours par être pour le mieux, ditelle en dressant la table.

Jacques acquiesça, puis passa la soirée à feuilleter son carnet de contacts, celui des «meilleurs» amis.

Laide arriva quand il était presque à bout de forces. Un ancien chauffeur, devenu directeur dune petite usine de charcuterie, le reçut :

Je peux te prendre comme approvisionneur. Le travail est pressé, mais vous y arriverez, proposail avec courtoisie.

Jacques accepta volontiers et, dès le lendemain, se mit à lœuvre.

Lusine se situait en périphérie de la ville. Derrière une clôture métallique, deux lourds travailleurs déchargeaient un camion de viande. Non loin de là, une petite bande de chats du quartier observait la scène, comme sils veillaient sur un rite sacré.

Jacques sourit en regardant les félins à la fourrure tachetée, leurs moustaches frémissant au rythme du déchargement. Plus tard, il découvrit que lensemble du site était la patrie dune véritable mafia de chats, qui naimait guère les étrangers.

Chaque fois quil passait, il tentait de caresser un de ces moustachus, mais lanimal se fuyait ou sifflait.

Ces petites bêtes sont terribles, riaitil en voyant la cuisinière Zinaïda débarrasser les restes de la cantine.

Oui, ils ne se laissent pas facilement apprivoiser. Regardez ces chatons, même eux sont farouches, ajouta la cuisinière en montrant deux jeunes tigres qui jouaient entre leurs aînés.

Peu à peu, Jacques shabitua à son nouveau poste et à la bande féline. Les chats, intrigués par son visage argenté, finirent par lui faire confiance, car il les nourrissait régulièrement. Bien quil neût pas danimaux chez lui, il aimait les créatures et cherchait toujours à les aider.

Chaque fois quil sortait fumer, les chats lentouraient, scrutant son regard pour déceler la moindre offrande.

Le temps passa, six mois sécoulèrent comme un souffle. Lété chaud laissa place à lautomne, aux vents humides et aux pluies grises. Les félins se cachaient davantage, mais ne manquèrent jamais un repas.

Un jour, un petit chat noir, maigre, avec une tache chauve sur le dos, apparut soudainement. Aucun des autres ne laccepta, mais il ne fut pas attaqué non plus. Ce minuscule être conquit le cœur du vieux Jacques.

Alors quil fumait après le déjeuner, un groupe de chats se prélassait sur les planches ensoleillées. Soudain, du coin du mur, surgit le petit matou, un bouleau de poils noirs aux pattes frêles.

Miaou! lançat-il dune voix rauque avant déternuer.

Mais questce donc que ça? sétonna Jacques, interloqué, en sadressant aux autres chats.

Ils le regardèrent dun air indifférent. Le minou nappartenait clairement pas à leur espèce: eux étaient bruntachetés aux yeux jaunesverts. Le petit se frotta contre la jambe de Jacques et ronronna.

Tu vois comme il est doux, sourit Jacques.

On dirait quon la jeté ici, un chat de maison. Nos propres félins le fuient, mais il nest pas méchant, commenta la cuisinière qui venait darriver.

Jacques, méfiant, craignait que la bande nattaque le nouveau venu. Il entra dans latelier, prit un morceau de saucisse et le déposa devant le petit. Il offrit aussi un peu de viande aux autres, qui se ruèrent dessus avec avidité. Le minou resta longtemps à la main de Jacques avant de commencer à manger.

Quel adorable petit, déclaratil en chantonnant, les yeux brillants de tendresse.

Ainsi, le premier geste de Jacques fut de nourrir le petit, quil nomma «Pâté». Sa femme, interpellée, demanda :

Tu le nourris?

Cest un chaton, tout mignon, minuscule, réponditil, un peu embarrassé.

Tu veux le prendre chez toi? proposa Éléonore, bien quelle sache que son mari naimait pas les animaux à lintérieur.

Non, pourquoi aurionsnous besoin dun chat? rétorquatil.

Comme tu veux haussatelle les épaules.

Un matin glacial, alors que le ciel était maussade, Jacques entendit un cri familier :

Oh! Jacques, salut!

Il se retourna pour voir son vieil ami Pierre arriver à toute vitesse.

Alors, tu as trouvé du travail? demanda Pierre en tendant la main.

Jacques la baissa, le regard froid, sans sortir la main de sa poche. Il avait compris depuis longtemps le prix de leur amitié.

Tu es vraiment rude, marmonna Pierre avant de grimper dans sa voiture pour ne pas geler.

Le petit Pâté était blotti sur une planche près de lentrée du dépôt, sa fourrure noire comme des aiguilles gelées.

Ils te refusent, les chats? Vous êtes vraiment des bêtes, lança Jacques en direction du petit abri où la bande se tenait.

Les yeux jaunes des chats brillaient, cherchant à savoir si lhomme allait les nourrir ou les laisser dans le froid. Ce même jour, la radio annonça une chute de neige annoncée pour la nuit.

Tu as entendu, Marcel? La neige demain, comment allonsnous y aller? râla le chauffeur, qui proposa de raccompagner Jacques chez lui.

Le ciel sassombrit, les premiers flocons tombèrent sur lasphalte. Jacques, tout à coup, changea davis :

Marcel, conduismoi plutôt à lusine.

Le jeune homme haussa les épaules et tourna le volant.

Tu manques le travail, Jacques? plaisantatil en le déposant près du portail.

Jacques ne lentendit plus.

Il courut dans la cour, la neige recouvrant déjà le sol dun épais manteau blanc. Il appela :

Miaou! Miaou!

Mais le petit Pâté ne vint pas. Les chats de la cour le regardèrent, méfiants, alors quil criait désespérément. Rapidement, une nuée de chats et même deux corbeaux sinstalla sur la clôture, observant la scène.

Pâté! Où estu? cria Jacques, les yeux cherchant partout.

Les félins, sentant la tempête, se retirèrent dans leur abri, pressés de se réchauffer les uns contre les autres. Jacques, de son côté, séloigna de la cour.

Au matin, comme les prévisions lavaient prédit, la ville fut ensevelie sous la neige.

Quelle tempête! On nen voyait pas depuis des lustres, sexclamaient les habitants, luttant contre les immenses congères.

Jacques arriva à peine à temps au travail, retardé comme tout le monde. Le concierge avait déjà dégagé les allées et les chats guettaient, espérant une friandise.

Il posa devant eux une petite portion de viande :

Voilà, prenez! Pâté vous envoie ses salutations, ditil dune voix chaleureuse en observant la bande farouche.

Un bonheur inexplicable lenvahit, comme lorsquon était enfant et quon glissait sur une glissade enneigée. Peutêtre étaitce la neige qui réveillait des souvenirs denfance.

Hier encore, le petit chat était sorti de son abri au dernier moment, lorsque Jacques se retourna. Lhomme, incrédule, courut vers le minou, le serra contre son cœur.

Bravo, Pâté! Enfin tu es là, mon ami! répétatil.

Le chat, à bout de souffle, éternua et se frotta contre sa jambe pendant le chemin du retour, comme sil craignait de le perdre.

Éléonore, à la porte, ne fut même pas surprise :

Tu as finalement décidé de le garder? demandatelle en souriant.

Oui. Il faisait froid dehors, il ny avait plus personne, répondit Jacques, déposant le petit miracle sur le seuil.

Le chaton renifla, parcourait le rebord de la fenêtre, observant la blancheur des neiges qui recouvraient tout. Le petit avait choisi son ami, et cette amitié, différente de celle entre humains, était sincère, sans trahison ni mensonge. Ainsi, Jacques et Pâté savaient quils pouvaient compter lun sur lautre, et que la confiance était la seule voie à suivre.

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